Digitalisation, diversification, accélération, le challenger français de l’américain Pitney Bowes pèse désormais près d’un milliard d’euros et s’attaque à de nouveaux marchés. Retour avec son P-DG sur les conditions d’un virage vers une croissance pérenne.
De retour d’un périple en Asie-Pacifique où il est passé par l’Australie et le Japon, Denis Thiery, en partance pour les USA, nous reçoit pour tracer les nouveaux contours de Neopost, le fabricant historique de machines à affranchir et d'équipements des salles de courrier.

Décideurs. Pourquoi l’industrie du courrier ne fait plus rêver ?
Denis Thiery. Beaucoup considèrent notre secteur comme profitable mais peu excitant. Il suffit d’ouvrir le journal ! Aujourd’hui, les médias parlent de tout sauf de communication papier. Ce qui fait rêver, c’est Apple, Google et consorts. Mais on oublie trop souvent que l’économie comme l’industrie fonctionnent aussi grâce à des entreprises binaires qui ont les pieds sur terre.

Décideurs. Si votre activité courrier reste profitable, l’industrie décroît chaque année de 3 % à 5 %. Est-ce inquiétant ?
D. T. En 2014, l’activité de Neopost est encore à 79,5 % dépendante des activités mail solutions. Et si nous sommes aujourd’hui incapables de créer de la croissance sur ce marché en baisse, notre niveau d’activité s’est stabilisé depuis cinq ans. Face à l’américain Pitney Bowes, qui détient 60 % du marché, nous sommes avec 30 % de PDM* le challenger. Dans le futur, le courrier est appelé à rester un mode de communication pérenne mais il doit encore trouver sa place parmi les NTIC. C’est pourquoi Neopost se diversifie depuis 2012 dans les activités de customer communication managagement (CCM), de data quality et de shipping.

Décideurs. Ce sont vos nouveaux moteurs de croissance à deux chiffres…
D. T.
 Ces métiers complémentaires ont généré en 2014 un chiffre d’affaires (CA) en hausse de plus de 20 % pour une croissance organique flirtant avec les 15 %. Cette montée en puissance traduit l’évolution des besoins de nos clients. C’est en 2012 que nous avons amorcé notre digitalisation avec le rachat de la société GMC, le développement de l’activité CCM et un positionnement affirmé dans le domaine de la qualité de la donnée. Aujourd’hui, notre pôle communication digitale, baptisé EDS (Entreprise Digital Solutions), s’impose progressivement comme un leader sur ce marché de trois milliards d’euros et dont le rythme de croissance annuel se situe aux alentours de 10 %. Ces belles perspectives sont complétées par la croissance de notre division shipping qui fournit des produits et services optimisant l'acheminement et l’expédition de colis.

Décideurs. Votre division digital solutions vient d’ailleurs de signer un contrat d'un million de dollars avec un gros assureur américain…
D. T.
Notre jeune filiale GMC est déjà le leader mondial dans le domaine des print services providers (PSP) avec 60 % de PDM. Après avoir conquis le marché des PSP, nous nous sommes attaqués en 2012 aux segments de l’assurance et à ceux de la banque qui comptent parmi les plus gros générateurs de communications transactionnelles. Nous détenons moins de 5 % de ce marché. Nos perspectives de croissance sur ces marchés verticaux sont immenses.

Décideurs. Derrière votre transformation, une mini-révolution est-elle en marche ?
D. T.
C’est plutôt une évolution. Notre entreprise a vécu depuis une quinzaine d’années des mutations importantes. Quand je suis arrivé en 1998 en tant que DAF, Neopost avait quatre filiales de distribution et réalisait un chiffre d’affaires de 300 millions d’euros. Le LBO était en cours de finalisation et nous préparions l’IPO qui a eu lieu en 1999. Aujourd’hui, nous sommes présents dans trente pays et notre CA s’élève à 1,113 milliard d’euros, en croissance de 1,6 %. C’est la preuve que Neopost se réinvente dans ses métiers mais aussi auprès de ses clients. Vendre du software et du service plutôt que du hardware implique certains ajustements, notamment auprès de nos forces commerciales qui désormais s’adressent davantage aux directions générales et informatiques qu’aux services internes.

Décideurs. Il paraît que vous avez pour les cinq prochaines années des projets d’innovation tactiques…
D. T.
Tous les ans, une dizaine de millions d’euros vont être dédiés aux projets innovants. En 2015, nous allons tester les produits du futur, comme ce système d’emballage en continu qui optimise la taille des colis en trois dimensions et peut fabriquer jusqu’à 500 colis par heure. L’innovation est un des piliers de notre transformation. Nous avons créé Neopost Labs, un réseau au sein de l’univers start-up et des investisseurs qui nous aide à identifier les tendances et les technologies de demain.

Décideurs. Collaborer avec l’univers des start-up est-il désormais un prérequis dans votre business ?
D. T.
Nous avons vocation à racheter des start-up qui ont de belles technologies et qui cherchent un véhicule pour les diffuser. Satori a été notre première acquisition dans le domaine digital. À l’époque, cette start-up, basée à Seattle et spécialisée dans la qualité de l’adresse, générait un CA d’une dizaine de millions de dollars, contre trente-cinq millions de dollars aujourd’hui. Même success story avec GMC dont le CA s’élevait à quarante millions de francs suisses en 2012, contre quatre-vingts millions de francs suisses et une marge opérationnelle de plus de 15 % en 2014. Je peux vous assurer qu’il y aura de nouvelles acquisitions dans les années à venir.

Décideurs. Face à ces transformations, qu’est-ce qui est le plus dur ?
D. T.
On est au milieu du gué. Le virage de la croissance pérenne sera définitivement négocié lorsque le courrier ne représentera plus que 65 % de nos activités, contrebalancés par les 35 % réalisés dans les nouveaux métiers. Le changement est inévitable dans la vie d’un être humain comme dans celle d’une entreprise. Si vous avez les mêmes convictions à 40 ans qu’à 20 ans, c’est que vous ne vous êtes pas forcément servi de votre expérience et de votre vécu comme vous auriez pu le faire. Pour une entreprise, c’est pareil. On pourrait considérer Neopost comme une vieille dame, forte de plus d’un milliard de CA, 800 000 clients et 6 200 personnes réparties à travers le monde. Mais si nous avons la maturité d’un business établi, nous avons conservé l’esprit d’une jeune entreprise qui a prouvé à plusieurs reprises sa capacité à se réinventer. Notre réussite est le fruit de cette agilité et de cette conviction : pour avancer, il faut innover.

Propos recueillis par Émilie Vidaud

*Part de marché

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