Entrepreneur un jour, entrepreneur toujours ?
L’entrepreneuriat retrouve ses lettres de noblesse. Boudé voire stigmatisé pendant la crise, celui-ci fait de nouveau rêver les jeunes… et les moins jeunes. Quelle que soit l’époque, l’entrepreneuriat a toujours été le point de départ de la croissance et de l’emploi. Pour autant, ancienne et nouvelle générations fonctionnent-elles de la même manière ?

Du bon père de famille…
Comme le dit Patrick Thélot, président fondateur du groupe Armonia, « il n’y a de richesse que d’hommes. Et le point de départ de cette richesse, c’est l’entreprise ». De cette conception est née l’histoire du groupe Armonia. Nous sommes dans les années 1970. « Quand j’ai démarré, je n’avais pas de stratégie déterminée, juste le goût de l’entrepreneuriat. Cela a duré vingt ans, car je manquais d’argent et de vision stratégique », nous explique-t-il dans son bureau de la rue Cambronne dans le XVe arrondissement de Paris. Son groupe se construit pas à pas, se diversifie. « J’ai été au bord de la faillite pendant dix ans. Une entreprise c’est un long chemin pavé d’embûches, d’espoir, de contrariétés, de joie et de peine », ajoute Patrick Thélot. Un long fleuve, plus ou moins tranquille, marqué par une idée : celle de l’indépendance du capital. Une volonté que l’on retrouve également au sein du groupe Fayat, fondé par la famille du même nom. « Ouvrir le capital à l’extérieur ou entrer en Bourse signifierait reverser des dividendes qui seraient autant d’argent que nous n’aurions pas pu réinvestir. Chaque euro qui a été gagné par notre groupe a été réinvesti pour son développement », explique Jean-Claude Fayat, le président du groupe. Mais dans un monde de plus en plus global et de plus en rapide, les entrepreneurs peuvent-ils encore se permettre ce luxe, cette liberté ?

… au jeune fonceur
Rien n’arrête la nouvelle génération d’entrepreneur. « Avant, les jeunes de 25 ans rêvaient de devenir banquiers ou d’intégrer un grand groupe du CAC 40. Aujourd’hui, pour la plupart d’entre eux, le rêve est de monter leur propre business. Je trouve cet élan absolument génial ! », se réjouit l’entrepreneur et business angel Pierre Kosciusko-Morizet. Les créateurs sont même de plus en plus jeunes, affirme le cabinet EY dans une étude consacrée aux entreprises, et ils sont plus enclins à prendre des risques. Damien Morin, 24 ans et fondateur de Save my smartphone, en est un parfait exemple. En février 2014, il tente un coup de poker avec l’installation de plusieurs corners dans des centres commerciaux. « À ce moment-là, je sais que c’est quitte ou double. Si le projet fonctionne, le succès est au bout, sinon c’est la faillite assurée avec, en rime, des dettes ! Si je ne prenais pas ce risque à mon âge, quand aurais-je pu le faire ? » Les trois corners cartonnent très rapidement. Le jeune entrepreneur affiche désormais de grandes ambitions : « Aujourd’hui, nous avons déjà cinquante corners dans toute la France. Et ce n’est que le début. Nous aurons 200 points de vente avant la fin de l’année. Avec ce développement, nous allons également muscler nos équipes, avec 120 CDI à recruter. En parallèle nous nous implanterons dans cinq pays en Europe. » Une route toute tracée. En France, les exemples comme Damien sont légion. Et ce malgré un contexte difficile…

L’exode
La France est un paradis pour créer son entreprise… mais seulement sur le plan administratif. Une étude d’EY constate qu’il est « beaucoup plus simple de créer une entreprise en France qu’ailleurs, en termes de coûts, de délais et de démarches administratives ». Concrètement, il suffit de « cinq procédures administratives et sept jours en France pour créer une entreprise, contre 7,6 procédures et 22 jours en moyenne dans les pays du G20. Le coût pour créer une entreprise en France est de 0,9 % du revenu moyen par habitant, contre 9 % en moyenne dans les pays du G20 », peut-on lire dans l’étude. Mais lorsque l’on s’intéresse à la question des financements et des levées de fonds, le bât blesse. Les jeunes entrepreneurs ne disposant pas, pour la plupart, de capacités d’autofinancement, ils se tournent naturellement vers les banques ou les fonds où les portes restent souvent closes. La faute selon Christophe Bavière, CEO d’Idinvest, au manque d’épargne des Français allouée aux PME : « Elle ne l’est pas suffisamment. » Conséquence directe : une plus grande sélectivité des projets, mais aussi de nombreux jeunes entrepreneurs qui sont contraints de partir à l’étranger en quête de capitaux… ou d’abandonner leur projet pour revenir au salariat.

