Les avocats sont de plus en plus nombreux à se positionner comme des acteurs incontournables de l’entreprise, n’hésitant plus à s’afficher comme leur conseiller stratégique. August Debouzy constitue un cas d’école en la matière puisqu’il a organisé sa nouvelle identité autour de cette idée. Décryptage.

Indicible, impalpable… Mais le sentiment qui naît chez la personne qui passe la porte d’August Debouzy (AD) au 8 avenue de Messine est soigneusement travaillé. Cela s’appelle une expérience client. Cette notion en vogue dans le monde des communicants et spécialistes des marques vient de faire son apparition dans l’univers des cabinets d’avocats d’affaires. «?La marque était encore récemment de la communication. Aujourd’hui, c’est avant tout de l’expérience?», confirme Denis Bonan, associé fondateur de Denelen, une société de conseil par la marque.

 

Et chez AD, c’est justement l’objectif recherché. «?Bonjour Madame, que souhaitez-vous boire?? Comme d’habitude???», s’enquiert ainsi l’hôtesse d’accueil dans les règles de l’art des palaces français. «?Notre souhait est clair?: dès qu’une personne fait appel à AD, il faut qu’elle sente qu’elle est importante et que nous allons prendre soin d’elle. Au-delà de l’expertise des avocats, l’ensemble de l’équipe du cabinet doit participer à son image?», explique celui qui a piloté ce «?rebranding?», Patrick Ramon, secrétaire général de la structure.

 

«?Bonjour Madame, que souhaitez-vous boire?? Comme d’habitude???», s’enquiert ainsi l’hôtesse d’accueil dans les règles de l’art des palaces français

 

Bousculer les codes du marché

August Debouzy a utilisé les grands moyens pour le renouveau de sa marque?: site internet, logo, papeterie, goodies, ambiance olfactive, accueil, plaque d’entrée, couleurs, cartes de visite, etc. La nouvelle identité visuelle privilégie le noir et le blanc, des touches de couleurs agrémentant les supports de communication. Ces derniers ont également été revisités, avec une approche marketing similaire à celle d’une entreprise (publication d’un magazine d’actualité, encarts publicitaires, spot vidéo, etc.). «?L’ensemble des personnes qui travaillent chez AD doivent se reconnaître dans cette nouvelle marque. Lors de sa présentation, l’adhésion a été unanime?», se souvient Patrick Ramon. En d’autres termes, cette stratégie de déploiement de la nouvelle marque doit susciter un sentiment d’appartenance chez l’ensemble des collaborateurs.

 

Bien conscient de bousculer les codes du marché, August Debouzy – et non plus August & Debouzy – affirme ainsi son positionnement?: faire plus que le métier d’avocat. Pour cela, il s’affranchit des règles institutionnelles et du vocabulaire utilisé communément dans la profession. C’est d’ailleurs ce qui saute aux yeux de Michel Perret, directeur général en charge des stratégies chez Leo Burnett France, lorsqu’il visite pour la première fois le nouveau site d’AD?: «?On ne comprend pas immédiatement que ce sont des avocats.?» Une remarque spontanée qui coïncide avec l’objectif du cabinet français. Ce n’est en effet qu’en plongeant dans le site que les mentions de «?cabinet d’avocats?» apparaissent.

 

Une vraie prise de risque

Pour ceux qui ne connaissent pas le cabinet, la nouvelle identité constitue en effet une vraie prise de risque. Denis Bonan, qui fait partie de ceux-là, en perçoit la raison?: «?Nous sommes face à une rupture. Ces avocats ne mettent pas en avant leur métier mais plutôt leur promesse, prennent de la hauteur, questionnent sur la croissance économique, etc.?» Selon ce spécialiste des marques, AD sort du sillon et trace sa propre route, interpelle. Au risque de créer une confusion sur la nature de son activité, ce qui n’a pas échappé aux promoteurs du projet.

 

«?Nous sommes face à une rupture. Ces avocats ne mettent pas en avant leur métier mais plutôt leur promesse, prennent de la hauteur, questionnent sur la croissance économique, etc.?»

