Entretien avec Isabelle Giordano, directrice générale d'UniFrance Films.
Décideurs. Aujourd’hui, la culture française vit quelque peu sous perfusion publique. Quel serait l’intérêt pour la France de séparer culture et État ? Quelles économies généreraient une telle réforme ?

Isabelle Giordano. Tout d'abord, je ne pense pas que la France vive sous « perfusion publique » concernant la culture. Pour ne prendre que quelques exemples, l'actualité terrible de ce début d'année a fait émerger quantité de témoignages de professeurs attestant de l’utilité de l’éducation artistique à l’école comme lien social et outil précieux de repères républicains ; de nombreuses associations seraient aujourd’hui désireuses d'avoir plus d'aides publiques pour faire au mieux ce travail d'éducation à la culture, nécessaire me semble-t-il. Autre exemple, je voyage beaucoup du fait de mes fonctions à UniFrance et, de New York à Tokyo en passant par Rome et Madrid, partout je remarque qu'on nous envie notre système de financement et d'aide au cinéma. Donc envisager de faire des économies me paraît illusoire et même néfaste. Plus on aide la culture, plus on contribue au lien social et à l'éducation.

Décideurs. À l’instar de ce qui existe chez quelques-uns de nos voisins européens et outre-Atlantique, si le marché de la culture français était privatisé dans son intégralité, à quoi ressemblerait la France ?


I. G. La France ne serait plus la France. Cinéma, jeux vidéo, mode, gastronomie et même séries télé, désormais la culture française s'exporte de plus en plus. Elle est devenue un véritable levier de croissance, créateur de valeur et d'emploi. Difficile de copier le mode de fonctionnement américain, nous n'avons pas le même modèle : le système repose surtout sur l’immensité de son marché intérieur. Rappelons que la France est aujourd'hui le deuxième exportateur mondial de films, juste derrière Hollywood, une place que nous jalousent les Allemands, les Italiens... En privatisant les musées publics et certains pans de notre culture, je ne suis pas sûre que nous pourrions conserver les mêmes équilibres entre qualité et quantité, ni l'accès de tous à la culture. Pour ma part, j'ajoute qu'UniFrance bénéficie de subventions du ministère de la Culture et des Affaires étrangères, mais, depuis quelques années, pour ne pas dépendre uniquement de l'argent public, nous multiplions les démarches auprès des mécènes afin de nouer des partenariats avec des marques comme Renault, Lacoste, Chopard, Piper-Heidsieck, ou encore La Compagnie pour les billets d'avion. Un partenariat public/privé où tout le monde s'y retrouve.

Décideurs. La compétitivité internationale de la culture française en sortirait-elle grandie ?

I. G. Je crois que garder une compétitivité et une place sur la scène internationale est avant tout un problème d'offre. Cela n'a rien à voir avec le fait d'être ou non un secteur subventionné ou privatisé. Il faut surtout avoir de bons films, de bons producteurs, de réels talents visibles à l’international. Ces cinq dernières années, soulignons que le cinéma français a su se faire remarquer dans toutes les grandes compétitions internationales : avec cinq oscars et trois palmes d'or, et encore récemment huit nominations aux Oscars avec notamment ce beau film qu'est Timbuktu. Preuve que notre système tel qu'il est ne fonctionne pas si mal !

Décideurs. L’exception française survivrait-elle ?

I. G. Il me semble que la France joue un rôle leader en matière d’exception culturelle et de diversité. Une qualité qu'on nous envie. Pour l’anecdote, le modèle UniFrance a été copié au Japon, en Corée et au Brésil... Preuve que notre système a certes des défauts mais aussi de nombreux atouts.

Propos recueillis par Camille Drieu

Retrouvez l'article Exit l'exception culturelle

Cet article fait partie du dossier Dix ans pour changer la France


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