Par Olivier Chénedé, avocat associé, Capstan Avocats


L’article 24-3° de la Loi de Financement de Sécurité sociale (LFSS) pour 2015, du 22 décembre 2014 a institué un nouvel article L. 243-6-5 du Code de la Sécurité Sociale.


Ce nouvel article permet, dans le cadre de l’amélioration des relations entre l’Administration et le cotisant, de signer une transaction avec un organisme de recouvrement. Cette possibilité, non expressément codifiée, était en effet rarement acceptée - pour ne pas dire jamais - par les organismes de recouvrement, du fait du carcan d’ordre public des dispositions du Code de la Sécurité sociale. En effet, et s’agissant d’une législation d’ordre public, ces organismes privés, simples délégataires de missions de service public dans le cadre de conventions d’objectifs et de gestion (COG pluriannuelles), répugnaient régulièrement à négocier sur leurs « fonds publics ». Légitimement, ils pouvaient avoir la crainte que leur négociation soit remise en cause devant l’ordre administratif par leur autorité de tutelle, ou bien par un cotisant et ce au final devant les tribunaux de l’ordre judiciaire.

Il s’agit plutôt d’une bonne nouvelle sur le principe.

Cela dit, il s’avère en réalité que les modalités et détails de mise en œuvre de cette nouvelle réforme (limitée) sont, une fois de plus, extrêmement décevants et n’auront, pour les praticiens et les entreprises, qu’un impact limité, pour ne pas dire inexistant. Ainsi, et malheureusement, beaucoup de réformes récentes en matière de législation de sécurité sociale sont beaucoup trop restrictives dans leur application.

1. Les parties signataires

Le signataire de la transaction, du côté de l’Urssaf, sera son directeur.
Il convient de rappeler que la réforme vise aussi les caisses de mutualité sociale agricole.
Il ne s’agit donc pas du conseil d’administration, ni de son président, les organismes étant paritaires, ce qui est plutôt une bonne nouvelle en termes d’efficacité et de rapidité.
Cela dit, le directeur aura l’obligation d’en rendre compte, soit auprès de l’Etat, soit auprès de son conseil d’administration, au 30 juin de chaque année, pour faire état des statistiques de cette négociation.
Il convient de rappeler que ces organismes relèvent aujourd’hui d’une mission nationale d’audit et de contrôle (MNC) rattachée directement auprès des services de l’Etat et du ministère des Affaires sociales.
Sa capacité de signature, rappelée par le texte, est dans le droit fil de ses compétences légales fixées par le Code de Sécurité sociale.

2. La période visée

La loi prévoit que la transaction ne pourra concerner que quatre années de cotisations, sans plus de précisions (de date à date ?).
Cela est conforme à la période de reprise de l’Urssaf en cas de contrôle et de redressement puisque cet organisme peut récupérer les cotisations sociales sur trois années + l’année en cours, cette période ayant été alignée en 2007 sur la période de reprise en matière de TVA.
La négociation pourra donc être globale sur la durée du redressement éventuel effectué, sachant que sa durée dépasse rarement trois ans.
Ceci est plutôt favorable.
Ce délai est plutôt aussi favorable en cas de demande de restitution, cette fois ci formulée par une entreprise, puisque dans ce cas de figure la période de reprise légale n’est que de trois ans.
On peut donc considérer que sur ce point précis, lors d’une demande de restitution, le cotisant pourrait gagner une année.

En effet, il convient de rappeler – ce que le texte ne précise pas expressément – qu’une transaction pourra viser des fonds :
• A verser par l’entreprise à l’Urssaf,
• ou au contraire à verser par l’Urssaf à l’entreprise, en cas d’erreur de part dans le versement de cotisation sociales indues (ex : erreur de versement transport par exemple).


3. Le contexte de sa signature

Comme il a été rappelé, cette transaction peut intervenir à tout moment dans les relations entre les deux parties, à savoir lors d’un contrôle, avec redressement ou non.

