Le Parlement européen encourage la scission des activités de moteur de recherche et les services commerciaux de Google. Une préconisation en réalité irréalisable.
Après quatre ans d’enquête antitrust sur les activités de Google, la situation reste au point mort. Sa position dominante n’est pourtant plus à démontrer. Au-delà du moteur de recherche (92?% de part de marché), la firme ne cesse de développer ses activités commerciales jusqu’à atteindre une position quasi monopolistique avec un tiers des recettes publicitaires notamment. Dès lors, l’inaction de la Commission européenne, pourtant connue pour sa sévérité en matière de concurrence, soulève des interrogations. Retour sur l’énigmatique «?dossier Google?».

Une motion non contraignante

Ne citant jamais nommément la firme américaine, la résolution adoptée le 27?novembre par le Parlement européen avec une très large majorité des voix ne laisse aucune place au doute lorsqu’elle évoque le marché de la recherche en ligne. Les deux députés à l’origine de la motion ne s’en cachent d’ailleurs pas : «?Ce n’est pas la première fois que nous, au Parlement européen, [avons] à faire avec des résolutions qui implicitement ou explicitement traitent de Google. Ils ne peuvent pas prétendre être surpris?», ont déclaré Andreas Schwab (PPE, Allemagne) et Ramon Tremosa (ADLE, Espagne) lors d’une interview publiée par l’institution représentative. Ils dénoncent notamment le fait que la société manipulerait les résultats de recherche afin qu’apparaissent en priorité les liens vers ses propres entreprises commerciales. Les parlementaires souhaitent donc plus d’objectivité et de transparence dans l’évaluation, la présentation et le classement des résultats de recherche issus du fameux algorithme de Google. Dans le cas contraire, un démantèlement de la société entre ses activités de recherche et ses services commerciaux permettraient de rétablir une concurrence équilibrée et équitable en Europe.
Cependant, le Parlement européen n’a pas le pouvoir de sanctionner les entreprises en matière de concurrence. Si la résolution n’est donc pas juridiquement contraignante, elle présente toutefois une forte portée symbolique et pourrait inciter la nouvelle Commission européenne présidée par Jean-Claude Juncker à prendre des sanctions, ou encourager Google à faire davantage de concessions dans ses négociations avec Bruxelles.

La lenteur des négociations
À la suite de dix-huit plaintes formelles déposées contre les pratiques commerciales de Google, la Commission européenne décide d’ouvrir une procédure antitrust à son encontre en novembre?2010. Elle déclare alors vouloir mener une enquête approfondie de façon prioritaire. Il faut pourtant attendre mars?2013 pour qu’elle communique ses conclusions préliminaires à Google, révélant plusieurs pratiques commerciales susceptibles d’enfreindre les règles européennes en matière de concurrence. Après deux premières réponses jugées insatisfaisantes, une solution aurait pu être trouvée en février dernier avec les nouveaux engagements pris par Google et prévoyant notamment un affichage comparable de ses concurrents dans la recherche en ligne spécialisée. Joaquín Almunia, vice-président de la Commission chargé alors de la politique de concurrence, déclarait que «?la transformation de cette proposition en une obligation juridiquement contraignante pour Google permettrait de rétablir rapidement des conditions de saine concurrence et assurerait leur préservation pour les années à venir?». Après consultation des plaignants et des acteurs du marché, le commissaire européen retourne pourtant sa veste alors même qu’il avait indiqué quelques mois plus tôt : «?Ma mission est de protéger la concurrence au bénéfice des consommateurs, pas de protéger les entreprises concurrentes.?»
Dès lors, peut-on parler d’un acharnement contre Google ? Christophe Clarenc, spécialiste des questions de concurrence chez DCC & Associés, ne le pense pas. Selon lui, la procédure s’éternise et c’est la raison de ce rappel à l’ordre des parlementaires européens. «?Le démantèlement est une arme nucléaire. Le Parlement l’envisage pour pousser la Commission à traiter avec plus de rapidité et de fermeté les abus reprochés à Google. Si ces abus reprochés ne sont pas fondés, il n’y a évidemment pas lieu à remèdes, négociés ou imposés, et la Commission doit clôturer. Dans le cas contraire, le Parlement presse la Commission de conclure rapidement et fermement, avec des remèdes qui n’ont pas besoin d’être radicaux pour être efficaces et qui doivent rester proportionnés?», constate-t-il.
Le texte de la résolution va dans ce sens en commençant par inviter la Commission à faire appliquer les règles de concurrence avec fermeté. «?Le vrai sujet porte sur la puissance ultra-envahissante de Google, à tel point qu’on peut se demander si les services qu’il propose ne sont pas devenus des facilités essentielles ? Ils sont d’ailleurs installés par défaut dans beaucoup de logiciels?», explique Christophe Clarenc. Une force de frappe considérable qui n’échappe pas aux eurodéputés. «?Comme tout le monde, nous utilisons Google, admirons l’entreprise et reconnaissons que ces services ont amélioré nos vies, indique Ramon Tremosa, mais nous reconnaissons aussi que Google n’est pas un service public mais une entreprise privée?».
Aux États-Unis, le groupe de Mountain View fait également l’objet de plusieurs plaintes portées devant la Federal Trade Commission. L’autorité de la concurrence américaine n’a cependant pas donné suite aux accusations de manipulation des résultats de recherche, considérant que quand bien même son existence serait prouvée celle-ci pouvait être justifiée de façon plausible comme étant positive pour le consommateur. Dès lors, la Commission européenne serait-elle prise en étau entre deux objectifs : garantir une réponse aux besoins des consommateurs et assurer la protection des concurrents de Google sur le marché du numérique ?

