À la base pur promoteur, Bouygues Immobilier est désormais un « opérateur urbain ». François Bertière, P-DG, fait le point sur les projets qui occupent l'entreprise et explique comment celle-ci collabore « main dans la main » avec les collectivités, notamment sur la transformation de quartiers défavorisés.

Décideurs. Quels sont les projets emblématiques sur lesquels œuvre actuellement Bouygues Immobilier ?

François Bertière. Si notre métier de base est la promotion, nous nous sommes tournés depuis plus de dix ans vers les quartiers et les sujets d'urbanisme. Aujourd'hui, nous pouvons ainsi nous qualifier d'opérateur urbain. Notre rôle est donc de fournir des services afin que les quartiers fonctionnent « correctement », et ce dans le respect des relations avec les élus locaux, car ce sont eux les responsables fondamentaux des services publics. Nos grandes opérations portent donc cette idée-là. Citons notamment Ginko à Bordeaux, projet composé de 2 700 logements, d'un centre commercial, de bureaux, mais aussi de tous les équipements publics qui vont avec. Aujourd'hui, plus de la moitié est livrée. Nous y avons inauguré un certain nombre de services qui n'existaient pas jusque-là, notamment la première conciergerie de quartier, dont l'objectif est de recréer du lien social. Nous ne livrons pas que du béton, mais aussi des services urbains. Citons également l'opération de Nanterre cœur université où nous dynamisons le lien urbain et social, tout en ajoutant une dimension de développement durable à travers l'énergie positive, ici étendue à l'échelle du quartier. Pour la suite, nous avons gagné l'appel d'offres du démonstrateur de ville durable XXL, situé à Marseille, d'une surface de 200 000 mètres carrés.

 

Décideurs. Les projets de ville intelligente portent le plus souvent sur du neuf. Peut-on faire de la smart city sur de l'existant ?

F. B. Ce n'est pas seulement possible, c'est indispensable. Le parc immobilier français se compose de trente millions de logements alors que l'on en construit 300 000 chaque année. Les logements et quartiers existants concentrent donc les enjeux principaux. Les marges de progression sont énormes ! C'est certes plus compliqué que de partir d'un terrain vierge, mais nous l'avons fait sur IssyGrid en connectant à un même réseau des bâtiments de bureaux, des commerces, des logements, mais aussi l'éclairage public. Une fois que le réseau et la plate-forme informatique sont développés, on est à même de connecter n'importe quel bâtiment. Les bâtiments anciens affichent des niveaux de performance énergétique si bas qu'il est au final très économique de les améliorer. Sortons-nous de la tête l'idée de transformer de vieux centres-villes en quartiers à énergie positive.

 

Décideurs. De même, comment opérez-vous sur les territoires défavorisés et cloisonnés ?

F. B. Nous avons une approche double. Comme partout, l'innovation commence sur le haut de gamme puis redescend progressivement. Certaines prestations proposées dans des zones aisées se généraliseront à très court terme. Mais nous opérons aussi sur des quartiers défavorisés. À Sartrouville, nous avons passé un accord avec la mairie, le Logement francilien, et l'Anru (Agence nationale de rénovation urbaine) afin de rénover la cité des Indes en construisant 2 600 logements dont 1 800 sociaux. La mixité sera au rendez-vous, et nous réinsérerons de l'activité commerciale de proximité. Il faut changer la réalité physique de ces quartiers dont la densité n'est pas si forte contrairement aux idées reçues : le COS (ndlr : coefficient d'occupation des sols) est de 5 à Paris alors qu'il n'est que de 0,8 à Sartrouville. Il est tout à fait possible de construire plus de logements avec du R+5 et un urbanisme plus contrôlé. Ces quartiers ont été construits en dépit de toute logique urbaine, tâchons d'en ramener.

Nous ne livrons pas que du béton, nous livrons aussi des services urbains

Décideurs. Parlez-nous un peu de votre démarche aux côtés des collectivités.

F. B. C’est en effet pour les collectivités que nous avons créé, il y a cinq ans maintenant, UrbanEra. Avec cette démarche, nous les accompagnons pour construire des quartiers mixtes, des services, du développement durable, que cela soit en zone ancienne ou neuve. Notre désir n'est pas de proposer une offre commerciale pour les clients mais plutôt de tenir le discours suivant auprès des collectivités : « nous sommes à vos côtés dans une réflexion urbaine qui est votre responsabilité politique, nous mettons à votre disposition notre capacité financière et technique ». L'état des finances publiques est tel que cette démarche semble être la plus logique. L’idée est d'avoir une stratégie globale à l'échelle des quartiers, comme cela s'est fait à l'étranger, notamment aux États-Unis. L'initiative doit nécessairement émaner de la sphère publique, car les quartiers ne vont pas se transformer d'eux-mêmes. Nous travaillons énormément avec l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (Anru) dont je tiens à saluer l'efficacité.

 

Décideurs. Le bâtiment réversible semble être à la mode. Qu'en est-il de la ville réversible ?

F. B. Ce thème est extrêmement compliqué à aborder car il est difficile de trouver un modèle économiquement viable de transformation de bureaux en logements. Cela dépend également des échelles de temps : la réversibilité instantanée est selon moi un leurre. Au niveau de la ville, le point essentiel est de prévoir des infrastructures, à la fois physiques et informatiques, généreuses, voire surdimensionnées, le surinvestissement étant minime au moment de la construction alors qu'il sera important s'il doit être effectué à posteriori. J'insiste en particulier sur la couche d'information et de gestion urbaine qui va, selon moi, exploser et dans laquelle les investissements doivent être les plus forts. Les enjeux de la ville réversible se situent avant tout dans ce qui est sous terre et ce qui ne se voit pas.

 

Propos recueillis par Boris Beltran

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