En tout état de cause, les sommes négociées ne peuvent pas être définitives au sens de la réglementation de sécurité sociale, c’est-à-dire qu’en cas de contrôle :
• après la réception de la mise en demeure, l’entreprise aura dû saisir préalablement la commission de recours amiable (CRA),
• et qu’au pire des cas, après la décision de la commission de recours amiable (CRA) éventuellement négative, l’entreprise aura dû saisir préalablement le Tribunal des affaires de sécurité sociale (Tass).

On voit bien, l’objectif du texte n’est de donner la capacité à l’organisme de recouvrement de se dessaisir de « fonds publics », que dès lors que ceux-ci sont dûment contestés et que sa créance envers l’entreprise n’est pas certaine et exigible, pour ne pas faire apparaître sa renonciation à recouvrer ses cotisations, comme une renonciation à des « fonds publics » incontestablement dus.

En tout état de cause, la chronologie de la négociation est particulière puisque pendant la période de saisine de la commission de recours amiable, la transaction ne pourra pas être signée.
On peut espérer que les négociations puissent se mener dans l’attente de la décision de cet organisme paritaire.
Il s’agit là, cela dit, d’une rigueur procédurale, peu compatible avec les exigences de rapidité et de négociation habituelle d’une transaction.


4. Le contenu de la transaction

Le contenu de la négociation et de la transaction éventuelle est malheureusement aussi beaucoup trop restrictif pour pouvoir créer un vrai appel d’air pour les entreprises dans leur volonté et capacité de négociation d’une transaction éventuelle avec l’organisme de recouvrement.

Tout d’abord :

          • Les fonds négociés ne pourront pas concerner les cotisations dues au titre d’un travail dissimulé, ce qui paraît normal sur le principe.

Cela dit et aujourd’hui, du fait de la définition extrêmement extensive mis en œuvre par les Urssaf du sujet, leur position réelle sur le terrain leur permet de rendre caduc et de réduire à néant toutes les éventuelles transactions possibles.

Il est en effet aujourd’hui extrêmement facile pour une Urssaf de se placer sur le terrain du travail dissimulé pour fonder un éventuel redressement et bloquer, de fait, toute possibilité de transaction.


         • Toute transaction ne sera pas possible, en cas de manœuvres dilatoires du cotisant visant à nuire au bon déroulement du contrôle.

Il s’agit là d’une nouvelle définition insérée dans le Code de la Sécurité sociale, qui peut se rapprocher de la mise en œuvre des pénalités de mauvaise foi en cas de contrôle.
Si ces exceptions paraissent légitimes, leur champ d’application n’est pas forcément d’une définition parfaite.
Cela pourrait le cas échéant empêcher une vraie volonté de négociation.


         • Enfin et surtout, le périmètre de négociation est trop restrictif.

En effet, il ne vise que les sommes dues à l’Urssaf dans le cadre suivant :
- majorations de retard (forfaitées notamment en cas de redressement),
- ou bien pénalités sur des sommes dues et non payées en dehors de tout redressement.

Cela vise notamment les sommes dues en cas de production tardive ou d’inexactitude des déclarations obligatoires.

Si cela constitue une avancée, les négociations dans ce cadre sont relativement rares.


          • La négociation ne pourra enfin concerner que l’évaluation de l’assiette des cotisations en cas d’avantages en nature, avantages en espèces ou de frais professionnels.
Effectivement il s’agit là souvent de cas extrêmement complexes et volumineux pour les entreprises pouvant déboucher sur des redressements importants.
Le texte est toutefois restrictif puisqu’il vise une évaluation présentant des « difficultés particulières ».
Cela peut s’expliquer souvent par des volumes de cartons de justificatifs de frais professionnels, particulièrement difficiles à appréhender pour les deux parties.
Dans ce cas de figure, une négociation éventuelle peut être salvatrice pour les deux parties.
En tout état de cause, le cas de figure visé est malheureusement trop isolé pour pouvoir espérer une multiplication des négociations dans ce cas de figure.