Un démantèlement impossible
En début d’année, des groupes de presse français et allemands proposaient déjà le démantèlement de Google à travers une plainte déposée par le groupe de lobbying Open Internet Project (OIP) qui rassemble notamment Axel Springer, Lagardère Active, CCM Benchmark et le Geste. Aussi ironique que paradoxal, ce dernier est lui-même composé de nombreux groupes et médias parmi lesquels Google France, qui n’a pas décidé de l’adhésion à l’OIP. De leur côté, les gouvernements se font plus pressants. Le 27?novembre, les secrétaires d’État français et allemand en charge du numérique Axelle Lemaire et Matthias Machnig ont écrit conjointement à la Commission pour lancer une consultation publique sur la régulation des grands acteurs du numérique. Apple, Facebook et Amazon sont également visés, y compris sous un angle fiscal puisque ces sociétés font l’objet d’enquêtes pour fraude fiscale. De l’autre côté de l’Atlantique, le lobby high-tech américain Computer and Communications Industry Association (CCIA), auquel Google est adhérent, dénonce un débat politisé. Les États-Unis avaient pourtant envisagé cette solution contre Microsoft pour séparer le système d’exploitation Windows des logiciels d’application avant qu’un accord ne soit trouvé. L’Europe a également fait face à des situations similaires en séparant la gestion des infrastructures et l’activité de transport des sociétés de chemin de fer, ou encore s’agissant du dégroupage dans le domaine des télécoms. Imposer le démantèlement d’une société américaine sur le territoire européen apparaît toutefois plus complexe et s’avérerait extrêmement coûteux pour le géant américain.
Par ailleurs, se pose la question du financement du moteur de recherche Google après le démantèlement, celui-ci tirant l’essentiel de ses revenus de la vente de technologie et de publicité. Enfin, la scission de Google soulève des questions quant à la légalité de la procédure. «?Pour imposer un démantèlement par voie réglementaire, la Commission doit démontrer que la mesure est proportionnée au but poursuivi, or cela n’est pas évident en l’espèce?», explique Christophe Clarenc. «?Mais elle dispose d’un pouvoir décisionnel qui lui permettrait d’agir au plan individuel?», conclut-il.
Si aucun accord n’est trouvé, Google pourrait ainsi se voir imposer une amende pouvant atteindre 10?% de son chiffre d’affaires, ainsi que des injonctions comportementales ou structurelles pouvant être assorties d’astreintes. Succédant à Joaquín Almunia, Margrethe Vestager a précisé avoir encore «?besoin de temps avant de décider des prochaines étapes?». L’engagement fort de l’Europe se fait encore attendre.

Pauline Carmel

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