Élu bâtonnier en juin dernier, Frédéric Sicard débutera le 1er janvier 2016 son mandat de deux ans à la tête des avocats de Paris. Ambitieux pour la profession, il confie à Décideurs sa ligne de conduite.

Décideurs. Une de vos mesures phares proposées durant votre campagne était la diminution du budget de fonctionnement de l’Ordre. Quelles économies les avocats peuvent-ils espérer ?

Frédéric Sicard. Je me suis fixé comme objectif une économie de 2,5 millions d’euros par an. Fin novembre, avant le vote du budget, nous en étions déjà à deux millions.

Nous avons diminué le budget de la communication (de l’ordre de 700 000 euros) par effet de centralisation de l’ensemble des services qui sont en charge de cette mission. Nous avons décidé de diminuer le nombre de manifestations en France et à l’étranger. Par exemple, nous passerons de cinq à deux campus par an.

Avec Dominique Attias, vice-bâtonnier, nous avons eu trop peu de temps pour nous préparer puisque notre dauphinat a été réduit à six mois avec des élections en juin. De nombreuses précisions seront apportées dans les prochains mois, comme la désignation de la ville qui accueillera le prochain campus ou la hauteur exacte de la baisse des cotisations ordinales.

 

Décideurs. Ces économies de 2,5 millions d’euros sont-elles faciles à réaliser ?

F. S. Non, notamment puisque nous sommes en pleine préparation du déménagement du palais de justice aux Batignolles et cela entraîne des dépenses exceptionnelles. Par exemple, nous sommes en train de réfléchir au déplacement des archives pour les faire sortir du palais de justice actuel et les traiter. Autre dépense exceptionnelle et non des moindres : l’accès au nouveau palais de justice et la circulation dans le Palais.

 

Décideurs. Quel est l’enjeu ?

F. S. Nous devons allier sécurité et liberté, et cela passe par la traçabilité. L’enjeu est de prévoir la circulation des avocats au sein du nouveau palais et nous pensons que plutôt que de subir les choix des autres, nous devons réunir les avocats au niveau national et européen. Alors pourquoi pas une nouvelle carte professionnelle à puce ? Ce que nous allons organiser doit correspondre à la planification des professions. C’est l’occasion d’aller au bout de la démarche européenne de développement des professions réglementées. La Chancellerie devrait y être favorable pour régler le problème de sécurité et renforcer le contrôle professionnel. Bercy également puisque c’est un facteur de développement économique.

 

Décideurs. Avez-vous déjà été entendu par ces deux ministères pour l’évolution de la profession ?

F. S. Nous avons déjà réalisé un tour de piste des sujets généraux mais le trait d’union entre toutes ces questions est l’inscription dans la Constitution d’un statut professionnel, comme c’est le cas au Canada, au Mexique, au Brésil ou encore en Tunisie, ou comme en Allemagne où le secret professionnel est protégé constitutionnellement. C’est la clé de notre développement et de la conservation de notre identité et de nos valeurs.

 

Décideurs. Pourquoi inscrire le statut d’avocat dans la Constitution ?

F. S. Nous ne pouvons pas demander la protection de la Constitution sans en être dignes. Nous le voulons pour nos clients, qui demandent plus d’audit de leurs activités pour placer l’avocat dans la stratégie de l’entreprise. Cela implique plus de secret et des règles renforcées sur les conflits d’intérêt, pour que le chef d’entreprise considère son avocat comme un acteur central de sa stratégie. Les avocats doivent pouvoir redonner confiance pour être ancrés dans la réflexion stratégique à long terme. Je suis persuadé que le droit peut avoir une influence sur l’économie puisque pour un dirigeant, fidéliser un collaborateur c’est du droit social, fidéliser un client, c’est du droit commercial, etc.

En contrepartie de l’effort de déontologie de son avocat, le client doit accepter un délai de préavis de départ, pour protéger l’avocat dans une relation professionnelle qui se veut pérenne.

 

Décideurs. L’implication de l’avocat dans la stratégie de son client ne l’inciterait-il pas à dispenser un conseil susceptible d’être pénalement répréhensible ?

F. S. Un fraudeur est un fraudeur. Mais attention à ne pas céder aux sirènes de Bercy qui voudrait que nous dénoncions nos clients. À la différence des experts-comptables, qui proposent au ministère de l’Économie de simplifier et d’automatiser les déclarations pour faciliter les recherches et les contrôles, la matière que les avocats traitent est complexe. Nous ne pouvons pas nous permettre de simplifier le traitement de nos dossiers sous peine de perdre notre liberté et notre indépendance.

 

« L’opposition entre le barreau d’affaires et le barreau traditionnel est une vision dépassée »

 

Décideurs. Justement, les experts-comptables font concurrence aux avocats en proposant du conseil juridique. Et ils sont mieux armés puisque leurs structures d’exercice peuvent recevoir les capitaux de non-professionnels du chiffre. Êtes-vous favorable à l’ouverture du capital des cabinets à des non-avocats ?

F. S. Non, je n’y suis pas favorable dans le système normatif actuel, qui ne nous donne pas suffisamment de garanties d’autorégulation, corolaire d’indépendance. Si nous bénéficions de l’indépendance constitutionnelle, la résolution des litiges entre actionnaires serait dévolue aux ordres professionnels. Dans ce cas, je suis favorable à l’ouverture du capital des cabinets aux non-avocats. Mais tant que l’autorité de l’Ordre n’est pas inscrite dans la loi constitutionnelle, je m’y opposerai. Une simple loi ne suffit pas puisque la loi peut changer. L’autorégulation de la profession ne pourra être organisée que lorsque nos principes d’indépendance et de secret professionnel seront inscrits dans la Constitution.

 

Décideurs. Comment résoudre la dispute entre les avocats au sujet de l’avocat en entreprise ?

F. S. L’opposition entre le barreau d’affaires et le barreau traditionnel est une vision dépassée. Même le conseil d’un tout petit client doit être stratégique. Par exemple, un salon de coiffure consulte son avocat pour savoir comment grandir, comment devenir pérenne, quelles activités développer, etc.

Puisque l’opposition entre avocats d’affaires et avocats dits classiques ne peut plus perdurer, nous pourrons avancer sur la question de l’avocat en entreprise lorsque nous aurons obtenu l’adhésion la plus forte de l’ensemble des avocats - pourquoi pas par référendum - et ouvert la discussion avec les juristes d’entreprise. Il faut que nous décidions ensemble de ce que nous mettrons dans le contrat qui lie l’avocat avec son entreprise. Nous ne pouvons pas créer un nouveau statut d’exercice et laisser à la pratique la détermination des modalités d’organisation de celui-ci. Cela doit passer obligatoirement par une négociation pour déterminer par exemple la durée du conflit d’intérêt, les termes de la clause de non-concurrence, etc. L’avocat en entreprise peut exister de la même manière que le médecin salarié mais nous nous devons de décider dans quel cadre. Enfin et encore une fois, rien en force, tout et simplement tout, si se dégage une majorité… sinon on arrête.

 

Propos recueillis par Pascale D’Amore

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