Arnaud Pavec, directeur juridique de Pathé depuis 2017, revient sur les raisons de son changement de métier, sa passion du cinéma et les défis qu’il relève dans ses fonctions.

Décideurs. Pourquoi avez-vous décidé de quitter la robe pour aller en entreprise ?

Arnaud Pavec. Le droit m’a rapidement attiré parce que c’est une matière vivante, qui évolue vite : il y a la règle de droit puis son application au cas d’espèce pour tenir compte des spécificités de chaque situation. La crise sanitaire nous a montré à quel point, en peu de temps, de nombreux aménagements temporaires ou non peuvent être apportés à la réglementation. Les études que j’ai faites m’ont naturellement amené vers le métier d’avocat. Je suis diplômé de l’ESCP Europe et j’ai par la suite étudié le droit à Paris 10 Nanterre avant de passer le barreau et prêter serment en 1999. Au bout de sept ans d’exercice en tant qu’avocat, d’abord chez Stibbe et ensuite chez Vivien & Associés, je me posais la question de continuer le métier d’avocat pour tenter de devenir associé ou poursuivre ma carrière en entreprise. J’ai fait le choix de l’entreprise pour trois raisons. Premièrement, le métier de juriste est un métier beaucoup plus opérationnel que celui d’avocat, un métier de terrain. Le juriste est partie prenante de la vie de l’entreprise et pour bien exercer sa mission il se doit de bien connaître la stratégie, les produits, le marché et l’environnement concurrentiel de l’entreprise dans laquelle il travaille. Son assistance s’inscrit dans la durée et il suit le développement des projets de A à Z. La pratique du droit en tant que juriste correspond mieux à mes aspirations. Deuxièmement, je souhaitais disposer de la possibilité de partir en expatriation. J’ai réalisé depuis que même en entreprise, le droit n’est pas le meilleur choix de carrière pour cela. En pratique pour exercer à l’étranger il est nécessaire d’être compétent en droit local. Troisièmement, après sept ans de vie professionnelle, je souhaitais découvrir au sein de l’entreprise d’autres métiers et m’offrir la possibilité d’éventuellement quitter la filière juridique. À ce jour, je continue à m’épanouir dans mon métier de directeur juridique et je n’ai pas identifié d’autres métiers qui m’attireraient davantage.

Les confinements successifs, les fermetures administratives et l’abondance de réglementation nouvelle liée à la crise sanitaire ont exigé réactivité et pragmatisme

Vous êtes le premier directeur juridique de Pathé. Quels étaient vos objectifs en arrivant dans le groupe ? 

Lorsque j’ai été sollicité pour rejoindre Pathé, j’ai senti que c’était le bon moment, tant dans ma vie personnelle que dans ma vie professionnelle pour relever le défi qui s’offrait à moi : devenir directeur juridique groupe dans un secteur d’activité totalement différent (j’étais en poste chez Gemalto) mais qui pour autant m’attirait depuis toujours, le cinéma. Ce changement professionnel était l’occasion de travailler avec de nouvelles personnes, de découvrir une nouvelle culture d’entreprise et de pratiquer de nouveaux domaines du droit dans lesquels j’étais novice, notamment le droit du cinéma. Ce challenge m’est apparu très stimulant et j’ai décidé de le relever. Pathé est une entreprise de passionnés de cinéma et nombreux sont ceux qui ne se voient pas travailler dans un autre secteur. Lorsque l’on fait face à des coups durs comme cela est le cas avec la crise sanitaire, cette passion commune du cinéma et cette culture d’entreprise forte constituent les moteurs de la résilience et du travail en équipe pour sortir de la crise, s’adapter au nouvel environnement et ramener nos clients dans les salles de cinéma.

Le poste de directeur juridique groupe n’existait plus depuis plusieurs années lorsque j’ai rejoint Pathé. L’une des premières missions que je me suis fixée était d’organiser une direction juridique unifiée où les juristes travaillaient en équipe et partagaient les bonnes pratiques. Je suis arrivé avec beaucoup d’humilité ne connaissant ni la société, ni sa culture, ni le marché. De plus, je manquais d’expertise en droit du cinéma.

