Le P-DG fondateur du groupe Armonia nous révèle notamment les dix ingrédients de sa réussite entrepreneuriale.
Décideurs. Qu’est-ce qui vous a conduit sur le chemin de l’entrepreneuriat ? Opportunisme ou volonté d’indépendance ?
Patrick Thélot. Je suis animé par une volonté farouche de liberté, la liberté de mener ma vie comme je l’entends. C’est une de mes originalités : je n’ai jamais signé de contrat de travail. Mon premier emploi, c’est moi qui me le suis créé à partir de rien. Dès le départ, j’étais très attaché à l’idée d’indépendance. J’avais plusieurs motivations. Je ne voulais pas me voir imposer une volonté dictée par une hiérarchie à laquelle je n’aurais pas adhéré. L’immense erreur aurait été d’avoir pour ambition première de faire fortune. Pas un seul chef d’entreprise digne de ce nom ne crée une entreprise dans ce but. La fortune est la conséquence de la réussite. J’ai assisté tout au long de mon cursus à l’Essec et à Sciences-Po à des interventions de personnalités et des retours d’expérience d’entrepreneurs. À leur contact, vous vous faites une idée de ce pour quoi vous avez du talent. J’ai eu une formation en gestion, en commercial et en marketing. Je n’étais donc pas compétent pour produire ou fabriquer. Je me suis par conséquent orienté vers les services. C’est ensuite l’opportunité qui fait le larron, comme on dit. La vie est une succession d’opportunités, il faut savoir les saisir. La chance n’a rien à voir dans cela. Tout entrepreneur doit être convaincu de sa bonne étoile, sinon il ne peut se lancer dans cette aventure, somme toute risquée.

Décideurs. Votre première entreprise est donc le résultat d’une opportunité ?
P. T. J’étais ami avec l’héritier de la maison Jean Patou. Il m’a incité à créer une agence d’intérim spécialisée dans le personnel de couture. J’ai fait un stage d’un mois dans un atelier de haute couture pour apprendre ce métier. Je me suis alors lancé dans cette activité. Nous avons aujourd’hui les huit cents meilleures couturières du monde. J’ai commencé dans un petit bureau d’une vingtaine de mètres carrés. Je n’ai pas demandé un seul sou à mes parents. Dans ma famille, personne n’était entrepreneur.

Décideurs. Quels sont les secrets de votre réussite ?
P. T.
Une de mes qualités, sans doute la plus importante pour un entrepreneur, c’est l’intuition. Il faut sentir les bons et les mauvais coups pour éviter de faire des erreurs mortelles. Cela va de pair avec la connaissance du marché, le sens des affaires, mais également l’intelligence du bon sens. Deuxième élément essentiel : aimer les gens et avoir du charisme, du leadership. Quand vous travaillez dans le service, si vous n’aimez pas les gens, si vous ne vous intéressez pas à eux, ce n’est pas la peine. Vous devez les respecter. Chacun dans une entreprise contribue au succès de celle-ci. Et puis, bien sûr, il y a le travail, le courage, et distinguer ce qui relève de l’essentiel et de l’accessoire.

« Il existe dix ingrédients qui font les bonnes affaires. Si vous les réunissez tous, vous serez sur la voie du succès »


Décideurs. Vous avez mené plusieurs opérations d’acquisition et votre groupe connaît une croissance à deux chiffres depuis quinze ans. Qu’est-ce qui a fait vos bonnes affaires ?
P. T.
Il existe dix ingrédients qui font les bonnes affaires. Si vous les réunissez tous, vous serez sur la voie du succès. Tout d’abord, l’image de l’entreprise. La réputation est une denrée très fragile. C’est un travail de très long terme. Il vous faut dix ans pour l’acquérir, mais elle peut être ruinée en six mois. Puis il y a l’actionnariat. Celui-ci doit être stable, le capitalisme familial est idéal pour cela. Troisièmement, la clientèle. Elle doit être de qualité, mais aussi la plus diversifiée possible. Mon premier client représente seulement 2 % à 3 % de mon chiffre d’affaires. Vient ensuite la question de la rentabilité. C’est évident, mais la marge brute doit atteindre un niveau suffisamment élevé. Cinquième ingrédient, la croissance. L’entreprise doit se trouver sur un marché porteur et se trouver très vite en position de leader. Nul n’est numéro un par hasard. Sixième clé, les hommes. On doit pouvoir compter sur des collaborateurs de qualité, mais aussi s’appuyer sur un climat social apaisé. Septième point, l’ouverture à l’international. C’est incontournable aujourd’hui. Parmi les derniers ingrédients, on trouve les valeurs. Tout le monde doit y adhérer dans le groupe, avant même d’y entrer : le client c’est l’alpha et l’oméga. Puis, il faut ne pas être en concurrence avec un pays à bas taux de main-d’œuvre et développer une activité non délocalisable. Enfin, il faut s’assurer de la pérennité des contrats. Nous savons en début d’année quel sera notre chiffre d’affaires minimum.

