Par Guillaume Marchais, avocat associé, et Philippe Martini-Berthon, avocat collaborateur. Marchais & Associés
Par une ordonnance n° 2014-1348 du 12 novembre 2014 modifiant les dispositions du Code de la propriété intellectuelle relatives au contrat d’édition, le pouvoir exécutif a modifié le paysage du contrat d’édition littéraire en l’adaptant à l’ère numérique. En effet, depuis la date de l’entrée en vigueur de l’ordonnance le 1er décembre dernier, le contrat d’édition regroupe désormais l’édition imprimée classique d’une œuvre ainsi que l’édition de cette œuvre sous une forme numérique.

Les nouvelles dispositions que l’on retrouve désormais inscrites au Code de la propriété intellectuelle touchent essentiellement :

- à la forme du contrat d’édition ;
- à la nouvelle obligation pour l’éditeur de procéder à la publication de l’œuvre sous une forme numérique lorsque les droits ont été cédés par l’auteur ;
- aux possibilités laissées à l’auteur en cas de non-respect de cette obligation et à la forme de réédition des comptes dus par l’éditeur à l’auteur ;
- à la possibilité pour l’une ou l’autre des parties de mettre fin au contrat en cas de constat d’un défaut durable d’activité économique dans l’exploitation de l’œuvre, y compris l’exploitation numérique.

Par ailleurs, des dispositions spécifiques sur le régime transitoire applicable aux contrats signés avant le 1er?décembre 2014 ont été prévues et seront plus amplement détaillées ci-après.

Sur les nouvelles règles issues de l’ordonnance du 12?novembre 2004
Tout d’abord, l’ordonnance prévoit des dispositions aux livres imprimés d’une part et aux livres numériques d’autre part :

- sur la forme du contrat d’édition qui doit comporter une partie distincte sur le numérique (article L.132-17-1 du CPI) ;
- sur l’obligation d’exploitation permanente et suivie de la part de l’éditeur (article L.132-17-2 CPI) ;
- sur la réédition de comptes (article L.132-17-3 CPI) ;
- sur la résiliation du contrat en cas de non-exploitation durable par l’éditeur (article L.132-17-4 CPI).
Ensuite, l’ordonnance prévoit également des dispositions propres à l’exploitation de l’œuvre sous sa forme numérique :
- sur l’obligation de publication numérique (article L.132-17-5 CPI) ;
- sur la rémunération distincte due à l’auteur en raison de l’exploitation sous une forme numérique (article L.132-17-6 CPI) ;
- sur le réexamen des conditions de cession des droits numériques, en complément de la cession des droits portant sur les livres imprimés (article L.132-17-7 CPI).
De surcroît, il convient de noter que les nouvelles dispositions issues de l’ordonnance ont été complétées par un accord-cadre rendu obligatoire par un arrêté du 10?décembre 2014 (article L.132-17-8 CPI).

Sur les principales modifications pratiques apportées au paysage du contrat d’édition
En premier lieu, la structure du contrat d’édition évolue de manière significative dans la mesure où tout nouveau contrat stipulant une exploitation numérique devra nécessairement comporter deux parties distinctes dont l’une doit être consacrée à l’exploitation numérique et ce, à peine de nullité de la cession portant sur les droits numériques.

Cela étant, les parties pourront convenir que l’exploitation de l’œuvre sera strictement limitée à une exploitation imprimée mais dans pareille hypothèse, devront éviter toute mention relative au numérique dans la cession des droits d’exploitation.
Classiquement, la partie distincte portant sur l’exploitation numérique de l’œuvre devra aborder la durée de la cession du droit d’exploitation numérique, les conditions de réexamen de la rémunération de l’auteur au titre de l’exploitation numérique, les formes d’exploitation numérique et/ou électronique envisagées et autorisées, les modalités proportionnelles et/ou forfaitaires de rémunération de l’auteur ainsi que le mode de calcul retenu ; les conditions de signature du bon à diffuser numérique, la périodicité et les formes de reddition de comptes ainsi que les conditions de reprise du droit d’exploitation numérique.

