Issu du milieu associatif, le nouveau secrétaire national d’EELV compte définitivement transformer son parti en première force politique de gauche. Focus sur une personnalité politique plus lucide et réaliste qu’on ne le pense.

Ne vous fiez pas à son allure d’éternel adolescent. Julien Bayou, nouveau secrétaire national d’Europe Écologie Les Verts (EELV) depuis novembre 2019, est une bête politique et un pro de la communication. Des qualités essentielles pour continuer à faire mûrir un parti qui, depuis les dernières européennes, est devenu la première force politique de gauche dans l’Hexagone.

Agit prop

L’engagement politique du successeur de David Cormand est né dès le berceau puisqu’il est issu d’une vieille famille d’élus socialistes de l’Hérault. Une grand-mère maire de la commune de Saint-Chinian de 1969 à 1986 et un grand-père ancien député du département à la longévité politique remarquable (1958-1986) l’incitent à s’engager dans la vie publique. Mais avec une prédilection pour l’Agit-prop et le milieu associatif.

En 2005, il fait parler de lui en cofondant Génération précaire. Pour attirer l’attention des pouvoirs publics sur les conditions de travail des stagiaires, lui et ses camarades multiplient les actions coup de poing, notamment le blame and shame des employeurs privilégiant les étudiants sous-payés aux vrais salariés. Suivront de nombreuses actions militantes dans des structures telles que Sauvons les riches ou Notre affaire à tous. En parallèle, Julien Bayou travaille pour des ONG telles que Coordination SUD ou Avaaz. Un parcours qui, selon Wandrille Jumeaux, militant écologiste proche du nouveau secrétaire national permet à ce dernier de « mobiliser des gens, d’être à l’écoute, d’argumenter, de trouver les formules qui frappent ».

Mise au Vert

En 2010, le militant associatif plonge dans le grand bain de la politique, rejoint EELV et devient conseiller régional de la région Ile-de-France. L’année suivante, lors de la primaire destinée à désigner le candidat à la présidentielle, il s’engage auprès d’Eva Joly dont il est directeur de mobilisation.

Au sein du parti, il se taille vite une place de choix. Travailleur infatigable et orateur chevronné, il inonde les journaux de tribunes, continue les actions militantes et arpente les plateaux télévisés. Sur le plan politique, il est très présent sur les sujets sociaux avec un discours très à gauche, qu’il s’agisse du revenu universel, de la réquisition de logements vides, de la question migratoire ou du conflit israélo-palestinien. En 2011, il fera même partie de l’équipage d’une flottille souhaitant forcer le blocus israélien à Gaza. En interne, ses positions hérissent certains. D’autant plus que, depuis 2013, date à laquelle il devient porte-parole d’EELV, ses propos engagent véritablement le parti. Pointant des « dérives gauchistes » dont il serait l’un des inspirateurs, des Verts se considérant comme réalistes quittent le navire. C’est notamment le cas de Jean-Vincent Placé ou de François de Rugy en août 2015. Un choix de carrière gagnant pour ce dernier qui, rejoindra la Macronie où il deviendra président de l’Assemblée nationale puis ministre de la Transition écologique. Avant de chuter après l’affaire dite du homard à l’été 2019.

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Lors de législatives 2017, Julien Bayou se présente dans la cinquième circonscription de Paris, finalement remportée par le marcheur Benjamin Griveaux.

Gauchiste ?

Pour autant, Julien Bayou est-il vraiment le gauchiste indiscipliné dépeint par certains ? Pas si sûr. Wandrille Jumeaux le décrit comme « une sensibilité de gauche, qui n’a jamais caché ce qu’il est ». En revanche, il réfute les accusations de gauchisme, bien au contraire : « C’est un homme politique, pragmatique qui a toujours respecté le collectif. » Selon lui, son attitude durant les élections européennes en est la preuve. Bien que peu enthousiasmé par la ligne centriste défendue par Yannick Jadot, « il ne s’est jamais opposé et a mené loyalement la campagne ».

En 2015, Jean-Vincent Placé et François de Rugy ont quitté EELV pour protester contre la "ligne gauchiste" incarnée par Julien Bayou

De quoi lui conférer officiellement les galons d’homme politique responsable et l’inciter à viser plus haut. Notamment le poste de secrétaire national du parti. Les élections internes de novembre 2019 arrivent donc à point nommé pour l’ancien activiste qui se porte candidat.

