L'ancienne députée européenne et ministre de la Justice (2007-2009) revient sur la réforme de la Justice du gouvernement Sarkozy
« Toute mon action de garde des Sceaux a été guidée par trois principes clairs : protéger, sanctionner et garantir les droits et libertés. »



Décideurs. Quelle est l’origine des réformes que vous avez menées au ministère de la Justice ?

Rachida Dati.
Toute mon action de garde des Sceaux a été guidée par trois principes clairs : protéger, sanctionner et garantir les droits et libertés. J’ai cherché à rendre la justice plus efficace, plus accessible, plus humaine, plus équilibrée. En rendant la justice plus forte et plus respectée, nous renforçons notre pacte social et l'état de droit auxquels les Français sont attachés.

Mon objectif a été d’appliquer le programme sur lequel nous avions été élus. Ma première action a été d'agir très clairement et très fermement contre la récidive en instaurant des peines planchers. J'ai fait adopter cette loi qui avait deux objectifs essentiels : celui de lutter contre la récidive, notamment celle des jeunes auteurs d'actes violents, et celui de traiter et de rendre obligatoire les soins, pour les délinquants sexuels par exemple. Dans le même esprit, j'ai fait adopter une deuxième loi instaurant la rétention et la surveillance de sûreté afin que tout condamné reconnu encore comme dangereux à l'issue de sa peine ne soit pas remis en liberté sans contrôle ou surveillance strictement encadrée. J’ai également fait adopter une loi pénitentiaire de modernisation des prisons permettant la réinsertion des détenus, une exécution des peines plus rapide, afin de lutter contre la récidive.

Le ministre de la Justice se doit d’être aussi le ministre de la défense des victimes. J’ai donc demandé que les victimes puissent avoir une prise en charge immédiate au sein des juridictions, en créant le juge des victimes (le Judevi). Un service d’indemnisation (le Sarvi) permet désormais un dédommagement immédiat des victimes et se charge ensuite de recouvrer ces sommes auprès du condamné à la place de la victime. C’est un pas décisif, la victime n’a plus à payer un huissier pour obtenir ce qui lui est dû. Enfin, la loi sur l’irresponsabilité pénale permet aux victimes ou à leur famille d'être entendues, de s’exprimer avant que les juges ne décident s’il y aura ou non un procès à l’encontre de l’auteur d’un crime ou d’un délit atteint de troubles mentaux.
Enfin, j’ai conduit la réforme de la Constitution de 1958. Depuis 2008, les pouvoirs du président de la République sont encadrés, le Parlement a plus de pouvoirs et les citoyens ont plus de droits.


Décideurs. Avec le recul, comment jugez-vous la réaction des magistrats ?

R. D.
Je connais bien ce corps puisque j’y ai appartenu. Je m’attendais à certaines réactions auxquelles j’ai été confrontée. Je sais aussi d’expérience que ceux qui s’expriment au nom des magistrats amplifient parfois la réaction de la profession et caricaturent certains projets. Il y a chez les magistrats une majorité silencieuse qu’il ne faut pas minorer. Ce sont des professionnels au jugement équilibré et juste, conscients des réalités sur lesquelles j’agissais.

Tous les ministres de la Justice ont été confrontés à des mouvements de magistrats. Ces mouvements sont aussi peut-être une manière de manifester l’indépendance du corps. Mais je rappelle que je n’ai pas connu plus de manifestations de magistrats et de professionnels de la justice que Madame Guigou ou Madame Lebranchu pour ne citer que les derniers ministres de gauche. Et puis j’ai voulu aussi bousculer certains usages. Alors que plus de 50 % des magistrats sont des femmes, les chefs de cours étaient essentiellement des hommes (moins de 2 % de femmes). J’ai proposé plus de femmes au poste de procureur général. À mon départ, les femmes procureurs généraux représentaient plus de 20 %. Et je constate que le nouveau Conseil supérieur de la magistrature dont j’ai mené la réforme n’est pas particulièrement féminisé. C’est comme en politique, les femmes doivent toujours se battre pour exister, et ne jamais baisser la garde.


Décideurs. La protection des victimes vous semble-t-elle aujourd’hui satisfaisante ?

R. D.
La difficulté de la tâche, c’est qu’on doit toujours mieux faire. Le premier des droits dans une société est de vivre libre mais libre et en sécurité. Face à cette demande citoyenne, malheureusement, la délinquance et la criminalité sont sans cesse en mutation. C’est un problème majeur de société qu’on ne peut affronter avec de l’angélisme et des bons sentiments.
Chaque événement dramatique nous ouvre de nouvelles pistes de réflexion et d’action. Je demeure particulièrement soucieuse que soit réellement mis en œuvre le secret partagé que nous avons inscrit dans la loi. Car est-il admissible que des services publics en charge des personnes les plus fragiles – je pense aux enfants – continuent, sous prétexte de confidentialité, de ne pas se parler entre eux ?

Décideurs. Et si c’était à refaire ?

R. D.
J’ai eu très rapidement la conviction que certaines réformes difficiles ne pourraient se faire qu’en début de quinquennat. Je pense en particulier à la réforme de la carte judiciaire ou même la refonte de la formation des magistrats. Mais certaines réflexions et certaines réformes de grande ampleur nous ont demandé un temps important de préparation et de concertation préalable. Par exemple, la réforme de la justice des mineurs à laquelle, depuis 1945, les gouvernements successifs ne se sont intéressés que très partiellement et par des réformes sans cohérence d’ensemble, alors que la délinquance et la criminalité des mineurs ont changé de nature au cours du XXe siècle et en ce début de XXIe siècle. J'ai d'ailleurs expérimenté les centres éducatifs fermés avec une prise en charge pédopsychiatrique. Il faudrait les généraliser.


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