À noter que les contrats conclus avant le 1er?décembre 2014 ne sont pas concernés par cet article L.132-17-1 CPI mais que tout avenant au contrat existant conclu après cette date devra nécessairement désigner cette nouvelle partie distincte.
En poursuivant, s’agissant de la durée de cession pour les droits numériques et la clause de réexamen, il convient de noter de manière très intéressante que l’article L.132-17-7 du CPI prévoit désormais une clause de réexamen des conditions économiques de la cession pour les seuls contrats d’édition numériques. À noter également que pour les contrats conclus avant le 1er?décembre 2014, la possibilité de réexamen restera ouverte pendant une période de trois mois après l’entrée en vigueur de l’arrêté du ministre.
Ensuite, l’article L.132-17-4 du CPI prévoit la fin du contrat d’édition en cas de non-exploitation durable pendant deux ans au-delà d’un délai de quatre ans après la publication de l’œuvre. Cette disposition est applicable aux contrats conclus après le 1er?décembre 2014.
Sur la délicate question de la rémunération cette fois-ci, l’ordonnance a apporté des précisions sur l’assiette du taux de rémunération qui doit porter sur l’ensemble des recettes issues de la diffusion numérique. Tout d’abord, en cas de vente à l’unité, le principe classique reste celui de la rémunération proportionnelle indexée sur le prix de vente au public hors taxes. À titre exceptionnel, il peut être recouru au forfait, étant entendu que le forfait global pour le numérique n’est pas admissible : en effet, l’éditeur devra prévoir plusieurs forfaits en fonction des modes d’exploitation, numérique et imprimé. Précisons que pour les contrats conclus avant le 1er?décembre 2014, l’entrée en vigueur de l’article L.132-17-6 sur la rémunération est décalée au 1er?mars 2015 pour les ventes à l’unité.

S’agissant pour l’éditeur de son obligation de publier sous forme numérique, l’article L.132-17-5 CPI prévoit, en cas de cession des droits numériques, une obligation de publication numérique dans un délai de quinze mois à compter de la remise du manuscrit et de trois ans à compter de la signature du contrat d’édition. À défaut de respecter cette obligation, la cession portant sur les droits numériques est résiliée de plein droit. Pour les contrats conclus avant le 1er?décembre 2014, cette obligation d’exploitation numérique entre en vigueur à compter du 1er?décembre 2016 et s’applique dès le 1er?décembre 2014 pour les contrats conclus après cette date.

Par ailleurs, l’éditeur se voit également imposer une obligation d’exploiter de manière permanente et suivie l’œuvre numérique à la suite d’une mise en demeure restée infructueuse pendant un délai de six mois. L’absence d’exploitation permanente entraîne la résiliation de plein droit des droits numériques. Il paraît important de noter sur ce point que l’obligation d’exploitation permanente et suivie est double et s’applique d’une part au livre numérique et d’autre part au livre imprimé, de telle sorte que les deux obligations d’exploitation sont désormais indépendantes et autonomes sur le terrain de leur exécution et sur le terrain de leur sanction. S’agissant des contrats conclus avant le 1er?décembre 2014, cette obligation sera applicable de plein droit trois mois à compter de l’entrée en vigueur de l’arrêté du ministère de la Culture, soit en mars?2015.

Sur la question du bon à diffuser et du respect du droit moral, l’éditeur devra nécessairement – en vue de respecter l’obligation d’obtenir l’autorisation de l’auteur avant toute modification de son œuvre – émettre un bon à diffuser à l’intention de l’auteur pour toute modification, ajout ou adaptation de l’œuvre sous format numérique.

Enfin, s’agissant de la reddition des comptes, cette obligation, déjà existante pour les œuvres imprimées, permet à l’auteur de suivre annuellement la réalité de l’exploitation de ses œuvres. Les nouvelles obligations mises à sa charge sont, depuis l’entrée en vigueur de l’ordonnance du 12?novembre 2014, plus précises et complètes et ce par application de l’article L.132-17-3 CPI.

En synthèse, si le contrat d’édition a connu une petite révolution en raison de l’entrée en vigueur de l’ordonnance du 12?novembre 2014, il n’en demeure pas moins que les nouvelles dispositions ne font qu’ériger l’exploitation d’une œuvre sous une forme numérique en contrat indépendant et autonome du contrat portant sur l’exploitation de l’œuvre imprimée, mais ne fait pas naître de nouvelles obligations à la charge de l’éditeur, telles qu’elles modifieraient substantiellement la pratique dans le domaine de l’édition de librairie.

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