Les temps sont durs pour les prévenus d’infractions boursières ou fiscales. Par l’effet de questions prioritaires de constitutionnalité, préjudicielles, de revirements de jurisprudence de la part des cours de Strasbourg, du Luxembourg et françaises, d’opinions contraires et de réformes législatives, le droit applicable n’en finit pas d’évoluer. Le principe du non bis in idem se trouve au cœur d’un capharnaüm juridique dont la fin n’est pas encore programmée.

Le principe du non bis in idem fait encore et toujours parler de lui. Ce vieil adage latin selon lequel une personne ne peut pas être poursuivie deux fois pour les mêmes faits souffre de nombreuses exceptions face à une organisation judiciaire et administrative soucieuse de punir les délits boursiers et les fraudes fiscales. La récente mise en application du principe a bousculé l’ordonnancement juridique. Dorénavant, les instances de poursuite ne peuvent plus agir en vase clos. « C’est une vraie révolution! », réagit l’avocat pénaliste Hervé Temime. Celui qui a pris le relais d’Olivier Metzner aux côtés du cofondateur d’Altran Alexis Kniazeff, poursuivi pour fausses factures, a obtenu la relaxe en correctionnelle pour avoir été déjà sanctionné par l’Autorité des marchés financiers (AMF).

Une « erreur dramatique d’analyse »

Les illustrations de l’imbroglio jurisprudentiel ne manquent pas : l’affaire EADS, d’abord, a ouvert la brèche en France, puis les dossiers Cahuzac, Altran et Wildenstein notamment ont suivi. À chaque audience ses particularités et son lot de rebondissements. Les années passent et les zones d’ombre ne se dissipent pas. « Je ne comprends toujours pas où veut aller le Conseil constitutionnel », confie Jean-Daniel Bretzner, avocat associé chez Bredin Prat, qui défendait quant à lui l’ancien directeur général d’Altran Michel Friedlander. Un flou entretenu par le secret du délibéré imposé par la procédure de la rue de Montpensier, tandis que la Cour européenne des droits de l’homme, elle, diffuse les opinions de ses membres afin de permettre aux observateurs de connaître les divergences de point de vue. C’est grâce à cette publicité que l’on apprend qu’un magistrat portugais siégeant lors de la décision du 15 novembre 2016 – le seul des dix-sept s’étant opposé à la décision – a tenu des propos contestataires virulents, la qualifiant d’« erreur dramatique d’analyse ».

Stupeur et interrogations

Tout part du dossier EADS. La question prioritaire de constitutionnalité du 18 mars 2015 censure la double poursuite des délits boursiers par le parquet et la commission des sanctions de l’AMF. Le Conseil constitutionnel impose ainsi aux parlementaires français de légiférer pour que ces deux autorités n’agissent plus en parallèle mais conjointement, en établissant des règles de répartition des compétences. Après la stupeur et les interrogations, survient la loi du 21 juin 2016 qui s’emploie à fixer les règles en termes suffisamment vagues pour inciter les deux institutions à se mettre d’accord entre elles avant d’instruire. Un bon accord vaut mieux que deux mauvais procès.

L’affaire EADS a ouvert la brèche en France, puis les dossiers Cahuzac, Altran et Wildenstein ont suivi.

Et le nouveau principe a l’avantage de mettre fin à des situations particulièrement injustes. Dans un contexte de lutte contre les infractions minant le monde des affaires, les prévenus devaient répondre et se défendre devant les services d’instruction de deux autorités de poursuites différentes : mêmes interrogatoires, mêmes preuves, mêmes qualifications juridiques. Sans parler de la durée, l’instruction étant généralement menée sur plusieurs années, mêlée parfois d’incidents de procédure, aboutissant à une décision souvent frappée d’appel puis de cassation, quand ce n’est pas à une interruption de l’audience le temps de saisir la Cour européenne des droits de l’homme ou la Cour de justice de l’UE. Le dossier Altran a été, au printemps dernier, le terrain de ces aléas procéduraux. « Celui d’un sinistre de la justice en raison d’une durée de procédure inacceptable », juge Hervé Temime. Les prévenus peuvent largement atteindre un âge avancé, « faiblir, tandis que l’appareil judiciaire se renouvelle, lui. C’est une rupture de l’égalité des armes, commente Jean-Daniel Bretzner. Mon client, atteint de la maladie d’Alzheimer, a comparu muni d’un appareil électrique lourd sans lequel il ne peut se déplacer. Certains jours, la contrainte était tellement forte qu’il a sollicité l’autorisation de ne pas comparaître à l’audience. » Le directeur de la communication financière était ainsi poursuivi pour des faits remontant à 2001, condamné en 2007 par la Commission des opérations de Bourse (ex-AMF) puis une deuxième fois début 2017 par le tribunal correctionnel. Alexis Kniazeff était alors âgé de 74 ans.

Une petite révolution

Tous les avocats qui se sont confrontés à un dossier impliquant des doubles poursuites – Pierre Cornut-Gentille, Éric Dezeuze, Frédéric Pelletier, Aurélien Hamelle, Maurice Lantourne… – se disent satisfaits de ce changement de législation en matière de délits boursiers et fiscaux. Avocats de la défense face au ministère public, ils se félicitent même des relaxes qui s’enchaînent. Mais nombre d’entre eux s’inquiètent, cette hésitation judiciaire les emmenant à redouter l’issue des rebondissements. Certains craignent une gestion opportuniste et politique de la question au gré des dossiers. Pire, l’utilisation de la justice pénale à des fins purement fiscales. Parmi les plus anciens d’entre eux, habitués à l’inattaquable indépendance des contentieux, certains se sont retrouvés dans des situations fort peu confortables face à la brutalité des revirements. Hervé Temime croit à un « un vaste mouvement menant à l’exclusion totale des doubles poursuites, un système qui ne conduira pas à l’impunité mais au contraire à la responsabilité des parties poursuivantes devant choisir ». Sans aucun retour possible.

Pascale D'Amore

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