 

Tout d’abord, une agence de communication dédiée aux professions du droit a été retenue au détriment des grands acteurs généralistes pour le déploiement d’«?Odyssée 2020?», nom de code interne du projet. Fins connaisseurs du marché, Eliott & Markus avait pour objectif principal de refléter le vrai positionnement de leur client. AD met depuis longtemps en avant l’implication de ses avocats dans les réflexions de société à travers leurs interventions dans des conférences, des articles de presse, l’élaboration de rapports publics ou leur contribution à l’activité de think tanks. Le garde des Sceaux a par exemple sollicité l’associé Kami Haeri pour une réflexion sur l’avenir de la profession d’avocat et un rapport a été remis à la Chancellerie fin janvier. Emmanuelle Barbara, qui dirige le cabinet depuis 2001, est souvent remarquée pour son discours prospectif lors de keynotes. Et le fondateur Gilles August est lui-même un homme de réseau, doté d’une vision éclairée sur la société et souvent sollicité par les médias.

 

Tracer sa propre route

La difficulté pour le cabinet a notamment été de matérialiser cette ouverture à travers une identité visuelle dans laquelle tout évoque le service haut de gamme. Denis Bonan poursuit son interrogation?: «?Est-ce que tout ça n’est que du marketing ou ont-ils travaillé leurs offres?? Dans tous les cas, ils donnent l’impression d’être armés pour tenir leurs promesses.?» L’expert poursuit?: «?Ces avocats ont défini un territoire de marque et de communication par des visuels de paysages arides et sauvages, ce qui les relie à leur capacité à s’adapter au monde moderne et de demain.?»

 

C’est exactement le message que veut faire passer le cabinet. «?Les paysages lunaires choisis pour illustrer notre site signifient que nous sommes là pour accompagner les clients sur des territoires inconnus. Nous avons conscience qu’il est difficile d’anticiper l’avenir. Nous nous plaçons en mode agile pour être prêts à toutes les éventualités?», explique Patrick Ramon. Effectivement, l’utilisateur du site d’August Debouzy peut ressentir une sensation de chaleur, de sécheresse, à travers le travail du photographe David Meignan. Un souci de vraisemblance, de «?réalité?» se cache derrière ces paysages non identifiables. Raison pour laquelle le cabinet a écarté l’idée d’utiliser des images de la Lune ou de Mars, qui aurait brouillé le message.

 

Le réalisme se retrouve également dans les portraits des avocats. «?Nous voulons faire le contraire des photos Harcourt, c’est-à-dire nous montrer comme nous sommes. Grâce à ces photos qui ne gomment pas les défauts, le visiteur a l’impression que les personnes présentées sont en face d’eux?», explique le secrétaire général. L’idée est qu’il n’y a pas de décalage entre l’image et le sujet. C’est d’ailleurs une des réticences formulées par les avocats eux-mêmes lorsqu’ils se sont vus?: un «?trop grand réalisme?»?!

 

«?Jusqu’à présent, notre positionnement était instinctif. Aujourd’hui, notre présentation est cohérente avec notre identité?»

 

Messages codés

Le plus subtil des messages codés est certainement l’objectif pour­suivi par le cabinet lors du lancement de ce rebranding. «?Jusqu’à présent, notre positionnement était instinctif. Aujourd’hui, notre présentation est cohérente avec notre identité?», résume Patrick Ramon. Le cabinet prend ainsi une longueur d’avance sur ses concurrents, même américains, qui constituent pourtant le marché le plus mature en matière de prestation juridique et d’image. Est-il allé trop loin?? «?Le site met l’utilisateur devant une structure complexe, avec de nombreux niveaux de navigation, alors que le droit est déjà une montagne pour les non-juristes?», réagit Michel Perret. «?Nous n’avons eu aucune contrainte et ne nous sommes posé aucune limite, excepté celle d’orienter le client?», réplique Patrick Ramon, chez qui le souci de prendre le lecteur par la main a été prégnant. «?On ne peut pas plaire à tout le monde?», nuance son contradicteur.

 

Autre critique formulée?: «?Il manque cruellement de références aux clients, comme si le site ne parlait que des avocats eux-mêmes. Or, un site corporate s’adresse avant tout aux clients, pas aux équipes internes?», relève Michel Perret. Une critique anticipée par AD, qui a pris le parti de ne pas demander à ses clients de les recommander pour servir de référence sur le site. Le cabinet sait en revanche communiquer sur ses dossiers «?lorsque les clients nous y autorisent voire nous le demandent?», tempère Patrick Ramon. «?En cassant les codes du marché, AD se comporte en challenger », conclut Denis Bonan. Sauf qu’il n’est plus dans cette position depuis longtemps déjà. Cela lui vaudra-t-il d’être copié ou d’alimenter la réflexion de ses concurrents les plus audacieux?? L’avenir le dira.

 

Pascale D’Amore

 

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