Dans la cour des grands

Dès le premier tour, sa motion « Écologie au pouvoir, grandir ensemble pour gagner enfin » réunit 43% des suffrages, loin devant une autre plus centriste portée par l’ancienne députée Eva Sas avec le soutien de Yannick Jadot (26%). Deux autres textes, les plus à gauche du scrutin, attirent respectivement 21,5% et 8,5% des voix des militants. Au second tour, la motion de synthèse construite autour de Julien Bayou l’emporte nettement : 92,6%

Une partie des médias l’affirme : il s’agit d’un désaveu surprenant pour Yannick Jadot, pourtant loué pour sa bonne campagne aux élections européennes. En réalité, pour les bons connaisseurs des « arcanes écolos », le résultat n’est guère surprenant et ne constitue pas une rupture. Daniel Boy, professeur au Cevipof et spécialiste de l’écologie politique, estime ainsi que « la motion Bayou est dans la continuité de la direction précédente, qui consiste à affirmer que le parti est ancré à gauche ». Pour Yannick Jadot, si la douche est froide, elle est donc prévisible : « Chez les Verts, les militants sont bien plus à gauche que leurs électeurs. Les motions centristes, perçues comme capitalistes, proches du monde de l’entreprise, ont des difficultés à s’imposer », poursuit l’universitaire qui évoque notamment la débâcle de Nicolas Hulot face à Eva Joly lors de la primaire de 2011.

Bayou vs Jadot ?

La vie politique peut parfois se résumer en dictons, notamment celui-ci : il n’y a pas de place pour deux crocodiles dans le même marigot. Une lutte intestine entre Yannick Jadot et Julien Bayou est-elle à prévoir ? Les Verts risquent-ils de retomber dans leurs guerres intestines qui ont fait tant de mal ? Pour le moment, les conflits stratégiques se jouent à fleurets mouchetés. À Paris, Yannick Jadot prône un rapprochement avec Cédric Villani, tandis que Julien Bayou privilégie une liste autonome. Le nouveau patron du parti est très hostile à la réforme des retraites alors que l’eurodéputé se montre moins véhément…

"Bayou et Jadot assument de ne pas être sur la même ligne politique, mais ils savent qu'ils ont besoin l'un de l'autre"

Le risque de querelle sanglante pour le leadership reste toutefois minime. Comme le formule Wandrille Jumeaux, « Bayou et Jadot assument de ne pas être sur la même ligne politique, mais ils savent qu’ils ont besoin l’un de l’autre ». En somme, si Yannick Jadot souhaite se présenter à la présidentielle de 2022, il n’a aucun intérêt à brusquer l’homme qui a été désigné par les militants. De son côté, Julien Bayou est conscient de son rôle de président d’un parti qui, pour reprendre les propos de Wandrille Jumeaux, « considère le secrétaire national comme un chef d’orchestre qui ne doit pas cliver». La hache de guerre ne risque donc pas d’être déterrée à moyen terme. D’autant plus que les municipales  de mars 2020 approchent…

Accompagner la croissance

Pour Julien Bayou, il s’agit d’une tâche exaltante. Sur le papier, jamais un scrutin municipal n’a été aussi favorable aux écologistes. Car, c’est désormais acté, depuis les européennes de 2019, EELV est désormais la première force de gauche. Pour Wandrille Jumeaux, « Nous sommes désormais au cœur du jeu politique à gauche où l’écologie est la meilleure chose pour rassembler ». Ce qui pourrait rapporter gros dans les urnes : « Désormais, les Verts ne sont plus des supplétifs. Dans plusieurs  grandes villes, la gauche s’est regroupée autour d’un écolo et se présente unie. Avec des chances de victoire », fait remarquer Daniel Boy. C’est notamment le cas de Pierre Hurmic à Bordeaux, d’Anne Vignot à Besançon ou encore de Jean-Michel Bérégovoy à Rouen. Pour crédibiliser davantage le mouvement, il faut à tout prix qu’EELV fasse preuve de rassemblement, d’union et de maturité dans les mois à venir. Cela tombe bien, c’est justement l’attitude que défend, pour le moment, Julien Bayou.

Lucas Jakubowicz

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