En plein essor, le transport par câble interroge sur l’avenir de l’intermodalité. Malgré des avantages indéniables sur le plan écologique, et une intégration ancestrale à l’environnement alpin, ce moyen de locomotion insolite fait face à de nombreux obstacles lorsqu’il est question de l’intégrer au maillage urbain. Entretien avec Jean Souchal, président du directoire de Poma.

Décideurs. Pourriez-vous dresser un état des lieux du transport par câble en ce début de décennie ?

Jean Souchal. Le transport par câble est quelque chose qui existe depuis maintenant plusieurs centaines d’années, mais qui est devenu intéressant sur le plan humain au début du 20ème siècle. Auparavant, il était surtout affilié au transport de troupes, ou pour Poma précisément les loisirs de montagne. La France est le leader mondial dans la remontée mécanique alpine. Notre pays a une histoire très longue, avec des acteurs majeurs, dans l’aménagement de la montagne. Je pense à l’école du ski français, aux aménagements de station etc. Nous bénéficions de cette image de très bons aménageurs. Poma a aujourd’hui une forte présence en Amérique du sud, en Australie, en Nouvelle-Zélande, l’entreprise a une dimension internationale très forte, et avait dès 1970, 80 % de chiffre d'affaires à l’export. Notre concurrent principal est aujourd’hui l’Autriche, qui a repris toutes les activités suisses. De plus, le transport par câble s’est beaucoup développé en Algérie, qui est aujourd’hui le premier pays au monde dans l’exploitation de téléphérique en milieu urbain.

Le gros point de départ, c’est Medellin. Dans cette ville, l’intermodalité s’est développée. Les remontées mécaniques sont devenues un élément de transport intégré parmi tous les autres, les cabines ramènent les gens vers des transports plus lourds. Il y a eu d'autres exemples, en Russie, à Taiwan, au Brésil, qui possèdent d’importants maillages de transport à câble. Aujourd’hui, lorsque l’on regarde Poma, il est possible de distinguer quatre quarts de chiffre d’affaires : la neige représente un quart, la partie touristique compte également pour un quart, un autre quart se situe dans l'urbain, qui est un vrai monde en devenir, le dernier quart est lié au transport de matériaux (pour les cimenteries par exemple) ou à l'entertainment (comme la roue de Londres).

Quelles sont les principales difficultés à lever pour faire de ce moyen de locomotion un système de transport incontournable de la ville de demain ?

L’acceptation. Le transport par câble est aujourd’hui perçu comme une solution concrète. Alors que personne n’y pensait il y a vingt ans. Les deux dernières décennies ont permis aux aménageurs de se dire : oui il y a aussi des solutions à câble. L’accompagnement législatif et Grenelle, Grenelle 2 plus précisément, ont décrété que le transport par câble était vertueux. Il y a eu une conscience politique forte. Cela a permis la modification de la loi de 1941 sur le survol des propriétés. Le transport par câble a ainsi pu gagner sa place d’un point de vue administratif. D’autre part, la problématique d’un transport de personnes c’est la qualité. Quand on regarde les RER d’autrefois et les rames de RER d’aujourd’hui, le confort usager a beaucoup évolué. Dans l’urbain, nos cabines ne sont pas celles des sports d’hiver et ont besoin d’un certain confort et d’un certain nombre de fonctions, notamment dans les pays chauds. Les notions de climatisation, de wifi et d'éclairage nocturne imposent d’avoir des sources d'énergie dans les cabines. Poma a également dû travailler et travaille toujours à la résolution d’autres types de freins : survol des habitations, nuisances sonores -bien qu’extrêmes faibles en comparaison des autres systèmes, crainte du vide…. Mais aujourd’hui les technologies ont apporté des solutions, et ce n’est plus un vrai problème pour moi.

"La France est le leader mondial dans la remontée mécanique alpine"

Le transport par câble est-il aisément intégrable au maillage urbain de la ville ?

Le transport par câble est forcément conditionné par des trajectoires rectilignes. Toutefois, nous savons prendre des virages, de légers angles grâce aux pylônes, nous pouvons donc adapter les choses à la marge. D’un autre côté, en termes de mobilité, nous avons finalement la chance en Europe d’avoir des stations rapprochées, ce qui nous permet de produire des tracés agiles. L’appareil de Grenoble va par exemple relier trois lignes de tram, passer au-dessus de deux cours d’eau, de deux autoroutes, de la voie de chemin de fer. Nous avons la chance d’avoir un moyen de transport léger et de pouvoir surmonter des obstacles que d’autres ne peuvent pas. Nous sommes même allés plus loin avec Eiffage dans un projet commun : nous avons imaginé que certains véhicules puissent se détacher et continuer leur voyage, combiné à un autre moyen de locomotion, en remorque derrière des tramways par exemple. Les Français sont d’ailleurs reconnus pour leur capacité à aménager la ville de demain.

