Éditrice réputée, l’ancienne présidente d’Actes Sud, se pose, à 65 ans, comme l’une des figures emblématiques du gouvernement. Femme de terrain, elle est aujourd’hui chargée de mettre en œuvre la grande réforme culturelle promise par Emmanuel Macron. Portrait d’une ministre pas comme les autres.

Bien malavisé celui qui sous-estimerait Françoise Nyssen. Derrière la douceur et le calme apparent de cette férue de littérature, se cache une femme à poigne. Une chef d’entreprise aux épaules solides, qui, en l’espace de trente ans, a su faire de la maison Actes Sud une société d’édition renommée. Une amoureuse des lettres et des arts, engagée en faveur de la diversité culturelle depuis toujours, sans aucune ambition politique. Rien ne la prédestinait ainsi à rejoindre l’équipe d’Emmanuel Macron. « Ça lui est tombé dessus la veille pour le lendemain », assure son mari Jean-Paul Capitani, qui tient les rênes de l’entreprise familiale depuis sa nomination au ministère de la Culture. « Elle a pris une décision radicale en acceptant ce poste, poursuit-il, rappelant que son épouse se consacre aujourd’hui entièrement à ses nouvelles responsabilités. C'était un choix engagé. » Une envie d’agir pour le bien commun doublée d’une capacité à rassembler, dont celle qui se définit non pas comme une patronne, mais davantage comme une « chef d’orchestre », aura besoin pour relever le défi lancé par le Président : « réconcilier et réenchanter les Français avec la culture.»

« Elle n’a pas les réflexes politiques classiques. Son approche est plus entrepreneuriale »

Un pari fou

Une thématique que cette Françoise Nysse connaît bien. À la fin des années 1970, alors qu’elle travaille dans le secteur de l’urbanisme, cette belge d'origine décide de changer de vie en rejoignant son père, parti créer sa propre société d’édition dans le sud de la France. Un pari fou, à l’heure où les grands éditeurs ont pignon sur rue dans la capitale. Mais la famille Nyssen appartient à la caste des utopistes. Le père et la fille ont en commun, outre le désir de relever des challenges, la volonté de casser les codes, de bousculer les élites. Et cela marche. Tandis que personne ne misait sur elle il y a trente ans, la maison Actes Sud, forte de ses 240 salariés, compte aujourd’hui plusieurs prix Goncourt, des écrivains aussi talentueux que Laurent Gaudé, Paul Auster ou la prix Nobel Svetlana Aleksievitch et des succès commerciaux tels que la série Millénium vendue à cinq millions d’exemplaires.

Envie d’agir

Au fur et à mesure des années, Actes Sud devient, à l’image de Françoise Nyssen, incontournable dans la vie arlésienne. Ce véritable lieu de vie comprend une librairie, un restaurant, trois salles de cinéma, un hammam, une salle de spectacle et même une école. En 2015, à la suite d’un drame familial – le fils de Françoise Nyssen et Jean-Paul Capitani s’est suicidé à l’âge de 18 ans –, le couple imagine et ouvre un établissement scolaire alternatif, sans examens ni punitions. L’objectif ? « Éduquer sans blesser », expliquait-elle au moment de la création de l’école dite du « Domaine des possibles ». Un projet qui reflète son caractère généreux et altruiste, mais aussi son pragmatisme, son envie de d’agir et de chercher des solutions. 

« Elle n’est pas un chef autoritaire »

Faire confiance

Consciente qu’elle ne peut rien construire sans une équipe soudée autour d’elle, pour mobiliser ses collaborateurs, l’ex-éditrice n’a qu’un secret : faire confiance. « C’est sa marque de fabrique », note son entourage au ministère. « Elle n’est pas un chef autoritaire, confirme Jean-Paul Capitani. Nous avons construit Actes Sud comme une entreprise horizontale, où chacun travaille en ayant conscience des responsabilités qui lui sont déléguées. » Forte de ses convictions et de son expérience du terrain, Françoise Nyssen est sollicitée par le président de la République quelques jours seulement après son élection pour prendre la tête de la prestigieuse rue de Valois. Une arrivée largement saluée par la presse. « Ça va pulser sous les lambris », peut-on lire dans les pages de Marianne, tandis qu’à L’Express, on se réjouit d’avoir « enfin une vraie ministre de la Culture ».

