Par Patricia Pouillart, avocat associée, Capstan Avocats
Selon le contexte d’une rencontre, lorsque votre interlocuteur apprendra que vous êtes français, vous aurez droit en retour soit à un « oh » admiratif et envieux (la France, quel beau pays : ses paysages, sa culture, sa cuisine, l’élégance de ses habitants…), soit à un « oh » horrifié et compatissant, si vous intervenez en tant que directeur des ressources humaines ou juriste, tellement nos règles apparaissent incompréhensibles à nos interlocuteurs étrangers.

Ainsi, quel DRH, juriste, travaillant au sein d’un groupe international, n’a pas connu de grands moments de solitude lorsque vient son tour de parole, et qu’il doit expliquer à ses homologues étrangers, ou pire aux décisionnaires, les principes français régissant les relations individuelles ou collectives de travail ?

Quel avocat français, au contact de clients étrangers, n’a pas piteusement lancé cette phrase, à force d’être la victime de regard « assassins » : « Vous savez, ce n’est pas moi qui crée les lois… » ?

Certes, on pourrait immédiatement rétorquer qu’il s’agit d’une présentation caricaturale, bon nombre de dispositifs légaux en vigueur étant issus du droit européen, mais force est de constater que ce qui apparaît comme une trop grande rigueur, sévérité, complexité française est bien présent et c’est pourquoi bon nombre de chefs d’entreprise réclament une simplification du droit et un ralentissement des nouveautés législatives qui fleurissent à une rapidité déconcertante, ce qui réduit l’adage « nul n’est censé ignorer la loi », à un vœu pieux.

Cet exposé ne serait pas exhaustif ni honnête s’il réservait au seul législateur le rôle de « sauveur » d’un droit du travail qui devient inaudible, voire inacceptable pour les entrepreneurs.

Les juges, chargés d’appliquer ou d’interpréter, quand cela est nécessaire, la loi ont également un rôle déterminant à jouer, pour que, reprenant l’expression d’un grand professeur français - titre d’un de ses ouvrages - le droit du travail reste un droit vivant (Droit du travail, Droit vivant - Jean-Emmanuel Ray - Éditions Liaison).

En effet, le droit du travail, qui régit les relations entre un employeur et des salariés, les deux acteurs de l’entreprise, doit être un droit adapté au XXIe siècle et non un droit figé, éloigné des contraintes de la réalité économique.

Par exemple, lorsque, certes après quelques hésitations, les juges ont rejeté la thèse selon laquelle seul un président de S.A.S. pouvait signer une lettre de licenciement, les magistrats de la Chambre sociale de la Cour de Cassation, affirmant que le droit du travail est un droit indépendant, qui n’a pas à être phagocyté par le droit des sociétés, ont évité que l’immobilisme et la dictature de l’administratif ne l’emportent sur le bon sens.

Autre exemple d’actualité, le travail du dimanche.

Si des réformes interviennent, il faut qu’elles soient cohérentes et que le sujet soit traité dans sa globalité, pour qu’il ne s’agisse pas d’une énième possibilité de souplesse… mais laissée à la discrétion d’autres, mettant à néant la réforme annoncée à grand bruit.

Prenons la situation actuellement applicable au sein des commerces de détail alimentaire.

Une disposition légale (donc votée au Parlement) prévoit que « dans les commerces de détail alimentaire, le repos hebdomadaire peut être donné le dimanche à partir de 13 heures (…) » (Article L.3132-13 du Code du Travail).

Le chef d’entreprise, relevant de cette activité, pense logiquement qu’il peut en toute légalité ouvrir le dimanche matin.

Son analyse est renforcée par les dispositions de la Convention collective nationale du commerce de détail et de gros à prédominance alimentaire qui prévoient des contreparties selon que le salarié travaille habituellement ou occasionnellement le dimanche.

Cette convention collective a été signée, du côté des organisations syndicales salariées par FO, la CFTC, la CFDT et la CFE-CGC.

Or, en réalité, il faut distinguer le sujet du travail du dimanche des salariés travaillant dans un commerce, du sujet de l’ouverture de ce commerce sur les jours de la semaine.

En effet, dans certains départements, des arrêtés préfectoraux, parfois très anciens, pris à la demande des partenaires sociaux, imposent la fermeture du commerce de détail alimentaire un jour par semaine (le dimanche ou un autre jour).

Un de ces arrêtés préfectoraux date de 1952 ! De la Quatrième République !! Un autre date de 1969 !

Comment expliquer à des entrepreneurs que malgré, la possibilité inscrite dans la loi, ils devraient respecter un principe administratif né il y a des dizaines d’années, dans un contexte politico-social totalement différent de celui que nous connaissons actuellement !

Comment justifier :
- qu’il soit prévu légalement que le travail du dimanche matin est autorisé de droit pour les commerces de détail alimentaire
- que les partenaires sociaux de la CCN de branche étendue négocient des contreparties, validant la possibilité de travailler le dimanche
- que dans le même temps, le législateur maintienne la possibilité pour le préfet, par département, à la demande des organisations syndicales locales, d’imposer un jour de fermeture dans la semaine (ce qui revient à imposer la fermeture du dimanche, le chef d’entreprise préférant alors souvent opter pour ce jour plutôt que fermer un jour « ouvré »).

Comment admettre qu’à l’heure de l’égalité de traitement, d’ancestrales mesures locales puissent régir ce sujet de l’ouverture des commerces alimentaires, et conduire à des situations différentes dans un même pays, ce qui n’est pas sans causer des difficultés aux frontières des départements, lorsqu’à quelques kilomètres de distance, les commerces sont soumis à une réglementation différente ?

Il ne s’agit que de quelques illustrations de principes compilés, contradictoires les uns avec les autres, qui nécessitent qu’un vent de modernisme et de pragmatisme souffle sur notre pays pour qu’il ne suscite qu’envie, intérêt et fierté.

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