Alors que le combat en vue de l’obtention du « legal privilege » se poursuit en France au niveau législatif, un arrêt de la Cour de cassation du 3 novembre 2016 vient fournir aux juristes un cas pratique auquel il n’est pas exagéré d’accorder une importance emblématique.

Par Jean-Charles Savouré, président d'honneur de l'Association français des juristes d'entreprise (AFJE)

 

Les faits d’abord?: des actionnaires sont en litige à propos d’une société commune américaine. L’un, Metabyte, société américaine, se prétend victime d’un comportement déloyal du groupe français Technicolor. Pour étayer ses allégations, Metabyte a recours à l’article 145 du code de procédure civile qui permet au juge statuant sur requête ou en référé, d’ordonner «?toute mesure d’instruction légalement admissible?» lorsqu’il existe «?un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige?».

 

Par ordonnance sur requête, le juge autorise une mesure d’investigation du siège de trois sociétés françaises du groupe Technicolor sur «?tous documents, dossiers, données informatiques, fichiers, courriels et informations?» en rapport avec les faits rapportés, et notamment les échanges intervenus, avec une liste de personnes dénommées, y compris le vice-président et general counsel d’une filiale américaine du groupe Technicolor supposée être intervenue dans les faits.

 

Contradiction

Portée devant la Cour de cassation, l’affaire soulevait donc la question suivante?: l’article 145 peut-il permettre de saisir et de communiquer des pièces que l’on sait couvertes par un privilège de confidentialité conféré par une loi étrangère1??

 

Par un surprenant attendu, la Cour de cassation approuve la cour d’appel d’avoir considéré que «?le secret professionnel ne constitue pas en lui-même un obstacle à l’application de l’article 145?», ajoutant tout de même – et presque de façon contradictoire – que seule la communication des correspondances entre avocats reste protégée conformément à l’article 66-5 de la loi du 31?décembre 1971. Cet article, rappelons-le, dispose que les consultations adressées par un avocat à son client et les correspondances échangées entre ces derniers «?sont couvertes par le secret professionnel?». Or, en l’espèce, quand bien même les pièces litigieuses émanaient d’un juriste interne ayant la qualité d’avocat aux États-Unis, bénéficiaire à ce titre du privilège de confidentialité prévu par le droit américain, cette disposition ne pouvait s’appliquer puisque ledit juriste n’avait pas la qualité d’avocat au regard du droit français. Ses avis pouvaient donc être saisis et communiqués à la partie adverse.

 

Que retenir de cette affaire??

À ceux qui doutent encore de l’intérêt pour les juristes d’entreprise français de poursuivre le combat en vue de l’obtention du legal privilege, il faut redire qu’en France, dans tout domaine impliquant un litige à venir, les parties peuvent se voir accorder avec l’article 145 l’accès aux pièces de l’adversaire?! L’affaire Technicolor n’a, de ce point de vue, rien d’unique mais elle a le mérite d’en fournir une illustration marquante.

 

À propos de la protection des avis des juristes opérant en France, on savait déjà qu’en l’absence de texte le prévoyant, leurs échanges n’étaient pas protégés. Ce qui restait en suspens, c’était le sort des avis des juristes internes étrangers qui, forts d’une réglementation ne distinguant pas juriste interne ou externe, bénéficient pour leurs avis du privilège de confidentialité. L’arrêt de la Cour de cassation fixe désormais le droit en la matière. Dans les groupes internationaux, où le fonctionnement de la direction juridique repose sur une communication libre entre juristes de différentes nationalités, l’impact est loin d’être trivial.

 

Forum shopping

Avec cet arrêt, se trouve clairement encouragée la pratique du forum shopping dans les litiges internationaux. Sur la base d’un lien de rattachement avec la France, il devient possible de cibler la direction juridique de la filiale française de l’adversaire avec l’objectif d’appréhender des pièces dont une juridiction étrangère aurait refusé la communication. Voici que les juristes deviennent des cibles de collecte de preuves à charge contre l’entreprise qu’ils ont pour mission de défendre.

 

 

1 On notera que ne faisait pas débat le point de savoir si les communications en cause étaient couvertes par le legal privilege américain. Technicolor produisait une opinion d'un cabinet d'avocats américain confirmant que tel était bien le cas.

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