Figure emblématique

« Elle n’a pas les réflexes politiques classiques, assure-t-on pourtant au ministère. Son approche est plus entrepreneuriale. » Ni arrogante ni hautaine, la nouvelle ministre déconcerte. Ce qui l’intéresse avant tout ? Les autres. « Elle se nourrit des rencontres, elle se moque des grades et n’a aucune posture de mépris. » Un trait de caractère, qui, très vite, fait d’elle l’une des figures phares du gouvernement, une ambassadrice emblématique du « macronisme », consciente de la réalité du terrain. Une qualité indispensable pour mener à bien l’ambitieux projet d’Emmanuel Macron. Lors de la campagne présidentielle, celui-ci avait promis qu’il ferait de la culture « le premier grand chantier de son quinquennat ». Avec, en ligne de mire, trois mesures fortes : le renforcement de l’accès à la culture à l’école, l’élargissement des horaires d’ouverture des bibliothèques, et la mise en œuvre du fameux pass culture.

Sujet brûlant

Le but de ce dispositif inédit ? Lutter contre les « désert de culture », observés dans certains quartiers, en offrant 500 euros aux jeunes de 18 ans pour leurs dépenses culturelles. Une initiative qui ne fait pas l’unanimité. Outre son coût  ̶  240 millions d’euros  ̶ , certains doutent de son efficacité. En Italie, alors qu’un système similaire a été mis en place en 2016, seuls 60 % des bénéficiaires ont demandé l’aide nationale. Pas de quoi décourager Françoise Nyssen.

« Elle se nourrit des rencontres, elle se moque des grades et n’a aucune posture de mépris. » 

 

En décembre dernier, celle-ci a précisé sur les ondes d’Europe 1 que le pass culture prendrait la forme d’une « application géolocalisée pour mobile, créditée de 500 euros pour les jeunes de 18 ans, mais téléchargeables par tous », avant d’ajouter que des « tests auront lieu au premier semestre 2018, pour un lancement en septembre ». Autre chantier attendu : celui de la réforme de l’audiovisuel public. Un sujet brûlant, qui, depuis plusieurs semaines, fait l’objet d’un grand nombre de spéculations.

Premier couac

En novembre dernier, Le Monde avait notamment révélé le projet visant à regrouper France Télévisions et Radio France. « Il s’agit de pistes de travail », s'empresse de tempérer la ministre dans un communiqué, avant d’afficher sa volonté de porter plainte contre X. Une déclaration qui a provoqué l’ire du quotidien, dénonçant « une culture du secret en opposition complète avec la défense de la liberté de la presse et de la protection des sources ». Un premier couac pour l’Arlésienne ? Sans doute. Pas de quoi remettre en cause sa crédibilité pour autant.

« Elle est ferme et ne tremble pas quand il s’agit de trancher, de prendre une décision. Mais elle n’est pas donneuse de leçon.»

Son entourage l’assure : contrairement à ce que certains semblent croire, aucune discorde n’existe entre l’Élysée et le ministère de la Culture sur la question de l’audiovisuel public. Le limogeage de Marc Schwartz, le directeur de cabinet de la ministre, en janvier dernier, ne serait pas une requête des équipes d’Emmanuel Macron, mais une décision de Françoise Nyssen elle-même. « Elle avait envie de reprendre la main », explique ses proches.

Trop gentille ?

L’opposition lui reproche toutefois d’avoir « du mal à incarner la fonction ». « Elle n’a pas pris sa place dans ce ministère plus compliqué qu’on ne l’imagine. Elle a pourtant des réformes majeures à traiter », estime Annie Genevard, députée LR et vice-présidente de l’Assemblée nationale, interrogée sur Cnews le 3 janvier. Françoise Nyssen serait-elle trop gentille ? Si son mari semble le croire, ses collaborateurs rue de Valois sont unanimes : « Elle est ferme et ne tremble pas quand il s’agit de trancher, de prendre une décision. Mais elle n’est pas donneuse de leçon.» L’ex-éditrice n’a pas peur de prendre des coups, déteste qu’un sujet lui échappe et refuse, à tout prix, d’être protégée. Au ministère, comme aux éditions Actes Sud, elle aime dénicher de nouveaux talents et s’entourer de profils à la fois multiples et complémentaires. C’est, selon elle, de cette façon qu’elle obtiendra des résultats probants. Une démarche qui détonne dans la sphère politique, où les querelles d’ego sont souvent légion. Reste désormais à savoir si cette méthode lui permettra de mener à bien le chantier culturel qu’attendent les Français et de contribuer ainsi à la réussite du quinquennat d’Emmanuel Macron. 

 

@CapucineCoquand

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