Après la publication de l’ordonnance portant réforme du droit des contrats, le cabinet Gide décide de réunir ses troupes et des professionnels du droit autour d'une réflexion commune sur les impacts pour leurs pratiques.

« Cette réforme, c’est un peu l’instauration d’un modèle hybride, un métissage du droit », tranche le professeur à l’université Paris II Denis Mazeaud : disparition de la codification napoléonienne, mobilisation de soutien autour du #1382 et naissance du concept d’un contenu licite et certain. L’ordonnance du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations semble avoir apaisé les esprits échaudés. Pas de surprise en perspective, juste une mise à jour du code civil à travers le prisme de trois principes : la liberté, la sécurité et la loyauté. Alors comment les praticiens envisagent-ils cette réforme ? De l’autre côté de la Manche, la prise de risque est saluée. « Ma première réaction est de féliciter la France et saluer cette réforme », s’exclame l’avocat au barreau de Londres Rupert Reece avant de rappeler que le droit anglo-saxon n’est jamais parvenu à bout d’une codification. L’essentiel de la réforme consiste néanmoins en l’introduction des décisions traditionnellement reconnues par la jurisprudence doublée d’un appel du pied au droit européen.

 

La loyauté

Les avant-contrats ont le vent en poupe. Les notions d’offre, de pacte de préférence et de promesse unilatérale sont concrétisées. Et si cela suscite quelques émotions, l’avancée ne semble effrayer personne. « Il est évident que les clients ne veulent pas être liés par une offre », affirme Renaud Baguenault de Puchesse, associé en droit immobilier, avant de poursuivre, « De toute façon, les contentieux sont presque inexistants en la matière, on ne s’engage pas dans une procédure qui prendra trois ans alors que la priorité c’est de vendre. » La généralisation du principe de bonne foi ne laisse pas non plus les avocats et juristes insensibles : « Le devoir d’information installé entre les parties me laisse froid », lance enfin le directeur juridique France d’Accorhotels Thierry Labi.

 

La liberté

Le nouveau code civil introduira la théorie de l’imprévision mettant fin à une jurisprudence vieille de plus de 140 ans en droit des contrats. Là aussi, les praticiens sourcillent. « Cette nouveauté ne changera pas grand-chose en pratique puisque nous nous sommes adaptés depuis longtemps à l’impossibilité de modifier le contenu des contrats avec les clauses de hardship », précise Caroline Malinvaud, associée spécialiste de l’arbitrage international. La nuance réside dans le fait que, désormais, l’opportunité de modifier un contrat dont les circonstances ont changé sera le principe. Ce qui introduit un peu de souplesse et de fluidité. « Je comprends bien la logique de ce revirement puisqu’en droit anglais, nous avons l’équivalent avec… le principe de frustration », s’amuse Rupert Reece. L’Europe tend donc vers une harmonisation sur la question de la révision du contrat.

 

La sécurité

En matière de clauses, cependant, rien ne va plus. « Il va falloir être très vigilant dans la rédaction de nos clauses », prévient Dimitri Dimitrov, associé au sein du pôle commerce international. D’abord parce que la jurisprudence Chronopost est plus que jamais d’actualité. Une clause ne pourra donc plus contredire la substance d’une obligation essentielle sans être écartée. Pour les praticiens, la rédaction des clauses devra être encore plus fine, réfléchie et ingénieuse. Ensuite parce que le schéma des clauses abusives du code de la consommation est repris pour les contrats d’adhésion du code civil. Un soupçon de déséquilibre significatif plane donc sur les professionnels. Pour les praticiens, c’est un peu le coup de bambou. À cela, Dimitri Dimitrov rassure ses troupes : « Mieux vaut un bon compromis qu’une clause écartée.»

 

Estelle Mastinu

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