Décideurs. Quelles sont les valeurs qui animent votre quotidien ? Quelle est votre vision de l’entrepreneuriat ?
P. T.
L’objectif premier d’une entreprise n’est pas d’embaucher, gagner de l’argent, distribuer des dividendes à des actionnaires ou investir. Tout cela n’est la conséquence que d’un seul objectif : avoir des clients et les garder. Trop de dirigeants confondent l’objectif avec les conséquences de l’objectif. Pour ma part, je consacre beaucoup de temps à mes clients. Ce sont eux qui nous font vivre. La deuxième valeur, c’est le travail en équipe. Il n’y a que des succès collectifs en entreprise. Bill Gates a réussi avec Microsoft parce qu’ils disposaient des meilleurs informaticiens dans le monde. Enfin, une entreprise qui n’innove pas meurt. L’entrepreneur doit être obsédé par l’idée de ce que doit être son entreprise à l’échéance de cinq ans ou dix ans.

Décideurs. Quels échecs/difficultés avez-vous rencontrés ?
P.T.
J’ai été au bord de la faillite pendant dix ans. Cela a été difficile, car l’entreprise a été agressée en permanence, de toute part et dès sa naissance. Par des clients qui tirent les prix vers le bas, par la puissance publique avec des contrôles ou de nouvelles normes, par les bailleurs de fonds et la concurrence bien sûr : il y a toujours des entreprises qui cassent les prix. J’ai connu quelques échecs bien entendu dans le choix des hommes ou dans certains rachats d’entreprises, mais rien de dramatique. J’ai eu l’intelligence de ne pas faire certaines affaires. Sur ma dernière acquisition, ICTS, j’avais l’intuition que ce serait une bonne affaire, contre l’avis de mes conseillers. Aujourd’hui, cette entreprise est un succès et nous a apporté une dimension internationale.

« Le conseil que je donnerais est simple : gardez la propriété de votre entreprise »


Décideurs. Si c’était à refaire, que changeriez-vous ? Pensez-vous que dans le contexte et l’écosystème actuels vous auriez pu réussir de la même manière ?
P. T.
Mon seul regret, c’est d’avoir perdu du temps. Quand j’ai démarré, je n’avais pas de stratégie déterminée, juste le goût de l’entrepreneuriat. Cela a duré vingt ans, car je manquais d’argent et de vision stratégique. Celle-ci aurait nécessité des investissements en hommes, en outils, en rachats. Si c’était à refaire, j’essayerais donc de définir une stratégie à long terme plus rapidement. La vitesse à laquelle aujourd’hui certaines entreprises se développent est impressionnante. L’exemple de Xavier Niel est frappant. Quant à la question de l’écosystème, il existe toujours. Mais je crois que chaque période est différente et n’obéit pas aux mêmes règles. Ce n’était pas plus facile avant que maintenant. Aujourd’hui, il existe beaucoup de dispositifs d’accompagnement pour les jeunes entrepreneurs ou incitatifs pour les entreprises, comme le CICE. Le regard des Français a également changé sur l’entreprise. C’est cette dernière qui résoudra le problème du chômage. Elle a besoin d’être libérée. La France bénéficie d’une main-d’œuvre formidable et on ne le dit pas assez. Les entrepreneurs ont besoin d’être soulagés du carcan administratif et social. On trouvait 600 articles dans le code du travail en 1973, 10 000 en 2015. En Suisse, il n’y a que 200 articles. CQFD.

Décideurs. Quel regard portez-vous sur toute la nouvelle génération d’entrepreneurs qui se lancent dans cette aventure ? Quels conseils leur donneriez-vous ?
P. T.
On ne peut que les encourager. Mais les jeunes entrepreneurs ont quelques fois oublié qu’une entreprise c’est un long chemin semé d’embûches, d’espoir, de contrariétés, de joie et de peine. Certains veulent exploser tout de suite comme Zuckerberg, mais cela reste exceptionnel. Trop ont gardé cette mentalité du « on construit vite, et on vend » pour se faire de l’argent rapidement. Pour s’enrichir plus vite, ils perdront alors leur pouvoir, leur majorité au capital et leur liberté. À aller trop vite et à investir fort, trop lourdement, certains échouent. Le conseil que je donnerais est donc simple : gardez la propriété de votre entreprise, quitte à aller moins vite dans votre développement. Mon groupe est aujourd’hui constitué de 82 sociétés. J’en ai tiré la conclusion qu’il est préférable de créer plutôt que de racheter, même si c’est plus lent. Enfin, je leur dirais de se lancer sur un marché existant, de ne pas hésiter à s’inspirer de ce qui existe et de le faire en mieux. Ne vous versez pas de salaire mirobolant pendant les premières années et entourez-vous bien. Surtout, consacrez 80 % de votre temps au développement ou à la relation clients et très peu à l’administratif. Si vous avez besoin d’argent, allez voir des entrepreneurs, des business angels, et non pas des banques ou des fonds.

Décideurs. Vous n’avez jamais ouvert le capital de votre entreprise à des partenaires extérieurs. Qu’est-ce qui a motivé ce choix ?
P. T.
La liberté.

Propos recueillis par Mathieu Marcinkiewicz

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