Titulaire de la chaire pour l’entrepreneuriat des femmes de Sciences Po, l’économiste Anne Boring encourage les entreprises à lutter contre les stéréotypes de compétence. Un long chemin vers plus de mixité qui suppose, par-delà les quotas, de "dégenrer" valeurs, métiers et marché du travail.

Décideurs. En termes d’égalité professionnelle et de diversité, sommes-nous sur la bonne voie ?

Anne Boring. Même si la résorption des inégalités tend à ralentir depuis le début des années 2000, deux éléments ont permis de ne pas trop entraver la marche vers l’égalité en entreprise. D’une part, les politiques de quotas, initiées dans le sillage de la loi Copé-Zimmermann, ont apporté la preuve de leur efficacité. Aujourd’hui, ce ne sont pas 40, mais 44 % de femmes que comptent les conseils d’administration. Cependant, l’égalité professionnelle à d’autres échelons de leadership, notamment les comités exécutifs, reste encore loin d’être atteinte. D’autre part, la crise économique de 2008 a rendu possible la construction d’un business case à la diversité, notamment en matière d’égalité entre les femmes et les hommes.

Justement, en quoi la diversité de genre constitue-t-elle un facteur de performance ?

Plusieurs facteurs permettent de l’expliquer : la "surcompétence" des femmes issues de processus de "sursélection", l’augmentation de la créativité du fait du recrutement de profils différents, la fin de l’entre-soi, l’ouverture et l’agilité permise par la mixité, l’impératif désormais incontournable pour les entreprises de ressembler à la société et aux consommateurs. Une politique de diversité participe à rendre les entreprises plus comptables de leur façon de travailler. Elle mêle les expériences, connaissances, croyances et perspectives. Or, une telle pluralité contribue à la qualité des processus de décision et à l’innovation. Pris ensemble, ces éléments démontrent que l’accession des femmes aux responsabilités est globalement profitable pour le business.

Quels leviers les entreprises peuvent-elles actionner pour aller vers davantage de diversité ?

Elles peuvent agir sur la culture d’entreprise en bousculant les pratiques managériales, les normes et les comportements qui la tissent. Par exemple, il ne suffit pas de développer des initiatives en matière d’égalité femmes-hommes dans une logique d’empowerment des femmes. Il conviendrait aussi de parvenir à une banalisation de la parentalité au travail qui donnerait aux femmes comme aux hommes de vraies autorisations pour s’approprier les dispositifs de conciliation des temps de vie. Dégenrer les problématiques subies par les femmes comme la maternité ou le harcèlement oui, mais tout en poursuivant le partage du pouvoir. Il s’agira, dès lors, de finaliser la mise en œuvre de la loi Copé-Zimmermann, de l’étendre aux comités exécutifs des sociétés du SBF 120 et de s’assurer que les femmes se sentent bien dans ces instances de pouvoir créées par les hommes et pour les hommes.

"L’introduction de quotas en politique a permis d’accroître la compétence de la classe politique en réduisant la proportion d’hommes médiocres…"

Les quotas ne représentent pourtant pas l’Alpha et l’Omega des politiques d’égalité…

Le principal écueil des quotas affecte directement les femmes qui redoutent que ce type de politiques empêche leurs compétences d’être reconnues à leur juste valeur. En prenant un peu de recul, on remarquera toutefois une évolution. En effet, le discours de la "promotion canapé" des années 1980 ou 1990 a cédé la place à celui du "grand remplacement". On entend moins dire qu’une femme est montée dans la hiérarchie "parce qu’elle a couché", mais plus qu’elle aurait pris la place d’un homme compétent "parce qu’elle est une femme". Je veux croire au jour où le sexe ne sera plus un signal de compétence ou d’incompétence. Cet espoir est d’autant plus fondé qu’une étude menée par des chercheurs de la London School of Economics and Political Science et des universités d’Uppsala et de Stockholm a montré que l’introduction de quotas en politique n’induit pas le remplacement d’hommes compétents par des femmes incompétentes. Elle permet plutôt d’accroître la compétence de la classe politique en réduisant la proportion d’hommes médiocres… Les politiques d’égalité professionnelle sont donc tout à fait compatibles avec un système méritocratique.

De nombreux articles émettent l’idée selon laquelle l’évolution du marché du travail favoriserait les femmes puisque les valeurs dites "masculines" disparaissent au profit de valeurs "féminines". Qu’en pensez-vous ?

Genrer les valeurs de cette manière me semble dangereux. Certes, il existe de fait des domaines plus masculins que féminins et inversement. Mais, si des rôles peuvent être endossés et des valeurs développées, celles-ci changent au cours du temps… À moins d’entretenir les stéréotypes sur des soft skills proprement masculins ou féminins ! Les femmes ne sont pas forcément de meilleures communicantes que les hommes. Quant au goût du risque, on le retrouve aussi bien chez les premières que chez les seconds. Les similitudes entre hommes et femmes sont plus nombreuses qu’on ne le pense. Il y a beaucoup plus de diversité parmi les membres de chaque sexe qu’entre eux.

Propos recueillis par Marianne Fougère

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