        • La négociation pourra aussi concerner des redressements :

- en cas d’évaluation des cotisations dues, selon la méthode dite du « sondage », suite à la réforme d’avril 2007,
- ou bien, suite à taxation forfaitaire en cas d’insuffisance ou du caractère inexploitable des documents administratifs et comptables présentés.

Là encore, l’idée est bonne mais, en réalité, on sait :

- que l’Urssaf n’a que très peu exploité ses méthodes d’évaluation dites « scientifiques » d’échantillonnage, tout comme les cotisants d’ailleurs, qui y sont souvent réticents,
- qu’en tout état de cause, s’agissant de la procédure de taxation forfaitaire, son champ d’application est trop restrictif pour qu’une transaction soit valablement appréhendée dans ce contexte.

Dès lors, il ressort de l’analyse des rares cas de figure possibles de cette négociation que ceux-ci sont beaucoup trop limitatifs pour qu’une vraie négociation s’envisage en pratique sur le terrain avec ces organismes.

5. Date d’entrée en vigueur de cette faculté

La possibilité de ratifier une transaction avec l’Urssaf n’est pas effective de suite.
Elle devra être définie par un décret dont on est toujours en attente.
En tout état de cause, la loi a fixé une deadline au 1er octobre 2015.
A cette date et sans décret, il sera donc possible de signer une transaction sur les simples bases de la loi.
Les praticiens attendent donc avec intérêt la publication de ce décret pour en connaître le contenu et la date d’effet effective de cette nouvelle possibilité.
On pourrait toutefois espérer aussi la publication d’une lettre circulaire de l’Acoss et/ou de la Direction de la Sécurité sociale (DSS) offrant une souplesse plus importante que celle fixée par le texte légal.
Il faut l’espérer, car dans ce cas de figure, cette souplesse pourrait être opposable au cotisant qui pourrait s’en prévaloir, avec le risque toutefois qu’elle puisse être déclarée illégale par une juridiction administrative comme étant dérogatoire à la règle légale.
Toutefois, les textes sont attendus avec impatience.

6. Portée de la transaction

Le texte est clair et redondant sur le sujet, à savoir qu’au-delà des stipulations du Code civil relatives à la transaction fixées aux articles 2044 et suivants du Code civil, la transaction engage pleinement les Urssaf et la loi lui donne aujourd’hui plein effet.

Il ne saurait d’ailleurs en être autrement, vu que le redressement et la remise en cause de la transaction ne pourraient pas avoir d’effet rétroactif.
Sur ce terrain, les règles classiques du droit privé s’appliqueraient pleinement.
Le texte est de surcroît protecteur car il vise aussi la possibilité pour l’entreprise de s’en prévaloir en cas de changement d’Urssaf, notamment lors, par exemple :

• D’un changement de domiciliation régional,
• un rattachement à une Urssaf gestionnaire de grandes entreprises,
• de la mise en place d’un VLU (versement en un lieu unique)

sur le terrain de l’article L. 243-6-4 du Code de la Sécurité sociale.

Sur ce terrain, le texte est plutôt protecteur et porteur.

7. Conclusion


Néanmoins, à la lecture de ce nouveau dispositif, les praticiens conseils de l’entreprise ne peuvent qu’être une nouvelle fois déçus, vu son peu d’ambition.
Si le texte va dans le bon sens, il est beaucoup trop limitatif dans son application.

On peut en faire le parallèle avec la politique de développement du rescrit qui :
• initialement limité à certains textes,
• a été étendu à d’autres dispositifs du Code de la Sécurité sociale,
• sans avoir beaucoup de succès,
• et surtout avec une absence totale de publication et d’opposabilité à tous les cotisants.

Les efforts faits dans le sens d’une amélioration des relations entre le cotisant et l’Administration ont souvent été voués à l’échec, vu l’absence totale de succès et de mise en œuvre pratiques des dispositifs créés.

Il faut espérer que celui-ci fonctionne convenablement et qu’il ait de vrais effets pratiques ce qui, à la lecture du texte et de ses restrictions, apparaît peu probable malheureusement.

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