Des mois qu’on s’y prépare et pourtant, on peine encore à y croire : les Britanniques sont bel et bien sortis de l’Union européenne. Une décision qui, au-delà de l’onde de choc qu’elle suscite, fait craindre le risque de contagion.

Ceux qui, jusqu’au bout, ont cru à un sursaut de sentiment européen, se sont réveillés le 24 juin 2016 sous le choc des résultats : à 52 % contre 48 %, la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne est sans appel. Tout comme celle du Premier Ministre David Cameron qui, prenant acte de la défaite de son camp, annonçait son départ pour octobre puis septembre prochain. Après des mois de suspens et de prédictions diverses, de décryptages et d’analyses des arguments en faveur des deux camps, difficile de parler d’effet de surprise. Pourtant, on peine encore à y croire. Alors que les réactions – atterrées pour les unes, enthousiastes pour les autres –  se multiplient, chacun s’emploie à envisager « le coup d’après » et, surtout, à évaluer le risque de contagion qui, depuis des mois, alimente les polémiques. Risque bien réel désormais puisque, quelques heures après l’annonce des résultats, plusieurs voix s’élevaient déjà – au Pays-Bas, en Espagne, au Portugal, et bien sûr en France…– pour faire valoir le « droit » d’autres États membres au référendum.

 

Aux mêmes causes…

Un effet domino qui n’étonne pas Thomas Guénolé, politologue et président de Vox Politica, pour qui la victoire du Brexit est avant tout « un vote contre la mondialisation ». Preuve en est, selon lui, la répartition géographique marquée des défenseurs des deux camps. « Lorsqu’on regarde le découpage des résultats, les clivages apparaissent de façon flagrante, explique-t-il. Londres – avec son taux élevé de CSP+, le poids de la City, les institutions financières et internationales, etc. – ainsi que les nations britanniques ayant réussi à tirer leur épingle du jeu mondialisé (l’Irlande, qui bénéficie d’une économie frontalière, l’Écosse, qui dispose d’une manne pétrolière, et le pays de Galles, qui touche des subventions européennes) ont majoritairement voté en faveur du maintien dans l’Europe. Tous les arrière-pays britanniques, les territoires désindustrialisés et paupérisés, votaient eux pour le Brexit. »

« Ce qui a motivé le Brexit, c’est la gestion de la mondialisation telle qu’elle est pratiquée par l’Union européenne »

Pour le politologue, la lecture du scrutin est, tout comme son résultat, sans appel. « Le Brexit est un vote de protection contre la menace que représente, pour certaines catégories de population, la mondialisation, l’Union européenne constituant avec son ouverture des frontières, son abaissement des protections sociales, etc. une force d’ouverture maximale à cette menace. »

De quoi invalider toute autre forme d’interprétation du scrutin. À commencer par celles, largement répandues et totalement erronées selon lui, voulant que le Brexit soit un vote anti-immigration doublé d’un vote anti-État fédéral. « Si c’était le cas, avance Thomas Guénolé, les territoires les plus concernés par l’arrivée de migrants auraient voté massivement en faveur du Brexit, or ça n’a pas été le cas. » Quant au rejet d’un État européen fédéral, il serait lui aussi secondaire par rapport aux motivations profondes du vote. Et sur ce plan, le politologue est formel : « Ce qui a motivé le Brexit, c’est la gestion de la mondialisation telle qu’elle est pratiquée par l’Union européenne, laquelle a pour effet d’aggraver les clivages  entre territoires et d’accroître la précarité. »  Problème : cette analyse se vérifie bien au-delà des frontières britanniques.

 

… Les mêmes effets ?

« Les moteurs qui ont fait le Brexit au Royaume-Uni se retrouvent dans la quasi-totalité des pays européens », alerte Thomas Guénolé, pour qui une telle répétition de schémas ne peut que laisser présager, à plus ou moins long terme, l’émergence d’effets similaires. Une vision de l’avenir d’autant plus crédible qu’elle s’est déjà vérifiée par le passé en Amérique du Sud où une succession de politiques de rigueur déployées par les États dans les années 1990 débouche, au début des années 2000, sur l’émergence de partis altermondialistes. « Des mouvements anti-système et anti-mondialisation », comme ceux que l’on voit en Italie, en Espagne, au Portugal et même en Allemagne à travers la force montante de Die Linke. « On est en train de revivre en Europe occidentale ce que l’on a vécu en Amérique du Sud il y a dix ans », analyse Thomas Guénolé pour qui, « les mêmes causes produisant les mêmes effets », il y a fort à parier que l’exemple britannique ne soit qu’un début. Le point de départ d’une série de revendications et d’appels au référendum.

 

Caroline Castets

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