Après quatre jours d’intenses négociations, les 27 États membres de l’Union européenne s’accordent sur un plan de relance de 750 milliards d’euros. Si certaines concessions ont été nécessaires de la part du front franco-allemand, l’ambition d’une Europe plus intégrée n’est pas revue à la baisse.

"Jour historique pour l’Europe !", tweetait dès ce matin Emmanuel Macron. À 5h30 ce mardi 21 juillet, les 27 États trouvaient un compromis sur l’ambitieux plan de relance européen. Au terme de quatre jours d’intenses négociations et quelques démonstrations de force, le résultat est là. En tout, 750 milliards d’euros vont être injectés dans l’économie du Vieux Continent, durement touchée par la crise liée au coronavirus. Outre le montant colossal de l’enveloppe, c’est l’"emprunt commun" – synonyme de solidarité budgétaire – qui vient renforcer l’intégration européenne, marquant ainsi un tournant dans l’histoire de l’UE. "Depuis l’euro, nous n’avions pas connu une telle avancée", insiste le président de la République français sur le réseau social.

Répartition de l’enveloppe

Les pourparlers musclés et les déclarations des derniers jours à la sortie des salles de réunion jetaient pourtant le doute sur la capacité de l’Europe à répondre de manière ambitieuse aux enjeux. In fine, l’enveloppe totale de 750 milliards d’euros est en ligne avec la proposition de la Commission européenne, même si son contenu a dû être ajusté. Bruxelles envisageait de distribuer 500 milliards d’euros sous forme de subventions, accordés aux pays les plus touchés. Le reste, octroyé aux États membres sous forme de prêts, étant donc à rembourser. Une répartition soutenue par la France et l’Allemagne, soucieuses de limiter la dette des pays déjà fragilisés. L’accord du 21 juillet ramène finalement la part des subventions à 390 milliards et celle des prêts à 360 milliards. La France s’attend à toucher 40 milliards d’euros de subventions, déclarait le même jour Bruno Le Maire sur France Info, tandis que l’Espagne et l’Italie bénéficieraient de respectivement 60 et 70 milliards.

Droit de regard

Si les pays frugaux (Pays-Bas, Suède, Danemark, Autriche rejoint par la Finlande) souhaitaient limiter la part des subventions, ils demandaient dans le même temps à ce que les plans soient validés par le Conseil européen à l’unanimité. Une épée de Damoclès qui faisait craindre aux défenseurs d’un plan ambitieux que les pays les plus fragiles, notamment au Sud, subissent les vetos ou, d’une certaine manière, se voient placés sous tutelle par les territoires fervents (et capables) d’une grande rigueur budgétaire.

Au final, les États devront présenter leurs plans nationaux pour 2021-2023, en conformité avec les recommandations propres de l’UE à leur égard et tournés vers les transitions écologiques et numériques. Les copies seront soumises au Conseil qui les validera à la majorité qualifiée. Si un ou plusieurs pays constatent par la suite des écarts dans la réalisation par rapport à ce qui avait été prévu, le sujet pourra être abordé entre les chefs d’États.

L’accord prévoit que 30 % des dépenses soient alloués à la lutte contre le changement climatique

Le versement des aides sera aussi conditionné au respect de l’État de droit. "Le Conseil européen souligne l'importance (de son respect). Sur cette base, un régime de conditionnalité visant à protéger le budget et la prochaine génération de l'UE sera mis en place", précise Bruxelles. Un sujet sensible pour des pays comme la Hongrie ou la Pologne, dont certaines législations – sur les médias ou la justice par exemple – ne semblent pas respecter les valeurs de l’Union.

Enfin, pour que l’argent aille aux pays et aux secteurs les plus affectés, 70 % des "facilités pour la reprise et la résilience" (principal canal de subventions du plan) seront accordés en 2021 et 2022 à partir de critères tels que le niveau de vie des pays, leur taille et leurs taux de chômage. Les 30 % restant seront distribués en 2023, en prenant en compte la baisse du PIB en 2020 et 2021, plutôt que le niveau d’emploi. L’accord prévoit également que 30 % des dépenses soient alloués à la lutte contre le changement climatique.

Ressources propres

Quant aux capacités de financement, les dirigeants européens se sont entendus pour accorder à l’UE de nouvelles ressources propres qui serviront à rembourser une partie des fonds. Ainsi une taxe sur les plastiques sera introduite dès 2021. La même année, la Commission doit présenter une proposition de taxe numérique et carbone. Toutes deux pourraient entrer en vigueur d’ici la fin 2022. Pour ce faire, l’une des options consiste à revenir sur le système communautaire d'échange de quotas d'émissions, en l'étendant aux secteurs de l'aviation et du transport maritime.

L’accord prévoit aussi de créer un bas de laine de 5 milliards d'euros afin de soutenir les États membres et les secteurs économiques les plus touchés par le Brexit. D’ailleurs, si la France a obtenu gain de cause en évitant un vote à l’unanimité sur les plans des différents pays, elle n’a pas réussi à mettre fin aux rabais sur le budget européen dont bénéficient des pays comme l’Angleterre, qu’elle espérait pouvoir endiguer avec la sortie du Royaume-Uni de l’UE. Ainsi, les plus frugaux auront-ils obtenu un renforcement de la réduction de leur contribution (deux milliards d’euros en moins pour les Pays-Bas, notamment). En outre, le prochain cadre financier pluriannuel ne sera doté que de 1 070 milliards d’euros, contre 1 100 milliards proposés par la Commission européenne. Les coupes concernent la recherche ou encore le programme d’échanges estudiantins Erasmus.

Prochaines étapes

Malgré d’âpres négociations, aucun pays ne sort humilié de cette séquence et le deal scelle une plus grande intégration européenne. Le front commun entre l’Allemagne et la France permet de tenir l’ambition malgré quelques concessions, somme toute logiques, dans une union réunissant 27 pays aux agendas et problématiques différentes. C’est tout naturellement qu’Emmanuel Macron et Angela Merkel ont tenu dès la sortie du Conseil une conférence de presse commune. "Ces concessions font partie de l'esprit de compromis, même si ce dernier a été douloureux", concède la chancelière allemande, qui affirme néanmoins ne pas avoir de "regrets".

"Ces concessions font partie de l'esprit de compromis, même si ce dernier a été douloureux"

Avant d’être mis en place, l’accord devra passer sous un certain nombre de fourches caudines législatives. Les parlements nationaux devront notamment ratifier l’autorisation pour la Commission européenne d’emprunter le montant du plan de relance à rembourser. Une décision qui touche à leur souveraineté budgétaire. Selon des sources européennes, ces votes pourraient avoir lieu entre septembre et décembre. Un calendrier serré qui devra être respecté : la réponse à la crise ne peut pas attendre.

Olivia Vignaud

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