La pandémie de Covid-19 a mis en évidence la dépendance sanitaire de la France et de l’Union européenne en matière de production et d’approvisionnement de médicaments. Mais pour reconstruire notre souveraineté, les réglementations multiples, complexes et parfois archaïques, qui nous empêchent de rester compétitifs dans ce secteur, doivent être repensées. Aurélia Livet, directrice générale Opérations France pour le laboratoire Ipsen Consumer Healthcare, partage son expertise.

Décideurs. La crise sanitaire a ravivé le débat sur la souveraineté sanitaire européenne. Que faudrait-il envisager pour redevenir compétitifs ?  

Aurélia Livet. Le gouvernement encourage et souhaite accélérer les relocalisations en Europe et en France. Mais il ne faut pas se concentrer uniquement sur cet aspect. La récente annonce de la relocalisation de la fabrication du paracétamol est une bonne initiative, mais qu’en est-il des aides pour les entreprises qui sont restées en France ? Elles ont aussi besoin d’être soutenues dans leurs investissements.   

Chez Ipsen, nous avons un cas d’école très parlant. Celui du médicament Smecta. Un médicament 100% Made in France, de la fabrication du principe actif, à l’Isle sur la Sorgue, dans le Vaucluse, jusqu’à la mise en sachet, à Dreux, en Eure et loir. Les autorités voulaient en baisser le prix, à la suite de l’arrivée d’un générique fabriqué en Chine sur le marché européen. Finalement, elles nous ont proposé un TFR [un tarif forfaitaire de référence fixé par l’assurance maladie, Ndlr]. Désormais, le pharmacien n’est plus obligé de délivrer le médicament générique à ses clients. En revanche, pour le patient qui choisit une délivrance de Smecta, il y a un reste à charge. Nous savons que pour certains, la gratuité totale du générique sera forcément séduisante mais et que d’autres voudront défendre le Made in France. La baisse de la taxe de production est une bonne chose, mais il faut aussi soutenir les investissements et les filières françaises de production face à des médicaments fabriqués à l’autre bout du monde. 

Malgré une véritable volonté de maintenir notre souveraineté sanitaire, l’arsenal des mesures mises en place pour favoriser la fabrication des molécules en France et leur exportation est limité. Cependant, les choses changent doucement ; des idées émergent pour favoriser les productions en Europe. C’est ce qu’intègre par exemple le nouvel accord-cadre signé entre le LEEM et le CEPS  début 2021, avec une disposition en faveur des médicaments exportés depuis la France. Parce que l’enjeu est là : veiller à ce que les molécules fabriquées en Europe demeurent compétitives et maintenir une présence industrielle active, avec des investissements soutenus, et un savoir-faire sur nos territoires.  

La France a pris un temps de retard sur l’accès à l’automédication. Concrètement, où en sommes-nous par rapport à nos voisins ? 

Partout dans le monde, la crise du covid-19 a accéléré le recours aux produits de premiers recours. La peur du virus, l’incapacité, parfois, de sortir de chez soi ou de consulter dans un cabinet médical a globalement encouragé les patients à se tourner vers le e-commerce et le click & collect. En France, le développement de ces produits est plus lent. Il y a encore énormément de médicaments d’usage courant qui sont prescrits et remboursés en partie par la Sécurité sociale. De nombreux Français ont l’habitude d’obtenir des médicaments via une prescription avec un reste à charge limité en pharmacie.  

"En France, la crise du Covid a redonné un rôle important à l’officine et au pharmacien"

En France, la crise du Covid a redonné une fonction importante à l’officine et au pharmacien, celui de renforcer son rôle d’acteur de santé. Alors que les médecins étaient moins accessibles, les patients se sont davantage tournés vers ce professionnel de santé de proximité. Mais la diversification de ses missions (vaccination, prévention, tests antigéniques) peut limiter sa disponibilité pour le conseil aux patients. Or, il est important que le pharmacien participe activement au parcours de soins, en favorisant notamment le bon usage de ces médicaments de premier recours. C’est un sujet clef pour Ipsen Consumer HealthCare. C’est ce à quoi s’emploie notre équipe de délégués officinaux qui accompagnent et forment les pharmaciens et leurs équipes avec des contenus scientifiques afin qu’ils puissent expliquer et conseiller de manière appropriée leurs patients. 

D’après-vous, le e-commerce est-il une piste à privilégier à l’avenir pour la vente de médicaments ?  

Dans le contexte Covid, le e-commerce s’est développé dans de nombreux secteurs économiques, et donc logiquement également dans celui de la e-pharmacie et de la e-parapharmacie. En France, avec un cadre légal et réglementaire plus difficile pour le e-commerce des médicaments de premiers recours, ce sont surtout les compléments alimentaires, les dispositifs médicaux et les cosmétiques qui se développement sur ce canal. Des réflexions sont en cours dans les laboratoires et chez les pharmaciens sur ce sujet, mais cela nécessitera aussi que les autorités se positionnent pour clarifier ce qui doit l’être et répondre toujours mieux aux attentes et besoins des patients. 

Propos recueillis par Laura Breut  

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