À l’occasion d’une table ronde organisée par S&P Global à Paris, plusieurs professionnels du monde du financement ont analysé le marché et détaillé les tendances qui l’animent. Retour sur un secteur en pleine mutation.

« Nous assistons à un retournement de tendance cette année : les fonds de private equity ont globalement préféré financer leurs opérations par de la dette bancaire plutôt que par la dette obligataire », décrypte Desiree Menjivar, directrice leveraged finance Europe de la branche corporate ratings chez S&P Global. De manière générale, le marché du leveraged finance reste extrêmement liquide en Europe, même s’il demeure plus bas qu’aux États-Unis.

 

Si le constat a le mérite de la clarté, il n’en cache pas moins une vraie diversité de situations. Dans les faits, la segmentation s’effectue au regard de l’Ebitda de la société désireuse de trouver un financement. Pour François Lacoste, associé et responsable de l’activité dette privée chez Idinvest, le premier spread se situe autour de quinze ou vingt millions d’euros.

Sous ce seuil, ce sont les établissements bancaires classiques qui répondent très largement aux besoins de financement. Entre vingt et cent millions d’euros, le recours au financement se fait aussi bien auprès de banques que d’acteurs alternatifs (high yield, placement privé…), dans des proportions variables selon la typologie des opérations, le profil de l’entreprise et sa stratégie de croissance.

Au-delà de ce montant, les intéressés ont accès aux liquidités au niveau mondial et élaborent, en fonction de leurs besoins, le meilleur plan de financement. « Pour le small et le mid-cap, les options s’élargissent », tempère Kevin Abrial, directeur du bureau parisien d’European Capital. Avec sa flexibilité, l’unitranche séduit effectivement de plus en plus sur ces créneaux. « L’unitranche apporte une solution à des sociétés qui ne vont pas aussi bien que prévu : elle prend le relais des pools bancaires en les refinançant et en leur offrant de nouvelles perspectives », explique-t-il. La dette mezzanine constitue également une option.

 

Alternatives « méconnues »

 

L’un des atouts majeurs du financement par la dette demeure sa capacité à proposer une solution tailor made. Si les négociations avec les partenaires traditionnels, banques et fonds en tête, s’avèrent délicates voire franchement difficiles, le recours à un fonds de dette peut se révéler salvateur. Certes, cette stratégie a un coût. Rien de rédhibitoire, bien au contraire, selon Kevin Abrial : « Si l’unitranche est plus chère que le financement bancaire, l’entreprise qui y recourt peut, in fine, espérer un meilleur TRI ». Autre motif éventuel d’inquiétude, l’optique d’une prise de contrôle par le prêteur. En effet, si la cible venait à sous-performer au point de ne pouvoir honorer ses engagements, ses actionnaires s’exposeraient au risque de se voir déposséder. Ce danger demeure assez marginal à en croire Kevin Abrial qui explique que, dans les faits, « le cas d’une prise de contrôle est assez théorique ». Certains professionnels s’accordent pour reconnaître que l’état d’esprit d’un unitrancheur est bien différent de celui des pools bancaires. Alors que ces derniers interviennent en qualité de prêteurs souhaitant à ce titre être remboursés au plus vite selon les conditions contractuelles négociées, l’unitrancheur présente un profil d’investisseur. Le directeur d’European Capital à Paris confirme : « L’unitranche est un produit qui offre du temps aux sociétés pour gérer leurs problèmes opérationnels. Le prêteur se double d’un investisseur dans ce qu’il adopte une vision à long terme.» François Lacoste abonde en ce sens : « Banquiers et unitrancheurs ne réagissent pas du tout de la même façon, notamment en cas de difficultés de l’entreprise. » Autre point positif : il est toujours plus aisé de discuter avec un créancier unitrancheur qu’avec un consortium bancaire, impliquant par définition un plus grand nombre d’intervenants, susceptibles de constituer autant de blocages supplémentaires.

 

 « Travail de pédagogie »

 

Malgré leurs nombreux atouts, les modes de financement alternatifs poursuivent leur mise en orbite sur un marché longtemps dominé par le binôme « equity/dette bancaire ». Outre l’a priori économique susceptible d’en décourager certains, c’est également le manque de visibilité du produit qui explique cette situation. « Pour l’instant, ce sont souvent les acteurs qui se sont vus refuser un financement bancaire ou un investissement par un fonds qui s’intéressent aux modes alternatifs de financement. En dehors de ces cas, ils ne se dirigent pas automatiquement vers l’unitranche ou la dette mezzanine », analyse Kevin Abrial. Il reste donc un vrai travail de pédagogie à mener. « À nous d’expliquer ce que nous faisons, d’expliquer qu’il existe des alternatives, de créer un besoin », reconnaît François Lacoste. Et de conclure, optimiste : « le marché jouit d’un véritable potentiel de croissance. »  D’autant plus que la typologie des acteurs de la dette se diversifie pour répondre à tous les besoins. « Récemment plusieurs fonds de distressed debt ont vu le jour », précise Cécile Mayer-Lévi, membre de l’équipe de direction de Tikehau Capital. Si le financement par la dette se développe, la route est encore longue pour le voir s’imposer. « Cette technique de financement n’est qu’un outil parmi tant d’autres et il ne faut pas oublier que les banques demeurent ultra présentes sur le marché, surtout sur les gros deals. » Et ce, malgré un environnement réglementaire et des contraintes en matière de gouvernance bien plus prégnants depuis la crise. La dette privée ne sera sans doute pas l’alternative exclusive au financement bancaire. Mais les montants levés par les fonds de dette sont là pour nous rappeler qu’ils joueront un rôle de plus en plus important. Et complémentaire.

 

S. V.

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