Tous entrepreneurs ?
Depuis maintenant près de quarante ans, le Groupe Hervé, sous la houlette de son président fondateur
Michel Hervé, développe une gouvernance « innovante » : l’organisation participative ou, autrement dit, la démocratie appliquée à l’entreprise. Ici, pas de relation verticale hiérarchique classique. Le groupe multispécialiste parie sur une relation d’égal à égal, de pair à pair. Chaque collaborateur est mis en situation de responsabilité pour se comporter en véritable « intrapreneur ». « Tous nos salariés sont dotés d’une réelle autonomie de moyens, mais aussi d’objectifs », explique Michel Hervé qui justifie ce choix : « L’objectif est de donner toute latitude au salarié intrapreneur pour qu’il puisse prendre, le plus rapidement possible, la décision qui convient à chaque situation. » Proactif vis-à-vis des clients et acteur de la transformation de l’entreprise en interne, l’intrapreneur peut compter sur une chose : la confiance. « C’est elle qui permet à l’individu de donner le meilleur de lui-même et qui suscite les comportements vertueux », poursuit Michel Hervé. Une performance individuelle qui contribue à ce que l’homme appelle « l’intelligence collective ». Cette dernière est basée sur les principes de décisions prises collectivement – et non par le seul manager de la business unit –, d’émulation – avec des managers catalyseurs – et, enfin, d’adaptation permanente. Pour mobiliser cette intelligence collective, les intrapreneurs peuvent s’appuyer sur la structuration en réseaux du groupe. Des réseaux d’hommes, mais aussi numériques. Sur le plan humain, tout est simplifié à son maximum grâce l’organisation hiérarchique très horizontale, constituée de quatre niveaux seulement : les techniciens, les chargés de clientèle, les directeurs de société et les membres du comité de direction. Quant au numérique, il connecte les hommes les uns aux autres. « Nous avons été parmi les premiers à basculer dans cette nouvelle ère puisque dès les années 1980, l’ensemble de nos salariés intrapreneurs étaient équipés d’ordinateurs individuels », précise Michel Hervé. Ce choix leur a permis de « gagner du temps et de l’autonomie dans leur métier ». Une stratégie payante, puisqu’année après année, le Groupe Hervé progresse dans ses activités. De 174 salariés en 1972, l’ensemble a franchi le cap des 1 000 collaborateurs en 1997, 2 000 en 2007 pour atteindre 2 800 collaborateurs aujourd’hui. Encore un petit effort, la barre des 3 000 n’est pas loin !

Mathieu Marcinkiewicz (avec la participation de Camille Drieu)


Zoom sur... Les femmes entrepreneures réussiraient-elles mieux que les hommes ?
À en croire les statistiques du Palmarès Women Equity, la réponse est oui. Proportionnellement, « les sociétés menées par des femmes sont plus nombreuses à être en situation de croissance » que celles dirigées par des hommes, explique Dunya Bouhacene, la présidente de l’association Women Equity for Growth. Quel est leur secret ? Sont-elles mieux accompagnées au niveau des financements ? Cette fois-ci, c’est non : « 15 % des PME sont dirigées par des femmes. Mais elles ne représentent que 5 % des investissements issus du capital financement ! », tempère Dunya Bouhacene. La différence est donc ailleurs. Le management ? « Les femmes sont certainement plus sensibles au management de la nouvelle génération. Ce dernier a besoin d’être plus participatif. Il faut donner de l’autonomie aux collaborateurs et les impliquer dans les prises de décision de l’entreprise », explique Adeline Lescanne-Gautier, directrice générale de Nutriset, entreprise familiale normande – en croissance – totalisant 110 millions d’euros de chiffre d’affaires et comptant 165 collaborateurs. Un autre élément de réponse tient également à leur manière de travailler au quotidien : « Les femmes entrepreneures sont plus dans l’opérationnel là où les hommes sont davantage préoccupés par la stratégie de l’entreprise », précise Dunya Bouhacene. Le retour vers le chemin de la croissance se fera-t-il donc grâce à la gent féminine ? On peut le croire. Le nombre de start-up fondées par une femme – et ayant levé des fonds – a doublé en cinq ans outre-Atlantique selon une étude publiée par Crunchbase. 18 % des start-up américaines ont été fondées par une femme en 2014, contre 9,5 % en 2009. Bonne nouvelle pour l’économie !



Retrouvez également les interviews de :
- Carole Delga, ex-secrétaire d'Etat chargée du Commerce, de l'Artisanat, de la Consommation et de l'Économie sociale et solidaire
- Mohed Altrad, président, groupe Altrad
- Hugo Sallé de Chou, cofondateur Pumpkin
- Damien Morin, fondateur, Save my smartphone
- Stéphane de Freitas, président Coopérative Indigo

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