J’ai très rapidement rencontré individuellement chacun des membres de l’équipe puis je les ai réunis pour leur communiquer ma vision de la direction juridique et du métier de juriste. J’ai en cela mis à profit l’expérience acquise auprès de mon manager chez Gemalto, Jean-Pierre Charlet, qui m’a beaucoup transmis. J’ai expliqué à l’équipe réunie ce que je souhaitais apporter à chacun d’eux grâce à mon expérience et mon regard neuf arrivant d’un secteur totalement différent. Sur les contrats par exemple, j’ai pris acte des pratiques propres au marché du cinéma tout en travaillant à l’évolution de certains standards, notamment sur les problématiques de responsabilité. Cela s’est parfois révélé difficile en raison de la typologie des cocontractants et de la résistance au changement mais avec persévérance et patience, nous avons fait bouger quelques lignes.

Ma direction juridique compte de nombreux experts dans des domaines variés : corporate, propriété intellectuelle, immobilier, consommation, etc. Après une période d’analyse et d’observation, je l’ai réorganisée sous forme de six pôles d’expertise pour que toutes les compétences soient au service du groupe et que les juristes travaillent de concert. À titre d’exemple, les contrats de coproduction de films ont certes une dominante propriété intellectuelle et droit du cinéma mais ils font aussi appel à des compétences en données personnelles et parfois de droit financier ou de droit des sociétés.

Les cinémas ont subi une fermeture pendant plusieurs mois. Comment avez-vous géré cela ?

Les confinements successifs, les fermetures administratives et l’abondance de réglementation nouvelle liée à la crise sanitaire ont exigé réactivité et pragmatisme. Pour notre activité de production de films, les tournages se sont arrêtés du jour au lendemain avec les conséquences à gérer que vous pouvez imaginer. La reprise des tournages en juillet 2020 a de même suscité de nombreuses problématiques à résoudre : protection des salariés, assurances et risque Covid (en l’absence de couverture assurantielle, un fonds d’indemnisation a été mis en place pour couvrir les interruptions liées aux cas de Covid), etc. Tout cela dans un environnement dénué de visibilité et où les règles évoluaient régulièrement.

En ce qui concerne notre activité d’exploitation de salles de cinéma, la fermeture administrative a conduit à de nombreuses discussions contractuelles, par exemple pour les conditions d’application de baux relatifs à des cinémas situés dans des centres commerciaux devenus inaccessibles.

Un autre défi que nous avons dû relever est l’instauration du pass sanitaire dans les salles de cinéma en juillet dernier avec huit jours de préavis. Vous vous souvenez sûrement de toutes les questions qui se sont posées à l’époque tant pour les salariés (doivent-ils être vaccinés, devons-nous demander une pièce d’identité, etc.) que pour l’accueil des clients (âge applicable, obligation ou non de porter le masque, jauge des salles, etc.). 

Nous sommes aujourd’hui très heureux d’être rouverts et de constater que l’envie d’aller au cinéma entre amis ou en famille est toujours présente. La crise a modifié les habitudes de consommation et notre secteur doit s’adapter en conséquence tant sur le plan de l’offre de films que sur celui des services que nous offrons à nos clients pour réserver leurs places et profiter de nos cinémas. Contrairement à ce qu’annonçaient certains, le public est revenu au cinéma et continue d’apprécier de voir des films sur grand écran, confortablement assis, avec une bonne qualité d’image et de son, en partageant une expérience collective.

Il n’est pas rare que pour un film dont le succès commercial est pressenti nous devions faire face à des contentieux

À quels contentieux avez-vous fait face ces deux dernières années ?

J’ai une approche du contentieux et des négociations contractuelles que je qualifie de "ludique" : j’assimile souvent cela aux jeux de stratégie que je pratique avec plaisir par ailleurs. Au début, il faut définir sa stratégie, son objectif final, et ensuite, mettre en place une tactique pour arriver à cet objectif. Garder cette approche permet d’avoir un certain recul par rapport aux situations de litiges qui génèrent des tensions. Il convient de prendre de la hauteur pour réfléchir et arriver à la meilleure solution possible.

