Emmanuel Macron aura abordé la première année de son quinquennat sous l’angle économique. En poursuivant dans cette voie et en mettant de côté les questions sociétales, le Président, même s’il bénéficie pour l’heure d’une cote de popularité élevée bien qu’en baisse, risque de perdre définitivement la confiance d’une partie de son électorat.

Décideurs. Emmanuel Macron a, en l’espace d’un an, réussi à mettre en œuvre certaines réformes sensibles sans provoquer la révolte dans l’opinion publique. Une performance notable, selon vous ?

Martial Foucault. Si l’on considère l’ampleur et le rythme des réformes, on peut parler de performance. Il faut remonter à 1988 pour retrouver un empilement aussi soutenu. Pas un conseil des ministres ne passe sans que de nouvelles mesures soient annoncées. Mais le terme de performance laisse entendre que le plus dur a déjà été accompli, or on ne connaît pas précisément le calendrier de l’exécutif.

La notion de performance revient souvent de la part de l’exécutif…

C’est un peu l’ADN de ce gouvernement qui place chacune de ses actions sur le terrain de l’efficacité. Mais nous devons attendre les prochaines échéances électorales, notamment les municipales de 2020 et les régionales de 2021, pour pouvoir mesurer cette performance. 

« Concernant les syndicats, le Président s’est montré très stratège »

Ni l’opposition ni les forces syndicales n’ont réussi à mobiliser les Français contre la réforme du code du travail… Comment interprétez-vous cette absence de réaction ?

La loi Travail aurait pu susciter une opposition parlementaire. Mais Emmanuel Macron jouit d’une large majorité. En votant pour lui et pour les députés de son mouvement, les Français lui ont donné un bulletin d’essai pour qu’il engage des réformes structurelles. Ce qui explique, en partie, l’absence de mobilisation dans la rue. Concernant les syndicats, le Président s’est montré très stratège. Il a créé de la distension entre eux, si bien qu’ils n’ont pas pu faire front ensemble. Je crois néanmoins que les représentants syndicaux ont tiré les leçons de cette réforme. Rien ne laisse donc présager que cet épisode se renouvellera à l’avenir.

Le gouvernement recourt pourtant une deuxième fois aux ordonnances pour réformer la SNCF. Était-ce réellement ­nécessaire ?

Je ne crois pas, surtout avec une telle majorité. L’exécutif dit vouloir réduire le temps du débat parlementaire. En réalité, il le supprime. C’est une conception inédite de la démocratie parlementaire. En novembre 2016, dans un entretien accordé au Monde, Emmanuel Macron affirmait ne pas vouloir recourir aux ordonnances. On voit bien que sa position a évolué et qu’il souhaite installer une véritable culture de la réforme avec des modalités qui peuvent paraître brutales puisque les syndicats n’ont pas le temps de se mobiliser. Il y a là une véritable stratégie politique.

Peut-on parler d’un acte d’autorité ?

C’est en tout cas une conception verticale du pouvoir. Le recours aux ordonnances est contraire à l’esprit parlementaire. Emmanuel Macron n’a cessé de dire durant la campagne qu’il voulait un renouvellement des élus, une régénérescence des gouvernants. Mais, lorsqu’arrive un texte important et qu’il peut justement solliciter l’avis de ces nouvelles personnalités, il ne leur permet pas d’exprimer leur point de vue. En coupant le Parlement de la délibération, un chef de l’État peut effectivement tomber dans l’autoritarisme.

« Le recours aux ordonnances est contraire à l’esprit parlementaire.»

Avec la SNCF, le gouvernement doit-il s’attendre à une opposition plus forte des corps intermédiaires ?

La situation pourrait être plus compliquée pour le gouvernement. Je crois qu’il y a toutefois autour de cette réforme un véritable enjeu de communication. Les enquêtes montrent qu’une majorité de Français y sont favorables. Si cela n’avait pas été le cas, il n’aurait certainement pas recouru aux ordonnances.

On sent bien que la grogne monte dans la société. Emmanuel Macron doit-il s’attendre à un printemps difficile ?

La période d’essai d’Emmanuel Macron est aujourd’hui terminée. Certains ont du mal à comprendre la logique de ces réformes. Cela fait deux décennies que l’État imagine toutes sortes de pansements dans le but d’atténuer les effets de la crise pour les catégories sociales les plus exposées. Aujourd’hui, alors que nous sommes sortis de la période difficile, les réformes affectent ceux qui, depuis vingt ans en subissent les effets. Dans le même temps, Emmanuel Macron fait des choix qui donnent l’impression de favoriser les catégories sociales privilégiées, avec notamment la suppression de l’ISF ou la réforme de la taxe d’habitation. On peut demander des efforts collectifs en temps de crise. Mais nous ne sommes plus en temps de crise et, malgré tout, l’exécutif continue à solliciter certains Français, créant ainsi le terrain propice pour une gronde sociale déterminée.

