La sécurisation de ce dispositif était donc attendue au regard des contentieux coûteux de ces dernières années (invalidité des accords collectifs instituant le dispositif ouvrant droit à des rappels d’heures supplémentaires importants).

C’est chose faite avec la loi Travail du 8 août 2016 (n° 2016-1088) … tout du moins en « apparence ».

 

Rappelons que l’introduction du forfait jours émane de la loi Aubry II de 2000 qui autorisait, pour la première fois, le décompte en jours pour des catégories restrictives de salariés : cadres autonomes, puis extension en 2005 aux non cadres dont la durée du temps de travail ne peut être prédéterminée.

 

L’accomplissement des missions de ces salariés repose davantage sur des résultats attendus que le temps passé à leur réalisation (inadaptation d’un décompte en heures).

 

L’autonomie qui leur est nécessaire pour l’atteinte de leurs objectifs implique un mode d’organisation de leur travail qui rend impossible leur intégration dans un quelconque planning collectif.

 

Le dispositif légal déroge aux durées quotidiennes et hebdomadaires maximales de travail ; seuls les droits au repos quotidien et hebdomadaire s’imposent.

 

Ces limites étaient manifestement insuffisantes pour assurer le respect du droit de l’Union et Constitutionnel relatif à la santé et au repos de ces salariés, qui ont montré qu’ils ne comptent pas leur investissement (données DARES : déclaration de 44,6 heures hebdomadaires en moyenne et plus de 50 heures pour 39 % de cadres).

 

Or, le législateur, comme les accords collectifs conclus sur le sujet, n’avaient pas suffisamment pris en compte cette dimension, invitant dès lors le juge à rappeler la nécessité de prévoir des outils de contrôle et de prévention permettant de garantir une amplitude et charge de travail raisonnable et une bonne répartition dans le temps du travail du salarié.(Décision fondatrice de la chambre sociale de la cour de cassation du 29 juin 2011 n° 07-71.107 : 12 accords de branche invalidés sur 14 !)

 

La loi du 8 août 2016, reprenant la jurisprudence, prescrit de nouvelles clauses obligatoires dans les accords collectifs, devant permettre de garantir le droit à la santé et au repos du salarié.

 

Il revient aux partenaires sociaux de déterminer les modalités selon lesquelles l’employeur (article L3121-64 du code du travail) :

  •  assure l’évaluation et suivi de la charge de travail du salarié,
  •  communique périodiquement sur la charge de travail du salarié, l’articulation entre son activité professionnelle et sa vie personnelle, sa rémunération ainsi que sur l’organisation du travail dans l’entreprise (entendu en réalité comme l’organisation de son travail)
  • garantit le droit à la déconnexion du salarié.

 

Le dispositif est beaucoup plus contraignant que la solution antérieure qui ne visait qu’un rendez-vous périodique d’évaluation de la charge de travail.

 

Ces nouvelles clauses obligatoires semblent s’imposer à tous les accords collectifs conclus postérieurement à la loi.

 

S’agissant des accords collectifs non conformes, conclus antérieurement à la loi, on peut regretter que le législateur n’ait pas davantage incité leur révision (même si l’on comprend l’objectif poursuivi d’éviter toute paralysie du dialogue social qui laisserait toujours planer la menace d’un contentieux pour non-conformité).

 

A la place, le législateur autorise l’intervention régulatrice unilatérale de l’employeur (sous réserve de la consultation préalable des représentants du personnel).

 

Ainsi, les conventions individuelles de forfait jours conclus, avant comme après la loi, en application d’un accord collectif non conforme antérieur à la loi, seront valables à la condition que l’employeur (article L3121-65) :

  • établisse un document de contrôle faisant apparaitre le nombre et la date des journées ou demi-journées travaillées ; document qui pourra être renseigné par le salarié sous la responsabilité de l’employeur,
  • s’assure que la charge de travail du salarié est compatible avec le respect des temps de repos quotidiens et hebdomadaires,
  • organise une fois par an un entretien avec le salarié pour évoquer sa charge de travail (qui doit être raisonnable) l’organisation de son travail, l’articulation entre son activité professionnelle et sa vie personnelle ainsi que sa rémunération,
  • définisse les modalités d’exercice du droit à la déconnexion.

 

Si ces nouvelles dispositions permettent la sécurisation « faciale » des accords collectifs et conventions individuelles de forfait, il n’est pas certain que le contentieux individuel se tarisse complètement.

 

En effet, le véritable enjeu de la sécurisation du forfait jours réside dans l’effectivité, sur le terrain, des mesures d’évaluation et de suivi régulier de la charge de travail qui seront prises.

 

A cet égard, pèse sur l’entreprise une obligation de résultat érigée en principe d’ordre public (article L3121-60).

 

De simples déclarations dans l’accord collectif, conformes aux dispositions légales, n’exonèreront pas l’employeur de sa responsabilité, si elles n’assurent pas un contrôle effectif de la charge de travail du salarié et son adéquation avec une durée du travail raisonnable.

 

La recherche de l’effectivité du système d’évaluation et de contrôle invite donc les entreprises à s’interroger et définir la charge de travail du salarié, réelle et ressentie, qui connait une superposition de plusieurs temps rendant malaisé l’exercice (temps de réflexion, temps de rédaction , problème de l’interaction entre les différents services avec plus de 60% du temps passé en réunion, multiplication du temps administratif à distance par le biais des nouvelles technologies d’information et de communication, temps de déplacement, liberté dans l’organisation du travail conduisant souvent à une augmentation de l’intensité journalière de travail pour un nombre de jours de travail réduit sur l’année).

 

L’approche de stricte conformité juridique du dispositif du forfait jours, si elle est nécessaire, est insuffisante s’il n’est pas assuré l’effectivité des dispositions.

 

Cela implique un véritable diagnostique de la charge de travail du salarié : là réside le véritable enjeu de la sécurisation du forfait jours.

 

Elodie Darricau, Senior Associate, Capstan Avocats

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