Les questions de santé au travail n’ont cessé de croître au cours des dernières années, notamment par le biais des risques psychosociaux. Le rôle du CHSCT s’en est trouvé renforcé. Le CHSCT s’est affirmé en tant qu’instance incontournable et a su s’imposer notamment via le recours à l'expertise. Aujourd'hui, rares sont les projets de réorganisation qui ne sont pas étudiés par un expert agréé, désigné par le CHSCT. Le recours à l’expert s’est tant développé que le législateur est venu créer l’instance de coordination (ICCHSCT) afin d’éviter les multiples recours à l’expert sur un projet unique.

Dans ce contexte, les frais d'expertise étant à la charge de l'employeur, le contentieux lié au recours à cet expert s'est considérablement développé. Axé initialement autour de la nécessité de l’expertise, la jurisprudence a été amenée à définir les notions de risque grave et de projet important.

 

Avant la Loi Travail, la contestation de l’expertise par l’employeur n’était enfermée dans aucun délai : elle pouvait intervenir avant que l’expert ne débute ses travaux, comme après, une fois le rapport final remis. En début d’année, la Cour de cassation a d’ailleurs précisé qu’en l’absence de texte spécifique, l’action en contestation était seulement soumise au délai de prescription quinquennale (Cass. Soc. 17 février 2016, n°14-22.097 et n°14-26.145).

 

Le recours juridictionnel n'étant pas suspensif, l'expertise pouvait continuer à se dérouler quand bien même l'employeur la contestait. Or, dans un arrêt du 15 mai 2013, la Cour de Cassation a considéré que, malgré l’annulation de la décision du CHSCT de solliciter l'avis d'un expert, l'employeur était tenu au paiement des honoraires correspondants aux diligences accomplies par l'expert avant le prononcé de cette nullité. Cette décision a été largement critiquée puisque elle anéantissait en pratique l'utilité du recours contentieux exercé par l'employeur. Quelle que soit la décision du juge, l'expertise ayant été réalisée, l'employeur devait la financer. Saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité sur ce point, le Conseil constitutionnel a, par décision du 27 novembre 2015, annulé les dispositions de l'article L4614-13 du Code du travail qui prévoyaient que « les frais de l'expertise sont à la charge de l'employeur. » Cette abrogation a néanmoins été reportée au 1er janvier 2017 afin de permettre au législateur de remédier à cette décision.

 

C’est dans ce contexte que la Loi Travail n°2016-1088 du 8 août 2016 a modifié les modalités de contestation du recours à l’expertise et ses effets.

 

Le texte réaffirme que « les frais d'expertise sont à la charge de l'employeur ». Toutefois, il est maintenant précisé qu’en cas d'annulation définitive par le juge de la décision du CHSCT ou de l’ICCHSCT, les sommes perçues par l'expert sont remboursées par ce dernier à l'employeur. Sur ce point, le législateur a pris en compte le fait que le CHSCT ne dispose pas de budget en venant préciser - de manière assez originale - que le comité d'entreprise peut, à tout moment, décider de prendre en charge les frais d’expertise ou ce remboursement au titre de sa subvention de fonctionnement.

 

Le nouvel article L.4614-13 du Code du travail précise dorénavant le délai dans lequel l’employeur peut saisir le juge afin de contester « la nécessité de l'expertise, la désignation de l'expert, le coût prévisionnel de l'expertise tel qu'il ressort, le cas échéant, du devis, l'étendue ou le délai de l'expertise » : quinze jours à compter de la délibération du CHSCT ou de l’ICCHSCT.

 

Cette saisine suspend l'exécution de la décision du CHSCT ou de l’ICCHSCT, et ce, jusqu'à la notification du jugement. En cas de contestation judiciaire, l’expert devra donc suspendre ses travaux s’ils ont commencé ou, à tout le moins, s’abstenir de les démarrer.

 

Autre nouveauté (et non des moindres) : la saisine du juge suspend les délais dans lesquels le CHSCT et l’ICCHSCT sont consultés, et ce, jusqu'à la notification du jugement. Lorsque le CHSCT ou l’ICCHSCT et le comité d'entreprise sont consultés sur un même projet, cette saisine suspend également, jusqu'à la notification du jugement, les délais dans lesquels le comité d'entreprise est consulté.

 

Afin de limiter les effets de cette suspension, le nouvel article L.4614-13 du Code du travail prévoit le délai dans lequel le juge statue : « dans les dix jours suivant sa saisine ». Compte tenu de la complexité de ce type de contestation, de l’encombrement des juridictions et du nécessaire respect du principe du contradictoire, ce délai semble illusoire. Le même délai de dix jours est prévu en matière de contentieux électoral et il n’est que très rarement (jamais ?) respecté. L’employeur va donc devoir anticiper et se poser la question de l’opportunité de la contestation de l’expertise devant le juge dans la mesure où le délai de consultation de l’instance va se retrouver allongé, non pas d’une dizaine de jours, mais vraisemblablement de plusieurs semaines.

 

Autre nouveauté, le juge statue « en premier et dernier ressort ». L’ordonnance du Président du TGI pourra donc seulement faire l’objet d’un pourvoi devant la Cour de cassation.

 

Enfin, un nouvel article L.4614-13-1 dispose que « l'employeur peut contester le coût final de l'expertise devant le juge judiciaire, dans un délai de quinze jours à compter de la date à laquelle l'employeur a été informé de ce coût ». On comprend de ces nouvelles dispositions qu’une fois l’expertise terminée, l’employeur ne pourra contester que son coût, au regard notamment de la qualité des travaux de l’expert. Les nouvelles dispositions des articles L.4614-13 et L.4614-13-1 excluent à notre sens toute possibilité pour l’employeur de contester a posteriori la nécessité ou l’étendue de l’expertise, comme cela était possible auparavant.

 

Nelly MORICE

Avocat – Senior associate

Spécialiste en droit du travail

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