Économiste spécialisé dans les matières premières et l'énergie, professeur à la Paris School of Business, Thomas Porcher fait le point notamment sur la stratégie à adopter en matière d'énergies renouvelables. Pour lui, il est grand temps que l'État retrouve son rôle de stratège énergétique.

Décideurs. On oppose souvent nucléaire et énergies renouvelables. Pourquoi ne pas miser sur une alliance des deux pour produire en masse une électricité décarbonée ?
Thomas Porcher.
Le problème des réacteurs nucléaires est que pour être rentables, ils doivent fonctionner quasiment à temps plein. Or, déjà  80 % de notre électricité est issue du nucléaire. Si, d’un côté, le gouvernement annonce qu’il compte baisser la consommation d’électricité avec les plans de rénovation des bâtiments et, de l’autre, compte construire des EPR [réacteur pressurisé européen] ou allonger la durée de vie des réacteurs à cinquante ou soixante ans, comment peut-il trouver de la place pour développer les énergies renouvelables (EnR) ? Disons-le clairement : toute production supplémentaire d’électricité provenant du nucléaire évince une production renouvelable. La décision du gouvernement de conditionner la fermeture de Fessenheim à l'ouverture de l'EPR signifie clairement que l'on ne cherche pas réellement à développer les EnR.

 

On ne cherche pas réellement à développer les EnR 

Le 100 % renouvelable, une utopie ?
C'est encore difficile à dire. Ce qui est sûr, c'est que nous n'utilisons que très peu nos potentialités renouvelables. De plus, vingt-cinq millions de logements ne demandent qu'à être rénovés, ce qui ferait considérablement baisser la consommation énergétique du pays. De là à dire qu'un mix énergétique entièrement renouvelable est envisageable, il est encore trop tôt pour se prononcer, bien que des scénarios très sérieux aient déjà été établis par l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) et négaWatt (1). De toute façon, la question ne se pose pas encore tant on est loin du 100 % renouvelable. D’ailleurs, à ce rythme, nous n’arriverons probablement pas à tenir nos engagements européens qui prévoient 20 % de renouvelables d’ici 2020. Avant de parler de 100 %, essayons déjà 20 %, puis 30 % et 50 % ! Nous en sommes loin alors que c'est un enjeu industriel énorme.

 

Le Brent montera-t-il ou non ?
Le Brent devrait remonter à terme pour la simple et bonne raison que beaucoup d'investissements, notamment dans l'offshore profond et le non conventionnel, ont été stoppés avec la baisse des cours du pétrole. Des tensions entre offre et demande devraient donc arriver dans les deux ou trois prochaines années, ce qui fera remonter logiquement les prix. À quels niveaux ? Difficile de se prononcer, tant les facteurs sont nombreux : croissance mondiale, retour de l'Iran et potentiellement de la Libye sur le marché du pétrole...

 

Autrefois stratège énergétique, l'État semble aujourd'hui relégué au rang de spectateur. Est-ce important de reprendre la main ?
L’État stratège d’autrefois a laissé place au « marché ». Or, ce marché, mis notamment en avant par la Commission européenne, ne peut donner que des indications de court terme quand l’énergie a besoin d’une vision de long terme. Les investissements d’aujourd’hui feront les énergies que nous consommerons dans vingt ans. C'est là que l’État stratège a un rôle majeur pour imposer une vision de long terme et sécuriser des investissements qui se chiffrent en milliards. Maintenant, pour qu’il y ait un État stratège, il faut d'abord qu'il y un stratège à la tête de l’État et ce n’est pas gagné.

 

Mais comment se mettre d'accord sur une telle stratégie au sein de l'Europe ?
Pour gagner la bataille de la transition énergétique en Europe, il faut une stratégie coordonnée. L'erreur de l'Allemagne a été de se lancer seule dans sa sortie du nucléaire, en comptant sur ses voisins pour lui fournir de l'énergie de base quand elle en a besoin. Si chacun fait sa transition énergétique sans tenir compte de ses voisins, il risque d’y avoir des déséquilibres sur le marché européen. La transition énergétique devrait être un projet européen, une occasion de devenir un leader comme les États-Unis le sont aujourd’hui avec Internet.

 

La fiscalité fait-elle partie des instruments pour y parvenir ?
Oui mais pas uniquement. La fiscalité est une incitation qui oriente les consommateurs et les producteurs mais elle ne remplace pas les choix politiques. En réalité, on sait comment faire pour développer les énergies renouvelables puisqu'on l'a déjà fait pour d‘autres énergies. Dans les années 1960, le général de Gaulle a lancé le plan nucléaire, entraînant un développement sans précédent du nucléaire en France. Il faut faire la même chose aujourd'hui avec les énergies renouvelables.

 

Nos majors se sont toutes développées dans des conditions de monopole public

Au moment d'amorcer son virage stratégique, en 2016, Engie a exprimé sa volonté de se placer comme « leader du renouvelable ». Cette place existe-t-elle vraiment ?
Évidemment : il n'y a aujourd'hui aucun vrai leader du renouvelable, non seulement au niveau européen, mais même au niveau mondial. Les majors sont accrochées à leurs corps de métier. Engie a fait un bon choix. Il est maintenant capital que l'État l'aide en redessinant l'architecture du système énergétique, comme il l'a déjà fait il y a un demi-siècle. Nos majors se sont toutes développées dans des conditions extrêmement favorables de monopole public alors qu'on demande au renouvelable de se développer dans un environnement concurrentiel, avec de simples subventions mais sans réelle vision politique, ni protection publique. N'attendons pas que les États-Unis prennent le lead sur les énergies renouvelables. Il est temps de faire de vrais choix industriels. 
 

Propos recueillis par Boris Beltran

 

(1) Association à but non-lucratif créée en 2001, négaWatt est dirigée par un collège de membres actifs, la Compagnie des négawatts, qui rassemble une vingtaine d’experts impliqués dans des activités professionnelles liées à l’énergie

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