Alors que la Cour suprême canadienne vient de consacrer la portée mondiale du droit au déréférencement, la CJUE est saisie de plusieurs questions préjudicielles quant à son interprétation. Une décision qui pourrait aiguiller la juridiction européenne, à l’aube de l’entrée en vigueur du règlement général sur la protection des données (RGPD).

C’est à l’occasion d’une affaire de contrefaçon que la Cour suprême du Canada a ouvert la brèche et reconnu la portée mondiale du déréférencement. Tout commence lorsque la société canadienne Equustek intente une action en justice contre Datalink pour contrefaçon de ses produits et obtient sa condamnation. Plusieurs sanctions contre la société fautive suivent mais celle-ci poursuit son commerce frauduleux sur Internet. Equustek décide de réagir en faisant jouer son droit au déréférencement et demande au juge canadien que les liens renvoyant vers le site Datalink présents sur Google soient supprimés. Le moteur de recherche demeurait en effet un intermédiaire permettant à Datalink de poursuivre la vente de ses produits illégaux.

Une injonction est alors adressée à Google pour qu’il supprime les liens internet en question. Celui-ci accepte d’y procéder pour Google Canada mais refuse d’en faire autant au niveau international. Ce qui pose un problème de taille : non seulement les clients hors du territoire canadien peuvent continuer à acheter les produits contrefaits mais les Canadiens peuvent aisément retrouver les pages web, alors même qu’elles ont été retirées de google.ca. Condamné à payer une amende, le géant de la Toile se pourvoit en cassation. La juridiction suprême canadienne est ainsi saisie de l’affaire pour son volet national mais aussi pour ses extensions de nom de domaine. En juin dernier, elle confirme que les tribunaux canadiens peuvent prononcer une telle mesure à l'égard d'un tiers et que les effets sont extraterritoriaux voire mondiaux, la juridiction faisant prévaloir la portée internationale d’Internet.

Une portée encore incertaine en Europe

Outre-Atlantique, le problème d’interprétation du droit à l’oubli se pose encore. Pure création jurisprudentielle, il a été consacré de ce côté-ci de l’océan dès 2014 par la CJUE dans un arrêt Google Spain. Les juges se sont basés sur la directive européenne de 1995 (relative à la protection des données personnelles) pour considérer que le respect des dispositions qu’elle contient suppose que toute personne ait le droit d’obtenir le déréférencement de données ou d’informations la concernant. En d’autres termes, l’exploitant d’un moteur de recherche doit, si un individu le demande, supprimer de la liste les résultats obtenus après une recherche effectuée avec le nom de cette personne. Sont également concernés les liens renvoyant vers d’autres pages publiées par des tiers et contenant des informations relatives au requérant.
La Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil) utilise d’ailleurs cette construction jurisprudentielle en 2015 pour mettre Google en demeure de supprimer la liste de résultats laissant apparaître le nom d’une personne ayant exercé son droit à l’oubli. Précision importante : le régulateur vise aussi les extensions de nom de domaine de Google. Un moyen de prôner l’application du déréférencement à l’échelle mondiale. Ignorant cette demande d’exécution dans le délai imparti, Google est sanctionné par la Cnil à verser une amende de cent mille euros. Formant un recours, l’affaire se retrouve devant le Conseil d’État.

Les enjeux

Le juge administratif français sursoit alors à statuer sur l’affaire Google et renvoie quatre questions préjudicielles à la CJUE. La raison ? Les difficultés d’interprétation du droit de l’Union européenne pour procéder au déréférencement. L’objectif est donc de savoir s'il doit seulement être opéré sur l’ensemble des extensions nationales du moteur de recherche ou s’il doit aussi concerner les extensions hors du champ d’application territorial du droit de l’UE. Ce ne sera qu’après la réponse à ces questions que le sort de Google sera scellé. Bien plus que la résolution d’un litige, c’est aussi un véritable enjeu pour la bonne application du droit de l’UE dont il est question. Reconnaître une portée plus large au déréférencement semble logique puisque Internet ne connaît aucune frontière.

La décision en ce sens de la Cour suprême du Canada marque la volonté d’encadrer le droit à l’oubli. La future décision de la CJUE est d’autant plus attendue qu’en mai prochain, le RGPD entrera en vigueur. Bien que le texte consacre expressément le droit au déréférencement, sa portée territoriale reste une zone d’ombre majeure. Reste à savoir si la CJUE aura fait la lumière sur l’affaire d’ici là.

Marine Calvo

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