Défiance des citoyens, vote extrême, paralysie parlementaire, professionalisation des partis politiques… Pour beaucoup, il est temps de faire évoluer les institutions pour donner à nouveau confiance en un État redevenu efficient.
« Vous n’allez quand même pas réintroduire le débat sur la VIe République ? », ironise Luc Rouban, directeur de recherche au CNRS et au Cevipof de Sciences-Po. « C’en est fini depuis l’hyper-présidence de Nicolas Sarkozy. »
Et pourtant, le dernier baromètre sur la confiance du Cevipof démontre que si les citoyens ne remettent pas massivement en cause les institutions, seuls 27?% d’entre eux estiment que la démocratie française fonctionne bien. Les Français plébiscitent ainsi des décisions plus proches de l’attente des citoyens (64?%), un recours direct au peuple plus fréquent à travers le référendum (81?%), comme de suivre l’avis d’«?experts?» (59?%) ou de donner plus de libertés aux entreprises (64?%) pour résoudre les problèmes économiques. En attendant, c’est la classe politique dans son entier que les Français rejettent.


Le retour de la confiance

«?Il faut réformer la démocratie en réhabilitant le politique. C’est le prix du retour de la confiance?», avance l’économiste Jean Pisani-Ferry, commissaire général de France Stratégie. Chez EELV, on attribue la responsabilité de cette défiance au modèle «?périmé?» de l’homme présidentiel omnipotent. Lionel Jospin l’admettait lui-même : «?Je n’ai même plus le temps de penser.?»

À qui la faute ? «?Aux élites françaises monocolores, élevées dans un moule idéologique particulier?», lâche Bastien François, professeur à Paris I et conseiller régional d’Île-de-France. Une élite qui ne tient plus compte de la souveraineté populaire et « qui ne la respecte plus », ajoute Mathieu Dupas, membre du comité technique pour le Mouvement pour la 6e République (M6R).

Face à un système vertical qui fait la part belle à la technocratie et à des suffrages sans représentation, il n’y a plus d’autre choix que de «?reparlementariser le système?», explique Julien Bayou, conseiller régional d’Île-de-France et porte-parole du parti écologiste. C’est toute la question de la proportionnelle qui est une nouvelle fois posée : méthode du quotient ou systèmes de compensation, les avis divergent, mais tous exigent en tout cas une dose.

Sur la question du référendum, les tenants d’une nouvelle constitution souhaitent une consultation en amont, organisée de manière régulière, qui permettrait d’éviter l’écueil du plébiscite. Certains, à l’instar du Mouvement pour la 6e République (M6R), vont même jusqu’à prôner un référendum révocatoire. Une idée qui n’est toutefois pas partagée par tous, à l’instar de Julien Bayou : « La solution se trouve dans le parlementarisme avec des contrepouvoirs forts et la construction d’une alliance de gouvernement.» Et quand on leur soumet le paravent historique d’un retour à l’instabilité de la IVe, les militants arguent qu’en Allemagne ou au Royaume-Uni, où ce système existe, il n’y a ni éparpillement des partis, ni instabilité. Preuve que cela peut fonctionner.


Davantage d’efficience

La Constitution de 1958 serait devenue «?perverse?». Pour Bastien François, «?le glissement date de Pompidou, lorsque le président de la République est devenu patron du gouvernement?». Problème : les Français ne sont pas prêts à changer l’intuitu personae qui les lie au chef de l’exécutif. Pour le constitutionnaliste, il existe une solution : créer une nouvelle fonction présidentielle qui lui permettrait d’être «?le garant de la préparation de l’avenir. (…) À condition de le détacher du gouvernement de tous les jours, ajoute-t-il. Il conserverait ainsi sa forte légitimité, grâce au suffrage universel, et améliorerait son autorité en ne s’occupant pas du quotidien.?»

Chez les Verts, on impute l’inefficience à « l’empilement de l’exécutif », depuis l’échelon communautaire jusqu’au communal. On bloque le politique à force de multiplier les services et les échelons. Pour pallier cette tendance, EELV avance le triptyque décentralisation, simplification et subsidiarité. Il s’agit de donner plus d’efficacité à l’exécutif, plus de pouvoirs au Parlement – notamment à l’opposition – et plus d’écoute au peuple souverain.

La transition écologique apparaît également comme un impératif pour les garants du changement constitutionnel. « Il va falloir transformer nos sociétés, mais pas par le haut. Le système doit être décentralisé et ouvert, afin que le citoyen puisse prendre le temps de faire évoluer les choses », développe Bastien François.

Plus original, au sein du M6R, on considère que l’efficience passe autant par la manière d’opérer les changements institutionnels que par leur contenu. La clé, c’est l’implication populaire. Et sa mise en forme : l’élection d’une assemblée constituante, comme en Tunisie ou en Amérique latine, et la motion de censure constructive qui, loin de renverser le gouvernement, le remplacerait, comme en Allemagne ou en Espagne.


Julien Beauhaire


Changer les institutions ? Ils y songent :
Laurence Parisot, ancienne présidente du Medef : «?Le problème de la France, ce sont ses institutions qui manquent d’efficience. Certains estiment que nous sommes protégés par celles de la Ve République. J’ai compris que c’était là davantage le problème que la solution. Je soutiens une petite réforme : le Président, une fois élu, devrait avoir le droit à quelques mois de délai avant de s’installer. Sinon, les cent premiers jours sont loupés.?»
Claude Bartolone, président de l’Assemblée nationale : «?Le véritable enjeu de nos institutions devrait être de capter la force de la multitude, car le retour en grâce actuel du Président relève plus du symbole que de l’action.?»


Le Grand soir ?
Depuis 1958, la Ve République a connu vingt-quatre révisions, preuve que «?la rénovation par petites touches n’a pas fonctionné?», reconnaît Mathieu Dupas, du M6R, admettant qu’avec les nouvelles propositions envisagées par Nicolas Sarkozy ou François Hollande, on est un peu dans «?le concours Lépine de la rénovation institutionnelle?».
Pourtant, changer de régime n’est pas vendeur pour un candidat à la magistrature suprême. Si des «?mises à jour?» sont préférées par certains, d’autres envisagent davantage un projet global porté par une personnalité forte. Tous reconnaissant l’obligation d’adhérer au système qu’ils critiquent, jouant ainsi le jeu de la légalité républicaine. «?Quand de Gaulle critiquait la IVe République, il venait de se faire élire Président du conseil !?», ironise-t-on.


Pour aller plus loin : 
Michèle Alliot-Marie : «La VIe République ? Ce n'est pas très sérieux»
Aurélie Filippetti : « Il y aura une VIe République, c’est sûr, mais prendra-t-elle ce nom ? »


Visuel : © AFP pour l’AN

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