Face à l’essor des plates-formes collaboratives et des contentieux générés ces deux dernières années, un encadrement juridique est appelé par tous afin d’apporter protection aux travailleurs collaboratifs, tout en sécurisant les plates-formes contre le risque de se voir qualifier d’employeur de ces travailleurs. Quelles sont les pistes envisageables ?

Par Frédéric Aknin, associé, et Élodie Darricau, senior associate. Capstan Avocats

 

La plate-forme collaborative est un formidable outil permettant la rencontre de l’offre et de la demande, multipliant de façon exponentielle, notamment grâce à l’outil numérique, les possibilités d’activité non subordonnée.
Le travail par intermédiation numérique repose sur un modèle triangulaire. La plate-forme numérique offre la possibilité à un travailleur connecté d’entrer en contact avec un tiers pour réaliser une prestation en contrepartie d’une rémunération. La plate-forme se pose en simple intermédiaire et permet à deux contractants indépendants (fournisseur et consommateur) de s’accorder sur la réalisation de la prestation non subordonnée. Ce nouveau modèle économique mobilise fortement les travailleurs indépendants qui aspirent à plus d’autonomie et d’indépendance et ont fait le choix volontaire du contrat d’entreprise et non du contrat de travail.


Lien de subordination
L’offre des plates-formes ne cesse cependant de se diversifier (facturation, notation de la prestation, structuration de la relation commerciale avec parfois un cahier des charges édicté unilatéralement et imposé par la plate-forme). Cette immixtion de la plate-forme dans la relation commerciale liant le fournisseur au consommateur a pu conduire à des dérives et à s’interroger sur le statut applicable au travailleur, indépendant juridiquement, mais dans une situation de dépendance économique le rendant vulnérable. Hors l’hypothèse de telles dérives, les plates-formes collaboratives illustrent l’économie de demain et sont, le doute n’est plus permis, inscrites de manière pérenne dans le marché de l’emploi. Elles sont, et seront, un vecteur essentiel du développement de l’emploi, d’un emploi non salarié. À cet égard, la protection du travailleur intermédié ne saurait tendre vers la voie de son rattachement au salariat. Ce rattachement serait clairement contre-productif et irait à rebours du développement inéluctable de l’économie numérique. Il serait pénalisant, contraire à la dynamique économique et aux intérêts des travailleurs concernés qui, dans l’immense majorité des cas, tiennent ardemment à leur indépendance.
À cet égard, notre droit social actuel est suffisamment protecteur pour requalifier en salariat les seules situations de dérives effectives, sans qu’il soit opportun de créer un frein législatif. Rappelons que si le législateur édicte une présomption de non-salariat au profit des personnes physiques immatriculées au registre du commerce et des sociétés (article L.8221-6 du code du travail) ou encore à travers la loi du 4 août 2008 sur le statut fiscal de l’autoentrepreneur, la présomption reste simple et peut être détruite s’il est caractérisé, dans les faits, un lien de subordination. Toute activité rémunérée au profit d’autrui est un contrat de travail auquel s’applique le droit social, dès lors qu’elle a pour objet la force de travail et qu’elle est marquée dans son exécution du sceau de la sujétion.
C’est la traduction du lien de subordination définit par l’arrêt Société générale du 13 novembre 1996 comme : « L’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements subordonnés. »
La Cour de cassation, qui applique le principe de réalité, utilise un faisceau d’indices larges pour déterminer, quelle que soit la situation qui lui est présentée, l’existence d’un lien de subordination. Pour illustration, dans sa décision Formacad du 7 juillet 2016, la Cour constatait que des formateurs « autoentrepreneurs » étaient liés par un contrat de prestations de services à durée indéterminée. Une clause de non-concurrence leur interdisait de proposer leurs services aux clients présentés par la société, ce qui de fait limitait l’exercice libéral de leur activité. Ils exerçaient leur activité au profit de la clientèle exclusive de la société Formacad selon un programme imposé, de sorte que l’enseignant n’avait aucune liberté pour concevoir ses cours. Le contrat mandatait encore la société pour réaliser l’ensemble des formalités administratives liées au statut du formateur. Les juges ont pu ainsi considérer que les formateurs étaient placés dans un lien de subordination. La relation commerciale leur échappait manifestement, les privant de toute autonomie et indépendance.
Plus récemment, le Conseil de prud’hommes de Paris a reconnu un chauffeur VTC salarié d’une plate-forme numérique (Conseil de prud’hommes Paris, 20 décembre 2016). Les juges ont surtout relevé que la plate-forme justifiait d’un pouvoir de sanction (résiliation du contrat en cas de courses insuffisantes) et que le chauffeur ne disposait pas d’une réelle liberté pour développer sa clientèle propre ou pour exploiter celle d’un tiers. Cet obstacle était rédhibitoire au maintien du statut d’autoentrepreneur.

Statut novateur
On le voit bien, il n’est nullement besoin de créer de nouvelles règles de droit social pour protéger les travailleurs indépendants des dérives de certaines plates-formes. D’autres pistes doivent être envisagées, selon la dynamique inspirée par le législateur, dont la finalité consiste à renforcer l’indépendance du travailleur, tout en améliorant son statut social. 
Ainsi, la loi Grandguillaume du 29 décembre 2016 interdit les clauses d’exclusivité dans les contrats liant les chauffeurs aux plates-formes de mise en relation. La loi Travail du 8 août 2016 exclut le régime du salariat au profit d’une responsabilité sociale des plates-formes lorsque ces dernières déterminent les caractéristiques de la prestation de travail fournie ou du bien vendu et fixent son prix. La plate-forme doit prendre à sa charge le coût de l’assurance risque d’accident du travail souscrit par le travailleur ou doit lui permettre d’adhérer au contrat collectif qu’elle peut souscrire directement. Le travailleur bénéficie également d’un droit d’accès à la formation professionnelle continue. Enfin, les travailleurs sont autorisés à constituer des organisations syndicales et sont protégés lors de refus concertés de fournir leurs services. C’est là, très certainement, la clé d’un futur statut protecteur des travailleurs numériques.
La réponse pourrait venir des travailleurs eux-mêmes en leur permettant, par le biais des associations syndicales, de négocier avec les plates-formes les conditions d’utilisation des services proposés et de réalisation de la prestation ainsi encadrée. Le législateur pourrait ainsi prendre des mesures incitant les plateformes à la concertation collective.
Telles doivent être les réflexions à mener, afin de bâtir un statut novateur, protecteur des intérêts des travailleurs, tout en conservant l’essence même de la relation de travail développée par l’intermédiaire de la plateforme collaborative, par nature indépendante et exclusive de toute notion de salariat.

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