Par Nicolas Dourlens, avocat associé. Frêche & Associés
Si les conséquences d’un recours engagé contre la délibération autorisant la vente d’un bien immobilier d’une personne publique ne doivent pas être sous-estimées tant elles peuvent être très lourdes, le besoin de renforcer la sécurité juridique des opérations permet le développement de solutions pragmatiques de régularisation en cas d’annulation.

Si l’essentiel du contentieux des contrats conclus par les personnes publiques se rapporte à leurs contrats administratifs (marchés publics, concessions, contrats de partenariat, etc.), un certain nombre de litiges concerne également les contrats de droit privé qu’elles sont amenées à conclure. Parmi ceux-ci se trouvent les contrats de vente par lesquels elles cèdent à un tiers (un promoteur immobilier par exemple) une dépendance immobilière leur appartenant et relevant de leur domaine privé.
Or, pour ces actes, sont susceptibles de recours devant le juge administratif, non seulement la délibération en autorisant la signature (1) (ce qui est parfaitement intégré par les praticiens et les notaires), mais aussi la décision de signer (2), matérialisée concrètement par la signature que le représentant de la personne publique appose sur l’acte (ce qui n’est pas toujours intégré par les praticiens et les notaires).

Les conséquences d’un tel recours ne doivent pas être sous-estimées…
Elles sont de trois ordres :
1. Tout d’abord, en lui-même, le recours peut tout simplement faire obstacle à la réalisation de la vente pour peu que celle-ci, comme c’est en règle générale l’usage, a été conclue sous la condition suspensive du caractère définitif de la délibération l’autorisant.
Ainsi, alors qu’un recours n’a en principe jamais d’effet suspensif, il produit en pratique cet effet, et c’est d’ailleurs bien ce que recherche souvent son auteur : bloquer la réalisation de l’opération par le seul exercice d'un recours, surtout s’il veille à suffisamment bien le construire et à l’argumenter pour inciter les parties au statu quo, voire à abandonner le projet de vente.
Incidemment, apparaît ici tout l’intérêt pour les parties (et surtout pour l’acquéreur) de faire relever des conditions suspensives le caractère définitif de la délibération autorisant la signature de la promesse de vente puis celle de la vente, mais aussi de la décision de signer puisque si tel n’est pas le cas, le promettant-acquéreur peut être tenu d’acquérir en dépit de l’existence d’un recours engagé contre la décision de la personne publique cédante de signer
la promesse.

2. Ensuite, en supposant que l’engagement d’un tel recours ne fasse pas obstacle à la réalisation de la vente, son aboutissement est susceptible d’entraîner à terme sa résolution pure et simple.
La décision du Conseil d’État Époux Lopez (3) en fournit l’illustration : après avoir obtenu d’abord de la juridiction administrative (compétente à raison du caractère administratif de la délibération) l’annulation de la délibération autorisant la vente d’un bien immobilier d’une commune, les requérants sont parvenus à faire prononcer ultérieurement par le juge judiciaire (compétent s’agissant d’une vente immobilière) la résolution de la vente et la restitution de l’immeuble et du prix de celui-ci (4).

3. Enfin, et ce point est probablement le plus générateur de difficultés, la revente du bien peut s’avérer particulièrement complexe, voire impossible.
Cela peut être le cas lorsqu’une commune vend à un promoteur pour que celui-ci réalise son opération immobilière, revendue par lot en l’état futur d’achèvement. N’est-il pas risqué de procéder aux ventes subséquentes si la vente du terrain d’assiette est contestée devant la juridiction administrative ? Tel un château de cartes, ces ventes ne risquent-elles pas d’être affectées dans l’hypothèse où la délibération autorisant la vente du foncier serait annulée ? Ou, pire encore, dans l’hypothèse où cette vente serait annulée ?

... sans toutefois être exagérées
En premier lieu, parce qu’en pratique, une telle issue requiert de la part du requérant une certaine pugnacité, pour ne pas dire de l’endurance et du temps puisqu’il va lui falloir d’abord obtenir du juge administratif qu’il annule (définitivement) la délibération et qu’il enjoigne à la personne publique de tirer les conséquences de cette annulation. Puis il faudra qu’il obtienne du juge judiciaire qu’il annule effectivement la vente, sans garantie que ce dernier se considère nécessairement tenu par les décisions rendues antérieurement par le juge administratif.
L’affaire Époux Lopez précitée offre de tout cela une illustration intéressante même si l’affaire est trop exceptionnelle pour être considérée comme représentative de l’état de la jurisprudence : initialement réalisée en exécution d’une délibération adoptée en novembre?1986, la vente n’a été annulée qu’en mai?2000, soit quatorze ans plus tard, après un jugement de tribunal administratif, trois arrêts du Conseil d’État, deux jugements de tribunal de grande instance, trois arrêts de cours d’appel et un arrêt de la Cour de cassation.

En deuxième lieu, parce que le principe en vigueur dans la jurisprudence administrative est celui selon laquelle «?l'annulation d'un acte détachable d'un contrat n'implique pas nécessairement la nullité dudit contrat?» (5). Cela signifie en pratique que ce n’est que si la délibération est entachée d’un vice d’une particulière gravité que les parties au contrat risquent de se voir contraintes d’en tirer les conséquences et de résoudre leurs accords ou de demander au juge du contrat de le faire.
En dernier lieu et surtout, parce que la jurisprudence s’oriente de plus en plus avec pragmatisme vers des solutions de régularisation. Le Conseil d’État a ainsi déjà pu juger, au cas d’un recours visant la délibération d’une commune qui avait autorisé une vente, que la commune «?peut procéder à [la] régularisation [de la vente], indépendamment des conséquences de l'annulation sur le contrat lui-même [et] qu'elle peut ainsi, eu égard au motif d'annulation, adopter un nouvel acte d'approbation avec effet rétroactif, dépourvu du vice ayant entaché l'acte annulé?» (6).
Sur ce dernier point, on peut supposer que l’habileté des rédacteurs des actes, la nécessité de préserver l’intérêt général ou encore tout simplement l’impossibilité matérielle de parfois remettre les choses dans leur état initial sont autant d’éléments qui devraient permettre de régulariser les ventes dont la délibération les autorisant aura été annulée par le juge administratif.

1. CAA Versailles, 6 novembre 2008, Commune de Velizy-Villacoublay, n°06VE01270.
2. CE, 11 août 2009, Commune de Les Vans, n°317516, à propos d’un protocole foncier.
3. CE, Sect., 7 octobre 1994, Époux Lopez, n°124244.
4. CA Riom, 18 mai 2000, RFDA 2002, p. 538
5. CE, 28 janvier 2013, Syndicat mixte Flandre Morinie, n°358302.
6. CE, 8 juin 2011, Commune de Divonne-les-Bains, n°327515

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