Dans son livre Changer ou disparaître, l’ancien président du Crédit lyonnais remet en cause le dialogue social made in France. Selon lui, il serait l’une des principales causes de notre manque de compétitivité sur la scène internationale. Imprégnée par la lutte des classes, notre vision de l’entreprise empêche sa modernisation. Pour inverser la tendance, Jean Peyrelevade plaide pour un partage du pouvoir. Mais patronat et syndicats ne semblent pas encore prêts.

Décideurs. Alors que les entreprises du CAC 40 viennent de réaliser une année record, le titre de votre dernier livre n’est-il pas un peu provocateur ?

Jean Peyrelevade. Malheureusement non. Les performances des grandes entreprises françaises ne sont en rien un indicateur pertinent pour savoir si notre économie se porte bien. Les sociétés du CAC 40 sont avant tout des groupes internationaux qui réalisent 75 % de leur chiffre d’affaires en dehors de nos frontières. C’est l’arbre qui cache la forêt. Quand nous regardons les secteurs exposés à la concurrence internationale, nous nous rendons compte que la France affiche un manque flagrant de compétitivité. Résultat, la balance commerciale bat des records de déficit année après année. Avec un taux de chômage proche de 10 % et une dépense publique de 57 % du PIB, nous ne pouvons plus tolérer cette situation. Si rien n’est fait, d’ici quinze ou vingt ans, nous serons la nouvelle Grèce de l’Europe.

 

Comment expliquez-vous la mauvaise santé de l’économie française ?

De mon point de vue, ces difficultés sont directement liées à notre mode de dialogue social qui tient pour acquis que le pouvoir ne se partage pas. Depuis 1789, il est descendant et vertical. Ce n’est pas un hasard si deux des points clés de notre Constitution sont le droit à la propriété et le droit de grève. Si je ne peux pas discuter, je peux aux moins faire grève pour montrer mon mécontentement. Résultat, dans tous les jeux de pouvoir, il y a en France une attitude conflictuelle entre le dirigeant et le dirigé. Nous retrouvons ce constat aussi bien dans le monde de l’entreprise que dans la sphère publique.

 

En quoi, cela impacte-t-il la performance des entreprises ?

La nature conflictuelle de la relation fait que le profit est nécessairement suspect. La marge brute des entreprises françaises s’élève en moyenne à 30 %, contre 40 % au niveau européen.  Cela a bien sûr un impact direct sur les investissements et le développement économique de notre pays.

 

« Si rien n’est fait, d’ici quinze ou vingt ans, nous serons la nouvelle Grèce de l’Europe »

 

Vous plaidez pour que les employés soient mieux intégrés à la prise de décisions. Y a-t-il des sociétés en avance sur ce point ?

Non. Pour le moment, il s’agit dans le meilleur des cas d’une démarche de communication. Aucun dirigeant n’a franchi le Rubicon en partageant son pouvoir avec ses salariés. Mais le patronat n’est pas le seul coupable. Les syndicats ont eux aussi leur part de responsabilité. Ils n’existent qu’en ayant une attitude contestataire. Pour le moment, je ne vois que la CFDT qui soit demandeuse de discuter d’un exercice collectif du pouvoir. Celui qui sort finalement gagnant de ce conflit, c’est l’État car il finit bien souvent par avoir le dernier mot dans ces marchandages.

 

Le plan d'action pour la croissance et la transformation des entreprises (Pacte) va-t-il dans ce sens ?

Ce n’est clairement pas suffisant. Le projet est creux : le gouvernement se contente de repeindre le salon du dernier étage sans se soucier des fondations. Tant que le capital et le travail ne pourront pas fonctionner ensemble, l’économie française ne pourra pas rebondir.

 

 

Le gouvernement avait jusqu’ici réussi à éviter les conflits sociaux. Selon vous, peut-il sortir gagnant de celui engagé sur la réforme de la SNCF ?

Difficile à dire. Mais une chose est sûre, le gouvernement s’y est mal pris en voulant imposer des réformes venues du sommet de l’Olympe sans aucun dialogue préalable. L’ouverture prônée par le gouvernement arrive trop tard. Le mal est déjà fait. La guerre n’est jamais un terreau fertile. Peu importe qui finira par avoir le dernier mot. Chaque camp comptera ses morts et ses blessés.

 

Propos recueillis par Vincent Paes

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