Présidente de la commission des sanctions de l’AMF depuis six mois, Marie-Hélène Tric tire un premier bilan. L’ancienne magistrate insiste sur les notions clés que sont la finalité de la sanction, la recherche d’amélioration de la poursuite des délits financiers et l’indépendance de l’institution.

Décideurs. Vous avez pris la tête de la commission des sanctions en avril dernier. Quelle a été votre première préoccupation??

Marie-Hélène Tric. Lorsque j’ai pris la relève de Michel Pinault, qui a rejoint le Conseil constitutionnel, je me suis dit que j’avais beaucoup de chance de succéder à des présidents qui ont fait beaucoup pour améliorer le fonctionnement et la qualité des travaux de notre commission. Je me suis aussitôt inquiétée de savoir comment je pourrai apporter autant qu’eux. Impossible de faire mieux. En travaillant aux côtés de Michel Pinault, Daniel Labetoulle et Claude Nocquet, j’ai pu constater que la procédure et la motivation des décisions n’ont ainsi cessé de s’améliorer ces dernières années. La technicité des dossiers et leur internationalisation ont également augmenté de façon incontestable.

 

Comment la procédure a-t-elle évolué??

Tout d’abord, la lettre d’introduction a été créée lors de la phase de l’enquête. Cela permet aux intéressés de connaître la position des enquêteurs et de faire des observations en réponse. Cette nouveauté a apporté une possibilité de discussion de la position des enquêteurs?: elle éclaire le collège de l’AMF lorsqu’il prend sa décision de notifier ou non des griefs. Un processus similaire existe aussi en fin de contrôle.

 

Cette procédure doit-elle encore être améliorée??

Si amélioration il y a, cela résiderait dans la phase postérieure à la notification de griefs. La commission des sanctions met déjà tout en œuvre pour respecter les droits de la défense. Mais il faut bien avouer que nous faisons face à une recrudescence de demandes de délais supplémentaires de la part des mis en cause. Le collège n’a donc que peu de temps pour répliquer. Je pense qu’il est très important que ses droits soient mieux respectés afin de renforcer le contradictoire dans le débat. Cependant, il y a aussi des modifications à apporter sur le fond, notamment en matière de motivation et de sanction.

 


« Nous faisons face à une recrudescence de demandes de délais supplémentaires de la part des mis en cause »

 

De quelle manière ferez-vous évoluer la motivation des décisions??

Bien que la commission des sanctions fournisse un travail continu afin que la motivation de ses décisions soit précise et complète tout en restant concise, elle peut être améliorée de plusieurs façons. Par exemple avec l’allègement des visas, l’exposé des moyens de défense ou l’écriture en style direct.

Dans l’ensemble, je ne pense pas que la motivation de nos décisions soit un problème, et il me semble qu’elles sont globalement bien comprises. Je pense que sur le fond, ce qui a le plus besoin d’améliorations, c’est la sanction.

 

Pourquoi la sanction doit-elle être « améliorée »??

Je suis convaincue qu’elle doit avoir un rôle pédagogique. Bien sûr, le but premier de la sanction est la dissuasion, et comme le disait Claude Nocquet, « la commission des sanctions de l’AMF est là pour faire peur ». Mais il faut aussi rappeler que nous n’avons pas affaire qu’à des délinquants?: la sanction doit donc tenir compte des cas où le manquement procède de mauvaises habitudes prises par certains professionnels. Dans d’autres situations, certains estiment que leur cas est si particulier que la réglementation ne s’applique pas à eux. Il est alors plus judicieux de les remettre sur les rails plutôt que d’essayer de leur faire peur, ce qui s’avérerait inutile.

 

Comment donner un rôle plus pédagogique à la sanction??

Ce que nous devons faire dans ces cas, c’est faire comprendre la portée que nous entendons donner à la règle qui peut avoir été mal perçue. Cela a été clairement rappelé dans plusieurs sanctions récentes, notamment celles concernant la pré-affection des ordres. La commission a clarifié la doctrine à travers ses décisions. Elle a par exemple mieux défini le métier de conseiller en investissements financiers (CIF) ainsi que les obligations entraînées par cette qualité. Nous avons également tracé de façon claire la ligne de partage entre un bien courant, relevant de simples transactions commerciales, et un bien divers, faisant l’objet d’opérations qui ne doivent pas échapper au contrôle de l’AMF.

Il y a en ce moment deux sujets en particulier qui doivent être clarifiés?: l’information financière diffusée par les sociétés cotées, qui nous a conduits à rendre plusieurs décisions largement commentées, et la composition administrative.

 

Quels sont les points que vous avez éclaircis en matière d’information financière??

Le grand principe auquel la communication financière obéit est simple?: les sociétés doivent diffuser au marché dès que possible toute information privilégiée. Cependant, elles peuvent, sous leur responsabilité et sous certaines conditions, en différer la diffusion. En théorie, cela ne pose pas de problème?: le diable réside dans la mise en œuvre de ce principe simple?! En effet, la formulation soulève beaucoup d’interrogations?: à partir de quand une information est-elle suffisamment précise pour devenir privilégiée?? Quand et dans quelles circonstances peut-on considérer que l’entreprise a bien communiqué « dès que possible »?? Le nouveau règlement européen sur les abus de marché, entrée en vigueur en juillet dernier, pourrait également changer la donne. Ces points doivent être précisés.

 

Et concernant la composition administrative??

Le législateur a prévu que, dans un souci d’économie de moyens, de rapidité et d’efficacité, le collège peut proposer à la personne à laquelle il notifie des griefs d’entrer en voie de composition administrative. Ce qui signifie qu’un accord sera passé entre le secrétaire général et le mis en cause, et devra être ensuite homologué par la commission des sanctions. Cette procédure représente environ un tiers de nos décisions, il est donc important d’en parler et de préciser que la commission n’est pas qu’une simple chambre d’enregistrement qui se contente d’apposer un tampon sur l’accord.

 

« La commission n’est pas qu’une simple chambre d’enregistrement qui se contente d’apposer un tampon sur l’accord »

 

C’est-à-dire??

Notre rôle est moins visible, mais pas moins important?: nous examinons le dossier en vérifiant la régularité de la procédure, l’adéquation des faits établis par le contrôle avec ceux décrits dans l’accord, les textes visés et leur adéquation avec ceux de la notification de griefs et la qualification. La commission délibère aussi sur le montant de l’engagement pécuniaire et sur les engagements destinés à mettre fin aux irrégularités, voire à indemniser les victimes.

 

Pour conclure, quel bilan tirez-vous de vos premiers mois de présidence??

Il me semble que le faible taux de réformation de nos décisions devant les juridictions de recours témoigne de leur qualité, ainsi que de celle de nos procédures. De plus, dans un arrêt récent, la CEDH a pu constater que la commission des sanctions de l’AMF était indépendante et impartiale, ce qui nous satisfait particulièrement.

 

Propos recueillis par Emilie Smelten (lors du 9e neuvième colloque de la Commission des sanctions de l’AMF)

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