Alors que les travaux menés au niveau international conduisent à une multiplication des mesures anti-abus, les juges communautaire et constitutionnel veillent au respect des droits fondamentaux des contribuables et n’hésitent pas à censurer les dispositifs nationaux.

Par Alexandre Rocchi et Mirouna Verban, avocats associés. Arsene Taxand

La lutte contre la fraude et l’évasion fiscale a pris ces dernières années une tournure qu’il est possible de qualifier d’hors norme. Dans un contexte de mondialisation des échanges, de développement des flux sur les incorporels et de perte des repères classiques liée au développement du commerce électronique, les administrations fiscales ont cherché à adapter leurs armes pour lutter contre les pratiques dommageables de certains contribuables. Ces réflexions ont trouvé leur concrétisation dans les travaux Beps de l’OCDE puis, à un niveau européen, dans l’élaboration de directives spécifiques.

Alors que le traitement des situations bilatérales a longtemps été guidé par un objectif d’élimination des doubles impositions, les travaux Beps ont changé de paradigme en privilégiant une forme d’équité fiscale et en cherchant à imposer la matière imposable là où la valeur ajoutée est créée. L’objectif des conventions fiscales devrait désormais intégrer l’évitement des doubles déductions ou l’absence totale d’imposition.

La principale disposition en droit français a longtemps été l’abus de droit, disposition générale répressive, visant à prévenir d’une utilisation de la loi dans un but exclusivement fiscal contraire à l’intention du législateur. Diverses mesures anti-abus spécifiques sont venues s’y ajouter récemment. Sans prétendre à l’exhaustivité, il est possible de citer quelques mesures emblématiques.

La clause anti-abus du régime mère fille

Cette disposition consiste à refuser le bénéfice de l’exonération de retenue à la source sur les dividendes sortant de France ou d’impôt sur les sociétés pour les dividendes perçus par des sociétés françaises, en cas de « montage non authentique ». Le Législateur a ici transposé mot pour mot le texte de la directive européenne, en reprenant une terminologie qui est étrangère au corpus législatif français.

Les directives ATAD (Anti Tax Avoidance Directive) et anti-hybride

Ces textes comprennent un certain nombre de mesures spécifiques visant à lutter contre des pratiques dommageables (règle de limitation de la déduction des intérêts, imposition à la sortie dans le cas de transferts d’actifs, règles relatives aux sociétés étrangères contrôlées, etc.), ainsi qu’une clause anti-abus générale aux termes de laquelle sont considérés comme non-authentiques les montages mis en place dans le but d’obtenir, à titre principal ou au titre d’un des objectifs principaux, un avantage fiscal allant à l’encontre de l’objet ou de la finalité du droit fiscal applicable. Pour la France, se pose la question de savoir si le dispositif de l’abus de droit existant est considéré comme transposant d’ores et déjà la directive ou si le législateur français devrait intégrer un nouveau texte, reprenant les termes exacts de la directive.

Multilateral Instrument (MLI)

La signature très récente du MLI aboutit à l’insertion effective de certaines mesures Beps dans les conventions fiscales. Parmi les mesures adoptées, une mesure anti-abus générale permettra à la France de refuser le bénéfice d’une convention, si l’avantage fiscal qui en est retiré est la conséquence d’un montage contraire aux objectifs de la convention.

Alors que les dispositifs anti-abus se multiplient et se durcissent, ces textes restent soumis au contrôle des juges, en particulier constitutionnel et communautaire, qui veillent au respect des droits fondamentaux du contribuable. Quelques décisions récentes mettent en exergue le niveau d’exigence du juge lorsqu’il s’agit d’apprécier la validité de dispositifs anti-abus au regard des droits fondamentaux du contribuable.

Refus de la présomption de fraude irréfragable

Le juge veille à ce que le contribuable puisse faire valoir son droit à un avantage fiscal, lorsque les opérations sont justifiées par une réalité économique. Le Conseil constitutionnel avait ainsi censuré les dispositions de la loi qui refusaient de manière systématique le bénéfice du régime mère fille aux distributions provenant d’États ou territoires non coopératifs.

Respect de la dialectique de la preuve

Une affaire pendante devant la CJUE illustre également l’attachement du juge à la dialectique de la preuve qui doit s’instaurer, dans le cadre d’un dispositif anti-abus. En vertu du texte français alors en vigueur, l’exonération de retenue à la source sur dividendes versés à une société mère européenne n’était acquise que si la société française débitrice démontrait que la chaîne de participation n’avait pas pour objectif principal ou comme un de ses objets principaux de tirer avantage de cette exonération.

L’avocat général souligne que ce dispositif anti-abus « se fonde sur une présomption générale d’évasion fiscale » et qu’il « entraîne un renversement de la charge de la preuve sans que l’administration soit tenue de fournir des indices suffisants d’évasion fiscale ».

Respect de la sécurité juridique

La procédure d’agrément prévue par la loi française pour les apports réalisés au profit d’une société étrangère a été remise en cause par la CJUE, car les conditions requises pour l’obtention de l’agrément ont été considérées comme insuffisamment précises, claires et prévisibles pour permettre aux contribuables de connaître avec exactitude l’étendue de leurs droits. De plus, la Cour a jugé que l’exigence de sécurité juridique n’était pas satisfaite, dès lors que l’appréciation des critères est susceptible de varier au gré de la « pratique » de l’administration fiscale française et que les refus d’agrément ne sont pas toujours motivés.

Principe d’intelligibilité de la loi et de légalité des délits et des peines

Le législateur a souhaité, il y a quelques années, insérer la notion de « but principalement fiscal » en lieu et place du « but exclusivement fiscal » dans le dispositif général d’abus de droit. Le Conseil constitutionnel a censuré cette évolution du texte, en considérant que la nouvelle terminologie ne permettait pas de satisfaire à l’objectif d’intelligibilité de la loi, ni au principe de légalité des délits et des peines, compte tenu du caractère répressif des sanctions qui sont attachées à l’application de ce dispositif, pouvant aller jusque 80 % des droits éludés.

Dans la lignée de ces précédents, il sera intéressant de suivre les recours qui pourront être introduits, à l’avenir, sur les tout derniers dispositifs anti-abus nés de la mouvance Beps notamment, aussi bien devant les juges communautaire et constitutionnel, que devant les juges du fond français qui œuvreront à définir et à homogénéiser la portée de ces dispositifs.

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