Il y a trente ans naissait Eden Park. Une marque bâtie autour d’un logo iconique et d’un état d’esprit de légende : celui de joueurs du Racing devenus, à force d’excentricités de potaches et de victoires d’athlètes, les porte-drapeaux d’une forme d’élégance décalée, teintée de décontraction et d’impertinence. Retour sur une success story à la française. Rencontre avec celui qui l’a écrite.

 

2 mai 1987. Le Racing s’apprête à rencontrer les Toulonnais pour un match événement : la finale du Top14 au Parc des Princes. Dans les gradins l’ambiance est survoltée ; aux vestiaires, la tension est à son comble. Puis, les Parisiens font leur entrée sur le terrain : regards d’acier, maillots ciel et blancs et, pour les arrières, nœuds papillon roses. Dans le public, c’est l’ovation. Quatre-vingts minutes plus tard, ils s’inclinent mais remportent, haut la main, la bataille de l’image ; celle qu’ils ont engagée sans même en avoir conscience quelques mois plus tôt, d’abord en jouant à Bayonne un béret sur la tête, ensuite en se présentant aux quarts de finale en blazer, puis à la demi-finale en crampons dorés, et qui les emmènera, un an plus tard, à affronter Toulouse le visage peint en noir à l’occasion de l’anniversaire de leur pilier Vincent Lelano, dit « Momo ». Une série d’excentricités que le nœud pap rose, arboré un soir de finale, va ériger en légende ; celle d’une équipe talentueuse et impertinente, capable de « jouer sérieusement sans se prendre au sérieux », avant que Franck Mesnel – aux côtés d’Éric Blanc, son coéquipier et complice de l’époque - n’en fasse une marque. Une success story à la française.

Elégance et irrévérence

Pour le demi d’ouverture, tout commence au lendemain de ce match mythique, lorsque, bien que battue, l’équipe du Racing voit sa cote de popularité littéralement exploser. « On s’était dit, c’est un match unique, il faut le jouer en tenue de gala, se souvient l’arrière de l’époque. Mais voir des brutes de rugbymen jouer en nœud papillon rose représentait un tel contre-pied que cela nous a valu une notoriété incroyable ! » En l’espace d’une soirée, la blague de vestiaire devient un emblème ; celui d’une certaine forme d’élégance, teintée d’irrévérence et d’autodérision, que l’équipe du Racing s’était attachée au fil des mois, à coups de clins d’œil de potaches mais aussi de victoires accumulées. L’association idéale. « Lorsqu’on cultive ce genre de facéties, il ne faut pas se louper, explique Franck Mesnel. Si les performances suivent, on est porté aux nues. Sinon, on est simplement ridicule. » Au Racing, elles suivent. Au point que la presse s’empare du phénomène et, en quelques mois, transforme le nœud pap en logo. Pour les Showbizz, comme on les appelle désormais, cela fait beaucoup. Presque trop. « Tout à coup, on avait une marque et pas de produit », se souvient Franck Mesnel qui, le premier, va en capter le potentiel.  Au point de renoncer à une carrière d’architecte pour s’aventurer, avec Éric Blanc, en territoire inconnu.

Du nœud pap du Racing au logo d’Eden Park

« La presse en parlait, raconte-t-il. Jacques Séguela nous disait qu’on avait là un logo extraordinaire, qu’il fallait l’exploiter, capitaliser sur son image »…  Il avait l’encrage, restait à lui trouver un contenu. À l’époque, la marque Façonnable coche toutes les cases. « C’était une référence, avec des produits très quali, un style un peu casual chic… J’aimais beaucoup leur approche », se souvient Franck Mesnel qui décide de s’en inspirer pour créer sa propre marque. «Pour démarrer, il nous fallait un produit iconique. » Comme un trait d’union entre deux univers, celui des mêlées et celui de la mode, le maillot de rugby s’impose. Le nom, Eden Park – du nom du stade des All Blacks à Auckland -, aussi. Pour limiter la concurrence, les deux associés optent pour un positionnement premium, moins encombré. Et lorsqu’en septembre 1988 la première boutique ouvre ses portes en plein cœur de Paris, rue de Courcelles, c’est avec, en tout et pour tout, une soixantaine de maillots dans ses linéaires. Trente ans plus tard, la marque totalise 534 points de vente dans le monde et son chiffre d’affaires atteignait, fin 2016, 60 millions d’euros. Surtout, son nom est devenu une référence. Pas seulement en termes de qualité mais aussi d’un certain art de vivre. Un mélange de décontraction et d’élégance hérité de ce fameux soir de finale 1987 et aujourd’hui revendiqué par Eden Park comme la clé d’un positionnement unique.

Success story à la française

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À l’origine de cette success story à la française, un ancrage et une légitimité dans un univers – celui du ballon ovale et de sa communauté de joueurs et de fans – qui va s’approprier la marque dès son lancement. « Pendant le Tournois des cinq nations, tout le Sud-Ouest montait supporter l’équipe de France : on avait cinq bus garés devant la boutique !, raconte Franck Mesnel. Ҫa a lancé la marque. » Au risque de lui imposer un rythme de croissance trop élevé. Pour sécuriser l’édifice et pérenniser l’activité, les deux actionnaires se rendent à l’évidence : ils doivent recruter et se professionnaliser. « Nous avions construit la marque de façon totalement autodidacte, à l’instinct et à l’envie, mais avec une conscience aiguë de nos limites. » Un avantage de taille dans un milieu où, d’ordinaire, on est plus porté sur la mise en avant de ses atouts que sur la reconnaissance de ses failles…

 

French flair

 

Rapidement, Eden Park étoffe son offre – des chemises d’abord, puis une gamme « homme » intégrale complétée, il y a trois ans, d’une collection pour femmes –, organise son développement – en franchise, une formule qui lui permet d’être présent dans toutes les grandes villes de France et dans 34 pays du monde – et assoit son positionnement : premium mais pas guindé. Elégant mais pas sophistiqué. Ce que, au sein de l’entreprise, on appelle le French Flair et dans lequel Franck Mesnel voit à la fois un concentré d’ADN pour la marque, les fondamentaux sur lesquels son histoire s’est écrite, et le levier de modernisation qui – trentième anniversaire oblige – lui permet aujourd’hui de réviser certains classiques pour en moderniser l’image sans pour autant rompre avec ce qui fait sa spécificité. « Cette forme d’élégance qui ne se prend pas au sérieux. Ce style spontané, inspiré, parisien… » Avec, comme un fil rouge, ce côté décalé né il y a trente ans sur les pelouses des stades et auquel la marque doit sa longévité et sa résistance aux crises. C’est que, comme le résume son fondateur et actionnaire majoritaire : « On sait ce que c’est que l’élégance décalée : nous, on est allés aux Parc des Princes ! » Respect.

 

Caroline Castets

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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