Nous avons quelques contentieux liés aux films que nous produisons. Il n’est pas rare que pour un film dont le succès commercial est pressenti nous devions faire face à des contentieux, notamment à des procédures de référé, que je qualifierais d’opportunistes. Nous défendons fermement nos droits pour faire obstacle à ce genre de pratiques. Je suis d’autant plus attentif à ces situations que j’ai découvertes lorsque j’étais chez Gemalto la pratique aux États-Unis dite des "patent trolls" et il nous faut éviter ce type de dérives en Europe. Contrairement à la France, aux États-Unis, la rémunération des avocats peut n’être fixée que sur la base d’un honoraire de résultat ("success fee"). On observe donc des procédures judiciaires en contrefaçon intentées par des cabinets d’avocats qui travaillent pour des personnes titulaires de brevets uniquement sur la base d’un success fee. Ce dernier sera constitué d’un partage des bénéfices retirés de la procédure entre le titulaire du brevet et le cabinet d’avocats. Le titulaire du brevet ne prend donc pas de risque financier à intenter une action en justice puisqu’il ne supportera aucun frais d’avocat. Une procédure judiciaire aux États-Unis coûte rapidement très cher en raison de la procédure de discovery. Pour limiter les frais et l’aléa de la procédure judiciaire, bien qu’estimant ne pas être les auteurs d’une contrefaçon, de nombreuses sociétés acceptent de transiger pour des montants inférieurs à ce qu’elles évaluent être leurs coûts juridiques minimums en cas de contentieux. Les auteurs de ces procédures judiciaires a priori peu ou pas fondée sont donc qualifiés de "patent trolls".

Dans le domaine de la construction et de l’immobilier, nous avons classiquement des référés préventifs pour nos chantiers et des contentieux liés aux malfaçons ou délais contractuels. La dimension assurance de ces contentieux est importante.

Nous avons aussi quelques contentieux liés à l’application de nos contrats commerciaux ou nos baux commerciaux. Enfin les opérations de cession ou d’acquisition peuvent donner lieu de temps à autre à des discussions relatives à la mise en œuvre d’une garantie d’actif et de passif mais un accord amiable est généralement trouvé. Je suis en règle générale favorable à des solutions transactionnelles, aider en cela quand cela est envisageable par la médiation. Je me méfie de l’aléa judiciaire et un contentieux a un coût interne parfois significatif pour l’entreprise. 

Quels sont vos futurs projets pour la direction juridique de Pathé ?

J’ai deux chantiers principaux. Premièrement le télétravail. Dans mon équipe, les juristes peuvent télétravailler 0, 1 ou 2 jours. J’ai demandé à chacun de réfléchir à une manière de travailler différemment et plus efficacement pour tenir compte de cette composante. Ainsi les jours de télétravail sont dans la mesure du possible utilisés pour les tâches qui exigent de la concentration et un travail continu, typiquement un travail d’analyse ou de rédaction. Il est inutile de venir au siège si cela est pour faire des réunions en Teams toute la journée. Les jours de présence doivent être dédiés aux réunions et interactions avec les autres membres de l’équipe et nos clients internes. Je cherche à responsabiliser et rendre autonomes mes juristes. Je suis là s’ils ont besoin de moi et le "reporting" est léger et oral. La communication est clé. Deuxièmement, je suis en recherche constante d’amélioration de la performance et de l’efficacité de la direction juridique. L’objectif est d’identifier les points de douleur, c’est-à-dire les tâches chronophages et sur lesquelles nous n’avons pas ou peu de valeur ajoutée juridique afin de réfléchir ensemble à la façon d’améliorer les choses. Nous cherchons à rendre plus autonomes les opérationnels, notamment en leur donnant une grille de lecture contractuelle. Cette méthode a une vraie vertu car elle les sensibilise aux problématiques juridiques tout en leur permettant d’apprécier les conséquences concrètes dans leur travail d’une clause mal rédigée ou déséquilibrée. Nous regardons aussi tout ce que nous pouvons automatiser avec les nouveaux outils, notamment pour la conformité RGPD ou Loi Sapin 2. Avant le confinement nous avions déjà mis en place la signature électronique qui est un gain de temps et réduit notre consommation de papier.

Propos recueillis par Clémentine Locastro

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