Emmanuel Macron est souvent accusé d’être le « président des riches ». Est-ce justifié ?

Ce n’est pas parce qu’on supprime l’ISF qu’on devient le président des riches. Il le serait s’il s’attaquait à toute l’architecture de l’État social. Avec la combinaison de certaines mesures comme la baisse des APL – qui a eu une portée symbolique considérable dans l’opinion – et la suppression de l’ISF, les Français réalisent toutefois qu’il y a les gagnants et les perdants de la politique du gouvernement. À partir de cela, la rhétorique est très facile pour l’opposition.

En demandant des efforts aux fonctionnaires et aux retraités, prend-il un risque électoral ?

Certaines catégories sociales, qui ont pourtant fait le choix de voter pour lui l’année dernière, sont aujourd’hui perdantes. C’est le cas des retraités et des fonctionnaires. Ces derniers auraient pu espérer un rattrapage du point d’indice, qui n’est pas à la hauteur des autres pays européens. La question des fonctionnaires est cruciale. Leur rémunération aujourd’hui ne tient pas compte de l’inflation. Emmanuel Macron répète par ailleurs qu’il veut supprimer des postes. C’est un corps électoral qui compte près de sept millions de Français et auprès duquel il prend de réels risques politiques. 

« Ce n’est pas parce qu’on supprime l’ISF qu’on devient le président des riches »

Le président a-t-il encore quelque chose à voir avec le PS ?

Pour l’instant, il ne semble pas mettre au cœur de sa politique une plus grande égalité économique et sociale. Il est très éloigné de ses premières amours au PS, puisqu’il prend le contre-pied de la gauche en incarnant une politique de l’offre. Il veut soutenir tous les leviers créateurs de richesse.

Peut-on penser qu’il consacrera sa deuxième année de quinquennat à des projets plus sociétaux ?

Lors de la campagne, on a pu identifier Emmanuel Macron comme un libéral sur le plan économique et un progressiste au niveau culturel. Mais pour l’instant, aucun grand projet sociétal ne semble se profiler. La politique sur la loi du vivant donnera-t-elle des gages de réconfort à l’électorat de gauche déçu ? Cela reste à voir.

Cette situation explique-t-elle sa baisse de popularité dans les sondages ?

Il faut bien voir qu’en réalité c’est la première fois, depuis François Mitterrand, qu’on a un président aussi populaire après neuf mois de quinquennat. Cela s’explique aussi par une opposition qui peine à se faire entendre. Le PS reste très faible. Tout comme la droite, qui compte toutefois plus de cent parlementaires. Celle-ci pourrait s’organiser, mais elle n’a pas encore fait le deuil de sa défaite et reste très divisée autour de l’élection de Laurent Wauquiez.

Cette absence d’opposition est-elle dangereuse pour la démocratie ?

La démocratie est-elle menacée avec un président tout-puissant, populaire et qui ne tient pas vraiment compte du corps social ? Pas forcément. Pour moi, le déni de démocratie intervient lorsqu’il n’y a plus de parti politique. Aujourd’hui, c’est leur fonctionnement et leur rapport aux citoyens qui doit être revu. Les Français ne sont pas dépolitisés. Je ne crois pas à la fin du clivage droite-gauche. En revanche, le contenu idéologique a effectivement changé. Les partis n’arrivent plus à faire vivre leurs valeurs. Le vrai risque, à mon sens, serait qu’on se coupe de l’ensemble des instruments qui font la démocratie, à savoir les corps intermédiaires comme les médias, les partis politiques et les syndicats.

Outre ses actions nationales, Emmanuel Macron est très présent à l’international, s’impose-t-il progressivement comme un leader vis-à-vis de ses homologues ?

Qui, sur la scène internationale, pourrait faire ombrage au leadership du président français ? Il n’y a personne. La France a toujours voulu influencer le monde par ses valeurs et ses idées. Mais ces aspirations avaient disparu ces dernières années. Emmanuel Macron est en train de faire revivre cette idée. Il a démontré, dès le début de son quinquennat, qu’il était l’interlocuteur privilégié en Europe. Il est devenu une référence à l’étranger, surtout pour ceux qui ne sont pas issus du sérail politique. Beaucoup se disent qu’il est possible d’être candidat sans appartenir à une famille politique. En cela, il a véritablement élargi le domaine des possibles.

 

Propos recueillis par Capucine Coquand

@CapucineCoquand

 

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