L’ordonnance n° 2017-562 du 19 avril 2017 relative à la propriété des personnes publiques en n’usant que partiellement de l’habilitation donnée par la loi n° 2016-1661 du 9 décembre 2016, dite loi Sapin 2, laisse de côté la question de la mise en concurrence des cessions ou locations des dépendances immobilières du domaine privé des collectivités territoriales. Nonobstant cette carence, est-il pour autant toujours possible de conclure au libre choix de l’opérateur au vu, notamment, de l’arrêt Promoimpresa, élément déclencheur de la réforme ? Le Conseil d’État continue à répondre, pour l’instant, par l’affirmative.

Par Frédéric Marchand, avocat associé du cabinet Cornet Vincent Ségurel (Nantes-Paris-Rennes-Lille-Bordeaux- Lyon), qui dirige le pôle droit public économique du bureau de Nantes depuis dix-neuf ans. Outre une importante activité contentieuse dans ce domaine, il conseille notamment les collectivités territoriales, entreprises publiques locales mais aussi des opérateurs privés dans le choix, le suivi du mode de réalisation et de gestion d’opérations immobilières complexes.

 

L’article 34 de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016, dite loi Sapin 2, habilite le gouvernement à intervenir par voie d’ordonnance pour définir des mesures de publicité préalables à la délivrance de certaines autorisations d’occupation du domaine public, mais aussi, pour fixer les règles « régissant les transferts de propriété réalisés par les personnes publiques, en vue de prévoir des obligations de publicité et de mise en concurrence préalables aux opérations de cession et de faciliter et sécuriser leurs opérations immobilières ». Vis-à-vis des dépendances des collectivités territoriales et de leurs groupements, le gouvernement n’est toutefois pas tenu d’intervenir et peut décider d’adopter un régime différent de celui applicable à l’État. L’ordonnance n° 2017-562 du 19 avril 2017 relative à la propriété des personnes publiques retient ainsi une approche minimum puisque se limite à soumettre à une obligation de publicité et de mise en concurrence certains titres d’occupation du domaine public. Elle laisse ainsi à l’écart les cessions et l’octroi de titres d’occupation portant sur des dépendances privées des collectivités territoriales.Sont ici naturellement visées les cessions ou les locations dites « sèches » c’est-à-dire ne procurant pas d’intérêt économique direct pour la collectivité cédante et susceptibles d’être qualifiées de contrat de commande publique (marché public, concession de travaux, concession d’aménagement, etc.), et devant à ce titre faire l’objet d’une mise en concurrence.

 

Une liberté de cession non encore supprimée

Tout en regrettant que le gouvernement n’ait pas, à ce jour, usé pleinement de l’habilitation conférée par l’article 34 de la loi Sapin 2, une partie de la doctrine exclut d’ores et déjà la liberté de cession dont bénéficieraient les collectivités territoriales, plus particulièrement, lorsque l’opération porte sur des dépendances constituant le siège d’une activité économique. Il est notamment soutenu que :

  • en accordant une autorisation domaniale pour exercer une activité commerciale, la collectivité consent un avantage économique à l’opérateur susceptible de créer une discrimination anticoncurrentielle au détriment du concurrent, pratique relevant des pouvoirs de censure du juge administratif
  • la mise à disposition ou la cession de ressources domaniales doivent être compatibles avec les libertés que concède le Traité européen et qui militent pour l’abandon d’une gestion discrétionnaire des occupations privatives dès lors qu’elles conditionnent l’exercice d’une activité économique
  • les impératifs de transparence et de moralisation de la vie publique tendent, eux aussi, à organiser une procédure de publicité
  • une mise en concurrence permet de garantir au mieux la valorisation d’une dépendance domaniale.

 

Des précautions indispensables

Cette position paraît d’autant plus consolidée au vu de l’arrêt de Cour de Justice de l’Union européenne Promoimpresa et ayant servi d’élément déclencheur de la réforme précitée pour soumettre à une procédure adaptée l’octroi des titres d’occupation du domaine public. Cet arrêt énonce que la situation domaniale, si elle bénéficie à un opérateur économique, implique une obligation de publicité préalable. Mais, quelle que soit la pertinence de ces motifs se rapportant essentiellement aux autorisations du domaine public, force est de constater qu’elle n’est pas à ce jour partagée par le Conseil d’État qui a récemment confirmé l’absence de toute disposition législative ou réglementaire imposant « à une personne morale de droit public autre que l’État de faire précéder la vente d’une dépendance de son domaine privé d’une mise en concurrence préalable ». Sous réserve d’être exemptes de toute commande publique, les opérations de cession ou de locations immobilières paraissent donc pouvoir (toujours) être réalisées sans publicité préalable. La maîtrise du risque juridique exige, cependant, de prendre un certain nombre de précautions visant à « banaliser » la vente ou la location immobilière lorsqu’elle présente, notamment, une certaine importance :

  • l’opération conduisant à la vente doit nécessairement être commencée et conçue par le cessionnaire et non provoquée par la collectivité
  • la collectivité cédante doit s’abstenir de s’immiscer dans la réalisation et la gestion du programme de l’opération immobilière, exception faite de l’exercice de son pouvoir de police d’urbanisme (remaniement éventuel des règles de planification et délivrance des autorisations d’urbanisme)
  • elle ne doit bénéficier d’aucun intérêt direct manifeste consécutivement à la vente
  • le prix doit, dans la mesure du possible, être cohérent avec l’estimation domaniale, un rabais du prix ou du loyer pourrait être considéré comme dissimulant une contrepartie au bénéfice de la collectivité, etc.

Faute de telles précautions, la vente ou la location de gré à gré sera fragilisée. Au-delà de la question des règles de la commande publique, plus particulièrement en cas d’écart entre le prix proposé et l’évaluation des domaines, une critique pourrait également être opposée au titre de la réglementation des aides économiques. Aussi, dans une telle situation, il sera bien nécessaire, tel comme a pu d’ailleurs le considérer la Commission européenne, de procéder à une procédure de consultation, faisant appel au marché, qui pourra légaliser le prix retenu. Au final, les collectivités paraissent bien toujours pouvoir bénéficier de la liberté de céder ou de louer des dépendances de leur domaine privé pour la réalisation d’opérations étrangères à la satisfaction d’intérêts publics formalisées selon les conditions notamment économiques du marché, telles que définies par France Domaine.

 

Les points clés

  • S’agissant des dépendances du domaine privé, l’ordonnance n° 2017-762 du 19 avril 2017 reste silencieuse sur l’obligation d’organiser une procédure de consultation préalable à une cession ou une location.
  • Nonobstant le resserrement de la jurisprudence européenne, le Conseil d’État, dans l’arrêt Sociétés Procedim et Sifimmo, vient toutefois de confirmer qu’il n’existe aucune disposition législative ou réglementaire imposant une procédure de consultation.
  • L’absence de mise en concurrence, si elle peut toujours être admise, doit toutefois être assortie de précautions liées notamment à l’absence de toute manifestation de commande publique.

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