Par Nathalie Atlan, avocat. Cabinet Atlan
Cette réforme ne peut laisser indifférents, ni les usagers, ni les praticiens des baux commerciaux, tant sa mise en application prévoit d’être délicate. L’incidence financière de cette nouvelle législation va-t-elle générer un changement de stratégie des bailleurs dans la gestion de leur parc locatif ? L’objectif de cette loi visant à renforcer la protection du commerçant locataire sera-t-il sauvegardé ?

La Loi n°2014-626 du 18?juin 2014 dite «?Pinel?» et son décret d’application n°2014-1317 du 3?novembre 2014 ont bouleversé le statut des baux commerciaux. Les dispositions spécifiques aux charges et travaux sont d’ordre public, de sorte qu’aucun bail ne peut y déroger, et applicables à tout contrat conclu ou renouvelé à compter du 5?novembre 2014.

Obligation d’information du bailleur sur les charges imputables au locataire
Dorénavant, tout contrat de bail doit comporter un inventaire précis et limitatif des catégories de charges, impôts, taxes et redevances liés à ce bail comportant l’indication de leur répartition entre le bailleur et le locataire (Art.?L.145-40-2 du C. de Com).
Cet inventaire doit donner lieu à un état récapitulatif annuel comprenant la liquidation et la régularisation des comptes de charges ou la reddition des charges de copropriété qui devra être communiquée au preneur dans les délais de l’art. R.145-36 du C. de Com.

Cet état récapitulatif annuel doit-il viser la totalité des charges et impôts relatifs au bail ou seulement celles imputables au locataire. Il semblerait de manière logique que seules ces dernières soient concernées. Restons toutefois prudents. Le bailleur doit-il communiquer un état récapitulatif en cours de bail ? Dès lors qu’une nouvelle charge serait amenée à être refacturée au preneur, il conviendrait de le prévoir dans un souci de transparence.

Le bail doit aussi prévoir un état récapitulatif des travaux que le bailleur a réalisé dans les trois années précédentes mentionnant leur coût, et un état prévisionnel de travaux qu’il envisage de réaliser pendant les trois premières années du bail assorti d’un budget prévisionnel lesquels seront communiqués au locataire dans le délai de deux mois à compter de chaque échéance triennale à la demande du locataire. (Art.?R.145-36 du C. de Com). En vue de protéger le locataire, il aurait été préférable que cet état soit adressé au moins six mois avant chaque échéance triennale, ce qui aurait permis au locataire de délivrer si besoin est, un congé triennal.

Il est prévu pour les ensembles immobiliers que le contrat de bail précise la répartition des charges et travaux entre les différents locataires ou occupants. Que doit-on entendre par ensemble immobilier ? L’ensemble immobilier doit-il appartenir au même bailleur ?

La loi précise également que cette répartition est fonction de la surface exploitée. Que doit-on prévoir dans les immeubles ou les centres commerciaux dans lesquels la répartition se fait par tantièmes ? Les bailleurs devront alors jongler entre une répartition par rapport aux surfaces exploitées et celle aux tantièmes de copropriété ? Faudra-t-il à terme modifier les règlements de copropriété ? Quoi qu’il en soit, il est prévu à l’article L.145-40-2 du C. de Com que le montant des charges et travaux imputables au locataire doit correspondre strictement à la surface exploitée.

Les impôts suivront le même sort et correspondront à la surface du local loué et à la quote-part des parties communes.
Nous devrions être rassurés. Toutefois, l’article R.145-35 prévoit que la répartition entre les locataires des charges, impôts, coût des travaux peut être conventionnellement pondérée. Ces deux dispositions sont contradictoires. Dans quelle hypothèse, le bailleur serait en mesure de pondérer cette répartition? S’agit-il du cas particulier des Centres Commerciaux ?

Une répartition des charges entre bailleur et locataire « sous contrôle » ?
La Loi et le décret «?Pinel?» marquent l’apparition des charges locatives, travaux et impôts dans le cadre du statut des baux commerciaux et mettent fin à la liberté contractuelle en vigueur, bien que la jurisprudence s’était chargée d’interpréter les baux en faveur du preneur dès lors que la clause «?charges?» manquait de clarté ou précision.

Cette nouvelle législation a aboli également le «?bail net de toutes charges?».
A présent, l’Art. R.145-35 du C. de Com dispose que ne peuvent donner lieu à récupération auprès du locataire :

1. les dépenses relatives aux grosses réparations (art 606 du C. Civ.) et les honoraires liés à de tels travaux. S’agit-il de gros travaux de l’article?606 du Code civil portant sur le local loué et sur l’immeuble dont dépend le local ?

2. les dépenses relatives aux travaux ayant pour objet de remédier à la vétusté ou de mettre en conformité avec la réglementation le bien loué ou l’immeuble dans lequel il se trouve, dès lors qu’ils relèvent des grosses réparations de l’article 606.
Voici un alinéa qui ne semble pas plus précis. Les travaux dus en raison de la vétusté concernent-ils le local seul ou aussi les parties communes ? Il en résulte que tous travaux liés à la vétusté ou de mise aux normes, ne dépendant pas de l’article 606 du Code Civil, peuvent incomber au preneur.

3. les impôts (notamment la CET), taxes et redevances dont le redevable légal est le bailleur. Toutefois, peuvent être répercutées sur le locataire : la taxe foncière et ses taxes additionnelles, les taxes et redevances liées à l’usage du local ou de l’immeuble ou à un service dont le locataire bénéfice directement ou indirectement (taxe de balayage, TEOM).

4. les honoraires du bailleur liés à la gestion des loyers du local.
Sont ainsi a priori exclus du décret Pinel : les honoraires de gestion technique du bailleur, les honoraires de gestion du syndic de l’immeuble et la prime d’assurance du bailleur.

5. dans un ensemble immobilier, les charges, impôts et le coût des travaux relatifs à de locaux vacants ou imputables à d’autres locataires.
De nouveau, un alinéa en contradiction avec l’article qui prévoit la pondération de la répartition des charges entre locataires, mais qui conforte l’article L.145-40-2 du C. de Com prévoyant la répartition des charges au prorata de la surface occupée. Enfin, il faut attendre le dernier alinéa de l’article R.145-35 du C. de Com qui «?sauve?» le bailleur : sont exclues des dépenses mentionnées aux 1° et 2°, celles se rapportant à des travaux d’embellissement dont le montant excède le coût du remplacement à l’identique, sous réserve que celui-ci démontre l’embellissement (notion à définir) et que le coût soit plus élevé que celui de la remise en état.

Les rédacteurs d’acte devront redoubler d’ingéniosité pour protéger les intérêts des parties, éclairer et recueillir leur consentement dans le cadre d’un acte qui sera soumis à la loi Pinel et à ses difficultés d’interprétation.

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