Le mot « impossible » ne fait pas partie du vocabulaire de Frédérique Scavennec. Pour la directrice du recrutement de l’employeur préféré des diplômés en Europe (Universum 2015), il faut savoir prendre des risques. Consciente que la confiance est le socle du management moderne, elle déploie une politique à son image : dynamique, innovante… et digitale.

Entretien avec Frédérique Scavennec, directrice du recrutement, L'Oréal

Chasseuse de têtes en cabinet à ses débuts, Frédérique Scavennec l’est aujourd’hui pour le groupe L’Oréal en tant que VP Global Talent Acquisition. Sa grande fierté ? : « Avoir contribué à faire évoluer mon ancienne assistante au poste de responsable du recrutement dans le groupe ». Passée chez Bouygues Télécom alors en pleine croissance et Vivendi Universal Net, un groupe en perpétuelle mutation, elle aspire à briser les plafonds de verre.

 

Décideurs. L’Oréal a choisi de miser sur la digitalisation de ses processus de recrutement. Comment s’effectue ce changement concrètement ?

 

Frédérique Scavennec. Chez L’Oréal, la digitalisation a été anticipée dès 2011. Nous savions que la transformation numérique allait bouleverser l’environnement économique mondial. Pour réussir une transformation, il est essentiel de rester perméable, d’investir dans des compétences clés. Nous avons intégré à nos équipes RH des profils digitaux qui ont contribué à faire du groupe l’un des premiers recruteurs sur le Web. Aujourd’hui, un quart de nos recrutements se font sur les réseaux sociaux. La digitalisation est aussi une affaire de management car les plus seniors doivent avoir l’humilité d’apprendre un monde nouveau. D’autre part, les candidats sont dans une nouvelle dynamique : les relations qu’ils tissent avec les entreprises sont de plus en plus personnalisées et informelles. Ainsi, la communication digitale, devenue un facteur d’attractivité incontournable, ne doit pas faire oublier que la pièce maîtresse du recrutement reste l’entretien en face à face.

 

Décideurs. Comment avez-vous vu évoluer les attentes des candidats ?

 

F. S. Les candidats recherchent l’authenticité, la transparence et la simplicité. Ils veulent savoir qui est le « vrai L’Oréal ». D’autre part, ils ont développé une forte sensibilité à la responsabilité sociale des entreprises. Nos collaborateurs ont donc un rôle d’ambassadeurs sur les réseaux sociaux tout comme la direction générale. Jean-Paul Agon, le président du groupe, a décidé de communiquer publiquement sur nos engagements RSE pour 2020 et nos résultats. De bonnes rémunérations restent également un moteur pour les candidats, tout comme nos parcours de formation et de développement. Le groupe L’Oréal est un terrain de jeu incroyable : cinq divisions, soixante-trois pays, 32 marques internationales et une multiplicité de métiers. Enfin, pour la jeune génération, le sujet majeur est l’évolution de la culture managériale. En quête d’intelligence collective, la liberté dans la gestion du temps fait partie des nouvelles exigences. C’est l’esprit start-up que nous devons insuffler dans un groupe qui a cent ans d’histoire et qui offre tout de même de la sécurité.

 

Décideurs. Vous vous êtes fixé un objectif : sélectionner des leaders de talents. Quelles sont leurs caractéristiques ?

 

F. S. L’Oréal ne pourvoit pas à des postes, mais recrute des collaborateurs pour ce qu’ils vont devenir. S’ils maîtrisent des compétences techniques, ils se reconnaissent dans les valeurs d’excellence, de performance et de culture du groupe. L’homme passe avant les process. Nous choisissons également des candidats entrepreneurs qui veulent avoir un impact et aller au-delà d’une description de poste.

La diversité dans les équipes est clé : par exemple, la mienne est composée de huit nationalités (israélienne, chinoise…) et je dois être la seule de plus de trente ans. C’est en travaillant en mode collaboratif que l’on valorise les compétences complémentaires.

 

Décideurs. Quelles pratiques innovantes avez-vous mises en place ?

 

F. S. Pour atteindre les profils qui ne viendraient pas spontanément à L’Oréal, nous devons aller les chercher. Pour assurer la diversité et la mixité dans les équipes nous devons être proactifs car certains clichés demeurent : la plupart des candidatures chez l’Oréal sont féminines. La démarche nécessite un changement de fonctionnement. Aujourd’hui sur les réseaux sociaux, 80 % des inscrits sont passifs. Nous avons donc donné l’accès à nos recruteurs aux 400 millions de membres LinkedIn. Nous avons choisi de diffuser du contenu informatif sur nos métiers à des cibles qui ne se considéreraient pas « L’Oréaliennes ». Pour créer des produits hi-tech comme l’application Makeup Genius, j’ai besoin de développeurs. De la même manière nous lancer sur le marché de l’impression 3D implique le recrutement d’experts.

 

Décideurs. Vous constituez des équipes de recrutement en interne. Une concurrence pour les chasseurs de têtes ?

 

F. S. Non, c’est une crainte qu’ils ne devraient pas avoir, sous réserve qu’ils se remettent en cause sur le métier. Autrefois, la valeur ajoutée des cabinets de recrutement se faisait sur l’identification et le sourcing de candidats. Aujourd’hui elle repose sur la capacité à comprendre notre culture, la transformation digitale et à répondre de manière extrêmement rapide et ciblée à nos demandes. En interne, les collaborateurs sont les meilleurs porteurs de la culture L’Oréal, mais pour des postes complexes, confidentiels et très internationaux, nous faisons appel aux chasseurs de têtes.

 

Décideurs. Quels seront, selon vous, les facteurs clés de succès d’une politique de recrutement en 2030 ?

 

F. S. Il est compliqué de se projeter compte tenu de la vitesse à laquelle tout change. Reste un intangible : la stratégie de recrutement est alignée sur la stratégie business. Toutefois, nous allons à mon sens vers un recrutement affinitaire : comment vais-je pouvoir aider le candidat à choisir la bonne entreprise et, à l’inverse, comment trouver le bon candidat pour un poste donné. Avec le digital, le risque est d’aller vers le clonage des profils si les paramètres de recrutement prennent le pas sur l’aspect humain.

 

Décideurs. Un conseil en matière de recrutement ?

 

F. S. Il n’y pas de place pour le mensonge en entretien. Il faut être authentique. Nous ne sommes pas tous fait pour rejoindre toutes les entreprises.

 

Propos recueillis par Julie Atlan

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