Le P-DG revient sur les enjeux de l'acquisition de Cytec ainsi que sur sa stratégie de développement qui vise à faire de la société un acteur majeur de la chimie mondiale.

Propulsé P-DG de Rhodia en 2008, Jean-Pierre Clamadieu a réussi à redresser la firme française dont l’avenir semblait compromis. Trois ans plus tard, il profite d’une rencontre avec Christian Jourquin, le patron de Solvay, pour amorcer le rapprochement entre les deux groupes dont il prendra lui-même les rênes. Quelques années après cette fusion, il fait de nouveau parler de lui sur le terrain du M&A en mettant la main sur la firme américaine Cytec.

 

Décideurs. Quatre ans après l’acquisition de Rhodia, quel bilan faites-vous de cette opération capitalistique ?

Jean-Pierre Clamadieu. Nous avons clairement réussi notre pari. L’intégration des deux entreprises est aujourd’hui derrière nous. Deux principaux facteurs ont joué en notre faveur : nos portefeuilles d’activité étaient totalement complémentaires et nos cultures d’entreprise présentaient de fortes similitudes. Les deux groupes avaient un socle de valeurs très proche, une vision industrielle commune et un engagement fort dans le développement durable. Nous avons volontairement décidé d'une intégration courte pour pouvoir rapidement nous engager sur une trajectoire de transformation et de croissance. Nous avons mis en place une nouvelle organisation, lancé un programme d’excellence opérationnelle qui chaque année contribue solidement à l’amélioration de notre performance. Enfin, nous avons orienté le portefeuille du groupe vers des métiers à plus forte valeur ajoutée. Solvay est désormais un acteur majeur de la chimie mondiale avec l’ambition de devenir un champion de la chimie durable.

 

Décideurs. À cette époque, Solvay et Rhodia présentaient respectivement un chiffre d’affaires de 7,1 milliards et 5,23 milliards d’euros. Quels étaient les principaux points de vigilance à surveiller dans un tel rapprochement de deux entités de taille quasi identique ?

J.-P. C. Le risque lié aux grandes opérations de fusion-acquisition est de perdre de vue l’essentiel et de se laisser déborder par leur complexité. Nous avons souhaité agir vite, ce qui implique de fixer un cap clair et de l’expliquer à l’ensemble des collaborateurs. Dès la finalisation de l’acquisition, nous avons créé un « Integration Management Office ». Cette équipe mixte composée de cadres dirigeants de Solvay et de Rhodia était chargée de piloter, structurer et cadencer le rapprochement en tirant le meilleur des deux entreprises. Un autre sujet nous paraissait fondamental pour réussir cette fusion : bâtir ensemble une culture d’entreprise commune, en s’appuyant sur les fondamentaux des deux groupes. Nous avons travaillé de manière méthodique et inclusive pour établir un modèle managérial et un socle de valeurs qui soient représentatifs du « nouveau » Solvay.

 

Décideurs. Solvay a récemment annoncé l’acquisition du spécialiste des matériaux composites Cytec pour une somme de cinq milliards d’euros, soit près de quinze fois son Ebitda. Quels retours sur investissement attendez-vous de cette opération ?

J.-P. C. L’acquisition de Cytec illustre parfaitement notre stratégie : nous positionner sur un métier à forte valeur ajoutée, dans un secteur d’activité ayant des perspectives de croissance et de rentabilité à long terme. À la clôture de la transaction, Solvay deviendra le numéro deux mondial dans les matériaux composites pour l’aéronautique. Cytec renforcera également notre capacité à apporter à nos clients des solutions répondant aux défis de notre planète : la réduction des émissions de CO2 grâce à l’allègement des structures, dans l’aéronautique comme dans l’automobile, et une gestion plus responsable des ressources grâce aux technologies de séparation des minerais plus efficaces et plus propres. Nous avons d’ores et déjà identifié une centaine de millions d’euros de synergies, mais nous sommes convaincus que le potentiel de création de valeur est bien supérieur.

 

Décideurs. La stratégie de votre groupe semble également passer par le développement de co-entreprises avec d’autres partenaires. Le lancement d’Inovyn, une joint-venture spécialisée dans les chlorovinyls avec Ineos en atteste. Pourquoi avoir choisi ce montage ?

J.-P. C. La création d’Inovyn s’inscrit dans une stratégie de sortie de certains métiers très exposés aux cycles économiques dans un contexte de coûts élevés des matières premières et de l’énergie en Europe. C’était pour nous la meilleure option pour pérenniser nos activités dans un nouvel ensemble plus compétitif qui est parmi les trois premiers producteurs mondiaux de PVC, avec un chiffre d’affaires de 3,5 milliards d’euros et dix-huit usines en Europe. Nous sortirons de cette co-entreprise dans trois ans au profit d’Ineos.

 

Décideurs. Quel est le portrait-robot de la prochaine entreprise dont vous ferez l’acquisition ?

J.-P. C. La priorité du moment, c'est l'intégration de Cytec.

 

Décideurs. Votre groupe demeure aussi très actif du côté des cessions. On parle notamment de la vente d’Indupa. Où en êtes-vous à ce sujet ?

J.-P. C. L’optimisation de notre portefeuille d’activité passe par des désinvestissements, notamment dans les PVC en Europe et en Amérique latine. Nous avons clairement affiché notre détermination à céder notre participation dans Indupa, après le rachat manqué par le pétrochimiste brésilien Braskem.

 

Décideurs. La baisse des cours du pétrole fragilise votre branche formulations avancées. Comment vous y adaptez-vous ? Cela remet-il en cause votre stratégie ?

J.-P. C. Cette situation pénalise en effet certaines de nos activités même si elle nous est favorable sur le plan des approvisionnements en matières premières. Pour autant, cela ne remet pas en cause notre stratégie. Notre offre est unique et nous différencie sur le marché de l’extraction pétrolière et gazière. Pour mitiger les effets de la baisse des cours, nous agissons sur l’optimisation de nos coûts de production et de la chaîne logistique. Mais cette baisse des cours induit aussi une transformation profonde de l’industrie pétrolière et gazière qui est à la recherche d’une nouvelle compétitivité aux États-Unis. Notre priorité est donc l'innovation pour répondre aux besoins de nos clients et le développement de notre savoir-faire en dehors des États-Unis.

 

Décideurs. Solar Impulse, que Solvay soutient depuis dix ans, est en train de faire le premier tour du monde sans carburant. Pourquoi une entreprise a-t-elle intérêt à soutenir des exploits scientifiques comme celui-ci ?

J.-P. C. À l’origine, c’est un pari un peu fou. Nous avions invité Bertrand Piccard lors d’un colloque en 2003 pour qu’il nous raconte son tour du monde en ballon. Il a clôturé son intervention en disant avoir pris conscience lors de cette aventure de sa dépendance totale aux énergies fossiles. C’est à ce moment qu’il nous a interpellés sur le thème : et si vous chimistes, vous m’aidiez à faire mon prochain tour du monde sans une seule goutte de carburant ? Nous avons décidé de relever le défi et de concentrer notre contribution sur l’allègement de l’avion et son efficacité énergétique. Avec plus de 6 000 pièces Solvay à bord, Solar Impulse est devenu pour nous un véritable « laboratoire volant ». Ce partenariat nous permet de démontrer notre capacité à développer une chimie durable, pourvoyeuse de réponses aux défis de la planète. 

 

Propos recueillis par Aurélien Florin.

 

Cet entretien fait partie du dossier "Stratégie de croissance".

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