Par Stéphane Leplaideur, avocat associé, Capstan Avocats
Il est difficile d'imaginer un arsenal plus complet que celui dont disposent aujourd'hui les organismes de contrôle et de recouvrement des cotisations sociales pour lutter contre le travail dissimulé. Sanctionnant très sévèrement les auteurs de l’infraction, il invite les maîtres d'ouvrage et donneurs d'ordre à adopter un comportement exemplaire dans leurs relations contractuelles en faisant peser sur eux, en cas de manquement à leur obligation de vigilance, non seulement le risque d’assumer les conséquences sociales et fiscales du délit mais encore de devoir supporter des sanctions propres.

Cette volonté de combattre un système qui fausse la concurrence et appauvrit les régimes de Sécurité sociale est louable. Tous les moyens sont-ils cependant adaptés et légitimes ? Deux mesures au moins suscitent une telle interrogation.


La délivrance des attestations par les organismes sociaux

Pour l'exécution d'un travail, la fourniture d'une prestation de service ou l'accomplissement d'un acte de commerce, tout cocontractant (pour des opérations d'au moins 3 000 euros) d'un donneur d'ordre doit justifier auprès de ce dernier d'une attestation de conformité délivrée par l'organisme dont il dépend et en charge du recouvrement des cotisations sociales.

L’article L.243-15 du code de la Sécurité sociale autorise la délivrance de cette attestation à toute personne qui s’acquitte des cotisations et contributions dues à leur date d'exigibilité. Si l’entreprise a conclu un plan d’apurement, voire a engagé une contestation, le document pourra malgré tout lui être délivré, sauf si le recours fait suite à une verbalisation pour travail dissimulé. Cela signifie donc qu’une entreprise suspectée d’avoir réalisé un travail dissimulé sur une période passée ne peut plus bénéficier de cette attestation pour poursuivre ses activités, même si elle n’a pas fait l’objet d’une condamnation définitive et qu’elle bénéficie donc d’une présomption d’innocence.

L’administration tient une position malheureusement sans nuance mais conforme à la loi « dès lors que les contestations des redressements font suite à une verbalisation pour travail dissimulé ayant fait l’objet d’une transmission du procès-verbal au procureur de la République, l’attestation ne peut être délivrée, sauf si la personne en cause bénéficie d’une relaxe dans le cadre de la procédure pénale » (circulaire interministérielle N°DSS/SD5C/2012/186 du 16 novembre 2012).

Certains, non sans raison, ont vu dans ce dispositif législatif une atteinte à des droits garantis par la constitution (liberté d’entreprendre, droit à la présomption d’innocence, principe de sécurité juridique) mais sans succès, la Cour de cassation refusant de transmettre une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) au Conseil constitutionnel (Cass. 2e civ. 5 juillet 2012 n° 12-40.037) considérant que le refus de délivrance de l’attestation pouvait être contesté, y compris par voie de référé. Mais la rédaction du texte de loi qui subordonne la délivrance, non pas à l’absence de condamnation mais uniquement à l’absence de verbalisation laisse-t-elle une chance sérieuse de recours au juge ?

En l’état, la simple transmission d’un procès-verbal de travail dissimulé bloque donc toute délivrance, sauf pour l'entreprise concernée à payer par anticipation des cotisations qu’elle conteste. Le présumé innocent est donc, en l'état du texte, un présumé débiteur...

Surtout, la délivrance de cette attestation n'est pas réellement de nature à prévenir le risque de travail dissimulé, à l'exception d'entreprises récidivistes. L'attestation remise au donneur d’ordre dès la signature du contrat, ne garantit que la situation existante sans engagement que le cocontractant n’aura pas recours, par la suite, à du travail dissimulé.

La prévention du risque et la lutte contre le dumping social (qui n'est pas l'apanage des entreprises étrangères) gagneraient en efficacité s'il était exigé, par exemple, des éléments détaillés sur le nombre de salariés déclarés dans l'entreprise au jour de la signature du contrat, le nom des personnes devant intervenir, leur qualité, voire un volume d'heures estimé. Il permettrait ainsi de responsabiliser le donneur d'ordre et d'apprécier la cohérence entre les capacités du cocontractant et le contenu de la prestation proposée.


La perte des mesures de réductions et d’exonération

La sanction de la responsabilité solidaire à l’égard de celui qui n’a pas été vigilant apparaît cohérente même si elle peut paraître disproportionnée, car plaçant sur le même terrain de la réparation celui qui a simplement failli à une obligation formelle de celui qui a été complice de l'infraction.

La sanction liée à la perte des exonérations et réductions de cotisations, dont a bénéficié le donneur d’ordre, apparaît bien moins légitime car sans lien avec la responsabilité solidaire et pas davantage avec d'éventuelles défaillances dans la tenue des salaires et charges.

Certes, la mesure est plafonnée, mais comment considérer que ce qui constitue, non pas une réparation forfaitaire mais une sanction administrative, est compatible avec l’article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen qui exige que la peine soit strictement nécessaire (Conseil constitutionnel 30 décembre 1997 n°97-395 et 29 décembre 2003 n°2003-489) et individualisée (Conseil constitutionnel 10 décembre 2010 n°2010-72/75/82) ? Il faut que le juge puisse adapter cette sanction au comportement du donneur d'ordre, voire à sa situation financière.

Que certains principes juridiques soient écornés au nom de la lutte contre le travail dissimulé, on peut en débattre, mais pas à n’importe quel prix et encore faut-il avoir été préalablement convaincu par l'efficacité des mesures en cause, ce qui ne semble pas le cas de toutes celles qui ont été votées.

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