C’est le sociologue des médias et du journalisme qui fait autorité. En juin dernier, Jean-Marie Charon a remis à Fleur Pellerin, ministre de la Culture, un rapport intitulé « Presse et numérique : l’invention d’un nouvel écosystème ». Sage observateur, cet ingénieur d'études au CNRS, rattaché au Centre d'étude des mouvements sociaux, démêle les subtilités de la couverture médiatique des attentats de novembre dernier.

Décideurs. Les attentats de janvier ont-ils servi de leçon aux médias français ?

Jean-Marie Charon. Le traitement de l’information a été sensiblement différent. Cela tient à plusieurs facteurs. D’abord, la nature des attaques. Ensuite, les conditions d’accès aux lieux où se sont déroulés ces drames. Enfin, les vingt et une mises en demeure du CSA ont fait réfléchir. Après les attentats de janvier, certaines rédactions avaient mis en avant la nécessité de davantage anticiper les procédures de traitement de l’information, notamment en mettant en place des formations pour les journalistes. Parmi les changements notables entre les événements de janvier et ceux de novembre, notons l’amélioration significative de la relation entre les médias et les forces de police.

 

Décideurs. Faut-il diffuser toutes les images ?

J.-M. C. C’est souvent la question qui se pose dans un contexte de gestion de l’information en temps de guerre. Et la règle qui doit compter, c’est celle de l’intérêt général. À cela près que certaines images choquantes circulent sur les réseaux sociaux avant même d’être diffusées dans les médias. C’est là que l’arbitrage se complexifie pour les rédactions qui doivent alors opter pour la moins mauvaise solution. Durant les attentats, Le Monde a par exemple mis en évidence une série de faux documents. Les médias doivent absolument se doter de moyens, humains comme algorithmiques, pour détecter les images trompeuses.

 

Décideurs. Comment gérer la circulation de l’information sur les réseaux sociaux ?

J.-M. C. Sauf à avoir de la part des autorités françaises une attitude qui consisterait à bloquer les réseaux sociaux, la publication d’images et de vidéos est inévitable. Nous n’en sommes pas encore là. La solution pourrait d’ailleurs venir des médias eux-mêmes qui ont un rôle à jouer dans la mise en perspective des actualités qui transitent sur Facebook et autres Twitter. Lors d’événements majeurs, la rédaction du Monde met par exemple en place un fil d’information en continu qui répond en temps réel aux interrogations des internautes. Cette démarche de « fact checking » répond à ce devoir des médias de faire le lien entre les citoyens et les réseaux sociaux, en validant ou pas la véracité des informations qui circulent sur les réseaux sociaux.

 

Décideurs. Le renvoi du chroniqueur Thomas Guénolé de RMC a suscité de vives réactions. Avez-vous le sentiment que les médias français sont muselés ?

J.-M. C. Rappelons que l’état d’urgence, qui a été décrété pour trois mois en France, n’a pas été étendu aux médias. Toutefois, certaines rédactions peuvent donner le sentiment de s’autocensurer. Il pourrait évidemment y avoir un débat avec la direction de RMC, mais il ne faut pas perdre de vue que les journalistes comme les chroniqueurs sont tenus de respecter une ligne éditoriale. Il existe un lien de subordination qui est trop souvent oublié.

 

Propos recueillis par Émilie Vidaud

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