Par Bruno Serizay, avocat associé, Capstan Avocats


Il n'est plus question que de réforme du Code du travail et de simplification des normes ; certains dans l'espoir et d'autres dans la crainte d'un allégement des contraintes juridiques. Chacun a préparé son catalogue ; Capstan suggère plutôt de réfléchir à une méthode de conception du changement, ce qui suppose de s'interroger sur l'objectif du droit du travail.

1. La norme d'une façon générale, le Code du travail d'une façon particulière, n'est pas une fin en soin ; elle est un moyen éventuellement contraignant au service d'une finalité.

L'approche (marxiste) des relations professionnelles, fondée sur l'opposition du capital et du travail, justifie de considérer le droit social, issu prioritairement de la loi, comme constituant un outil de protection du salarié dont la force de travail est aliénée par l'employeur ; le droit social est essentiellement un droit des relations individuelles de travail et un droit conflictuel : il procède de l'ajout permanent de normes protégeant davantage le salarié que promouvant l'emploi.

L'approche (libérale) des relations professionnelles, fondée sur la complémentarité du capital et du travail, conduit à considérer le droit social, issu prioritairement de la négociation collective (y compris par dérogation à la loi), comme un outil du développement de l'entreprise – entendue comme étant l'ensemble des moyens humains, financiers et matériels coordonnés en vue de l'exploitation d'une activité économique. Le droit social n'est plus alors le droit du salarié contre l'employeur ; il est un droit au service de l'entreprise, notamment en vue de favoriser l'emploi, par une régulation du pouvoir reconnu à l'employeur d'organiser l'activité réalisée par les salariés.

Si au-delà, des clivages idéologiques, on admet de considérer (au moins de ne pas nier), l'échec du modèle social français actuel à l'aune de l'emploi, une expérimentation pourrait alors être organisée, fondée sur la responsabilité collective : la loi (le Code du travail, les conventions professionnelles) demeurerait à titre supplétif (sauf à prendre en considération l'ordre public, c'est-à-dire les « droits humains » protégeant notamment la santé des salariés), s'appliquant faute que des normes adaptées à l'entreprise (et non spécifiquement à l'employeur ou aux salariés) aient pu y être définies. La norme conventionnelle définie au niveau de l'entreprise s'imposerait alors, sans comparaison avec la loi, aux relations collectives et individuelles de travail.

2. Cette mutation expérimentale du droit social nécessiterait de conférer à l'entreprise une organisation sociale adaptée à sa mission normative et de sacraliser la norme collective.

           a) Une organisation sociale cohérente avec la double mission de création normative et de contrôle de l'efficience de la norme supposerait :

? Une structure de représentation syndicale ayant vocation à négocier la norme sociale de l'entreprise : les lois du 21 août 2008 et du 5 mars 2014 ont fait œuvre utile de régulation de l'expression syndicale. La fonction syndicale reste une fonction de revendication dont la satisfaction peut être recherchée par la lutte ou de préférence la négociation. La négociation de proximité (d'entreprise) devrait être la voie privilégiée de la création normative permettant aux organisations syndicales de conforter leur légitimité. L'incitation à la négociation de proximité existe déjà mais elle est très formelle ; pour qu'elle devienne réelle, il faudrait soit que la loi supplétive établisse (sauf pour les droits humains) un standard faible – solution à écarter dans la mesure où elle justifierait une reconstruction intégrale du Code du travail dont on sait qu'elle n'aboutirait pas et où un standard légal faible n'inciterait pas les employeurs à la négociation –, soit que, sans modification générale du droit du travail actuel, l'échec (ou l'absence) de négociation de proximité avec les organisations syndicales autorise le recours à la négociation directe avec les salariés formalisée par l'accord référendaire. La négociation collective deviendrait un véritable enjeu de responsabilité pour les organisations syndicales qui générerait leur légitimité.

? Une structure de représentation du salarié ayant vocation à contrôler l'efficience de la norme, c'est-à-dire son adaptation à la situation économique et sociale. Ce qui suppose, d'une part, qu'elle procède de l'élection et, d'autre part, qu'elle accède à l'information. La répartition des compétences (aux frontières incertaines) entre différentes instances nuit à l'autorité de chacune d'elles, tout en compliquant la gestion de l'entreprise. Privilégions l'existence d'une instance unique (élue), dans toutes les entreprises de plus de 10 salariés dont les prérogatives et les moyens évolueraient en fonction de la taille de l'entreprise ; on pourrait concevoir trois niveaux d'intervention pour les entreprises comptant moins de 100 salariés, celles dont l'effectif est compris entre 100 et 1 000 salariés et les entreprises de plus de 1 000 salariés et trois modes d'intervention : l'échange éclairé non clivant sur les aspects globaux (type orientations stratégiques), l'émission d'avis sur des situations ou des projets précis et pourquoi pas un droit de veto sur des décisions justifiant en raison de leur importance ou de la gravité de la situation l'engagement et la responsabilité des représentants des salariés.

          b) La sacralisation de la norme collective de proximité supposerait en premier lieu de confier tout litige relatif à sa conception, sa formalisation, son interprétation et son application à la voie arbitrale, afin d'éviter que le juge ne soit un troisième partenaire imposé à la négociation collective.

En second lieu, la norme collective devrait s'imposer clairement à la relation individuelle de travail ; dès lors qu'elle s'inscrit naturellement dans le cadre organisé de l'entreprise, le champ contractuel de la relation individuelle de travail – établissant le consentement spécifique de l'entreprise et du salarié – se limite à la définition de garanties minimales relatives :

- au niveau de responsabilité de l'emploi et au niveau (pas à la structure) de la rémunération ;

- à la nature permanente ou temporellement limitée de la mission par généralisation du contrat dit à durée indéterminée, à l'autorisation de la préconstitution du motif de la rupture du contrat (liée notamment à la disparition de l'objet de la mission) et à l'alternative laissée au salarié (à la rupture du contrat) entre la perception d'une indemnité fixée par le contrat (majorée au regard de la plupart des indemnités conventionnelles actuelles) privative de tout recours judiciaire (compromis entre la rupture conventionnelle, la prédétermination de l'indemnisation de conciliation et la transaction) ou la saisine du conseil des prud'hommes ;

- au volume du temps travaillé librement défini par les parties sans pouvoir excéder les durées maximales destinées à protéger la santé des salariés et sans écarter que des majorations salariales puissent être dues au-delà d'un seuil prédéterminé.

Les mutations expérimentales suggérées pourraient être aisément introduites dans l'actuel Code du travail afin d'en établir le caractère supplétif (sauf à protéger les « droits humains ») ; l'efficacité de l'expérimentation pourrait être mesurée périodiquement, notamment au regard de l'emploi, afin d'en décider ou non de sa pérennisation. Gageons que de telles évolutions laissées à l'initiative des entreprises – ensemble constitué de l'employeur, des salariés et des moyens de production – liées à la libéralisation de l'activité dominicale et vespérale et à l'éventuelle suppression (optionnelle ?) des aides sociales ciblées contre une diminution globale des charges patronales et salariales pourraient inverser effectivement et positivement la courbe de l'emploi.

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