Pensez-vous que le téléphérique urbain soit une solution suffisamment mature sur le plan environnemental pour devenir une alternative de choix ?

Nous bénéficions d’un avantage extraordinaire : pouvoir concentrer en un lieu unique toute l’énergie nécessaire au transport, grâce au câble. Cette énergie est électrique. Nous avons travaillé sur la motorisation, notamment sur des moteurs lents. Poma a créé ce système de manière à avoir la capacité de s'affranchir de tous les produits pétroliers (huiles, etc.) et de consommer moins d'énergie, 7 % à 8 % de moins. Ces machines font également 3 à 4 fois moins de bruit, répondant ainsi à une vraie problématique citadine. Nous avons, par ailleurs, travaillé à la réduction de l'empreinte carbone de nos dispositifs.

Cela passe par une réflexion sur la forme des câbles, sur les galets. Ainsi, nous avons réussi à pratiquement diviser par deux le bruit généré par les câbles et à augmenter le rendement des appuis, pour produire moins de poussière et de bruit. Nous sommes en processus de recherche permanent sur ces améliorations vertueuses. Et n’oublions pas les moyens de fabrication dans le bilan environnemental. Lorsque Poma investit en France à côté d'Albertville 20 millions d’euros pour avoir l’ensemble du matériel sur place et ainsi éviter une quantité significative de trajets aux camions, c’est aussi une manière de participer, d’une façon organisée et industrielle, à réduire les émissions de carbone liées à la fabrication d’une remontée mécanique. Bien sûr, nous devons équiper nos nacelles d’un autre système de déplacement pour pallier une éventuelle panne électrique. Nos appareils disposent donc tous d’un deuxième système qui permet de faire tourner le câble à très faible vitesse. Il est en général lié à des groupes électrogènes qui sont utilisés une fois tous les dix ans, à la marge.

"Le transport par câble est devenu une maille dans un système intermodal qui apporte pour des cas très précis beaucoup de valeur"

Quelle sont les ambitions de Poma pour le futur du téléphérique urbain ?

C’est un marché en devenir. En nous appuyant sur l’exemple des travaux de restauration du téléphérique de New York que nous avons réalisés, nous pensons être en mesure, sur un plan très économique, d'apporter des solutions de transport intéressantes. A Medellin, Poma est sur le point d’achever la construction d’un appareil qui va permettre de transporter 4 000 personnes par sens et par heure. La capacité d’un tram est plutôt de 8 000, pour ordre de comparaison. Nous sommes donc sereins sur le marché, notre objectif est d’être acteur, indépendant, avec des actionnaires privés pour être libre de notre destinée, et de manière à apporter une croissance raisonnée, avec de vraies solutions. Nous ambitionnons de nous inscrire dans la durée. Enfin, Poma est aussi une société française, fier de cet ADN. Sur les 1 300 membres de Poma, plus de 950 travaillent en France. Notre ambition est donc d'être un acteur français mondial reconnu, sage et qui sera là encore pour 80 ans.

La réussite de ces 20 dernières années réside dans le changement de perception du transport par câble : il n’est plus associé aux loisirs de station de ski mais une solution à part entière qui va consolider les autres formes de transports, sans être en concurrence avec eux. Il peut même être une alternative. Les ascenseurs valléens sont un exemple criant, reliant les réseaux de transport de fond de vallée aux sites de montagne, répondant à un grand nombre d’enjeu de congestion et de durabilité, facilitant la mobilité des visiteurs comme des locaux. Dans l’application urbaine pure, à Medellin par exemple, ce sont de petits bus qui sillonnent la ville et les collines alentour, générant de surcroit une pollution importante. A Toulouse, même constat, le trafic routier est engorgé, utiliser la 3e dimension (sic l’espace aérien) était une évidence. On peut être fier les uns et les autres que chacun ait son domaine de pertinence. Le transport par câble est devenu une maille dans un système intermodal qui apporte pour des cas très précis beaucoup de valeur. 

Propos recueillis par Thomas Gutperle 

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