Philippe Montigny a plus de quinze ans d’expérience dans le domaine de la lutte anticorruption. Aujourd’hui président d’Ethic Intelligence qu’il a fondée en 2006, il est convaincu qu’une bonne compliance, bien intégrée dans la stratégie, encourage le développement des entreprises.

Décideurs. Qu’est-ce qui vous a encouragé à créer votre agence de certification de dispositifs anticorruption ?

Philippe Montigny. En tant que membre du cabinet du secrétaire général de l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) dans les années 1990, j’ai eu l’opportunité de participer aux négociations ministérielles qui ont conduit à la signature de la Convention anticorruption le 13 décembre 1997. J’ai par la suite rejoint à Londres comme associé un cabinet de conseil en stratégies internationales spécialisé dans le développement des marchés internationaux des entreprises en Afrique, au Moyen-Orient ainsi qu’en Europe centrale et orientale. J’ai alors découvert l’ampleur de la corruption qui était présente dans chaque dossier, ce qui m’a incité à me consacrer à la prévention de la corruption. J’ai ainsi créé Ethic Intelligence en 2001. J’ai d’abord travaillé sur l’aspect « prévention de la corruption ». Rapidement, je me suis rendu compte que mettre en place un programme anticorruption représentait un coût significatif pour une entreprise. Mais lorsqu’une entreprise fait des affaires légalement, elle diminue le risque d’être confrontée à un problème grave de corruption. Une entreprise qui assure son développement uniquement grâce à son innovation et à son savoir-faire, sans pratiques frauduleuses, est forcément une entreprise excellente. C’est dans ces circonstances que j’ai élaboré en 2004 un dispositif de certification des dispositifs anticorruption. Il était à l’époque difficile de convaincre les entreprises de communiquer sur le fait qu’elles ne payaient pas de pots-de-vin. Je me suis pourtant dit que cette certification des dispositifs anticorruption devrait leur permettre de valoriser leur patrimoine éthique et que ce serait une attente croissante de leur partie prenante. La publication fin 2016 d’un standard de système de management anticorruption, l’ISO 37001, m’a donné raison dix ans plus tard.

Comment a été accueillie votre offre de certification ?

J’ai lancé la certification en 2006. Le lancement a été difficile car les entreprises n’avaient alors rien à faire certifier. Certaines avaient déjà sorti leur code éthique mais il n’y avait derrière ni procédure, ni prévention. Mais petit à petit, des entreprises ayant été confrontées à des problèmes de corruption ou appartenant à des secteurs qui l’ont été ont décidé de mettre en place des programmes anticorruption. La certification a néanmoins décollé avec de grands groupes tels qu’Alstom, Siemens, Schneider Electric, Orange et EADS qui nous ont demandés de certifier leurs dispositifs existants.

Par quels biais sensibilisez-vous les entreprises sur la lutte anticorruption ?

Nous proposons des formations sur les réglementations internationales et les bonnes pratiques anticorruption, par thème et par type d’entreprise. Nous organisons tous les mois des sessions générales et d’autres spécialisées. Pour ma part, j’interviens de plus en plus au niveau du comex de grands groupes multinationaux aussi bien français qu’étrangers tels qu’Orange, Total et Nexans. En deux heures, il faut que je fasse en sorte que des personnes qui ont des fonctions très différentes aient la même compréhension du risque et de ce que cela implique dans leurs responsabilités.

« On parle de plus en plus en France de compliance en mettant de côté la conformité »

Selon vous, quels sont les éléments importants de la loi Sapin 2 ?

La loi Sapin 2 met en place un cadre qui explique ce que les entreprises doivent faire pour prévenir la corruption. Notre approche française est très différente des autres pays puisqu’il s’agit d’une obligation. Si les entreprises ne la remplissent pas, elles peuvent se voir infliger une amende. On constate très clairement que les huit principes formulés dans l’article 17 viennent du domaine bancaire français et que quatre d’entre eux relèvent du contrôle. En banque, l’obligation est de contrôler les flux financiers. En matière de corruption en entreprise, l’accent doit surtout être mis en amont sur la prévention. Il faut donc former les salariés pour qu’ils comprennent les risques et les équiper pour qu’ils aient les outils d’analyse et de due diligence nécessaire afin de prendre les décisions appropriées. Pour moi, dans la loi Sapin 2 l’accent a ainsi été mis excessivement sur les contrôles au détriment du préventif. L’un des éléments centraux du dispositif est la notion de cartographie des risques. Je pense que les entreprises françaises doivent faire de la cartographie des risques l’élément fondamental et le point de départ de tout programme de compliance. À partir de là, elle peut évaluer le type et le niveau de programme anticorruption à mettre en place.

Que pensez-vous de la convention judiciaire d’intérêt public ?

C’est une innovation majeure de la loi Sapin 2. Lorsqu’une entreprise découvrait un cas de corruption, il n’était pas facile pour un dirigeant de décider de porter l’affaire en justice en raison des aléas de la procédure et de l’imprévisibilité des sanctions. Il avait donc plutôt intérêt à enterrer l’affaire, ce qui était contre-productif. La convention judiciaire d’intérêt public, calquée sur les accords de poursuites différés (deferred prosecution agreement) anglo-saxons est donc une bonne chose. La loi Sapin 2 prévoit que l’entreprise qui révèlerait aux autorités la découverte d’un délit de corruption dans ses opérations puisse conclure une convention judiciaire d’intérêt public. Elle verserait alors une amende tout en se voyant contrainte de mettre en œuvre ou de renforcer son dispositif anticorruption sous le contrôle de l’AFA.

« Il est important que l’AFA soit dotée d’un budget suffisant »

Comment percevez-vous la création de l’Agence française anticorruption ?

Avoir une instance anticorruption est une très bonne idée. Il est cependant important qu’elle soit dotée d’un budget suffisant et de compétences comparables à ce qui s'est fait aux États-Unis avec le Department of Justice (DoJ) qui s’était notamment adjoint la compétence d’une chief compliance officer, en la personne de madame Hui Chen. En France, le mandat de l’AFA insiste beaucoup sur sa mission de contrôle-investigation mais je sais que son directeur général, Charles Duchaine, souhaite également renforcer son rôle en matière de conseil et de prévention. Mais il est vrai que nous sommes dans un pays où la philosophie de notre administration est plus tournée vers le contrôle du secteur privé que dans les administrations anglo-saxonnes qui attachent plus d’importance à un rôle de soutien et de conseil.

Quelles sont les principales différences entre les termes compliance et conformité ?

En anglais, il existe deux verbes : to conform et to comply. En français, nous n’avons que le terme « se conformer », c’est-à-dire se plier aux règles. Dans le monde anglo-saxon, la compliance revêt une dimension moins formelle car elle inclut un devoir de vigilance. C’est pour cette raison qu’on parle de plus en plus en France de compliance en mettant de côté la conformité. Ce dernier terme est néanmoins très utile dans le monde bancaire au sein duquel il existe des règles strictes et beaucoup de contrôles. En entreprise, on insiste plus sur le comportement et la décision. On parlera dans ce contexte plus volontiers de compliance.



Propos recueillis par Margaux Savarit-Cornali

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