Symbole d’un exercice du pouvoir qui relègue le citoyen au rôle de spectateur, les Questions au gouvernement et leurs retransmissions télévisuelles font pâle figure à l’heure de You Tube et de la participation citoyenne. Et les politiques 2.0 ne sont peut-être pas ceux que l’on croit…

Trente-cinq ans que cela dure. La retransmission des Questions au gouvernement (QAG) fêtera effectivement en 2017 ce grand âge télévisuel. À tel point que l’on peut se demander s’il ne faudrait pas revoir un peu la formule... Car deux hypothèses s’offrent à nous : ou l’on est un fan de politique, en extase même devant les subtiles interrogations d’Éric Ciotti, ou c’est la sieste assurée. Dans ce dernier cas, l’adéquation est totale entre les maisons de retraite et l’audience du diffuseur, France3, 65 ans de moyenne d’âge. On connaît donc les ateliers du mardi et du mercredi à 14h55. D’autant que le programme s’arrête toujours à heure fixe – pratique pour sonner le réveil –, mais avant la fin des débats, toujours trop longs tant les politiques sont bizarrement actifs et présents ces jours-là à l’Assemblée. Pour l’entièreté des débats, normal, basculez sur LCP, La Chaîne parlementaire - que les mauvaises langues disent, au choix, « pour les parlementaires, par les parlementaires », ou tout juste bonne pour de jeunes journalistes politiques à se constituer un carnet d’adresses. C’est tout de même mal connaître la qualité de certains programmes, parfois sans concession…

 

L’Assemblée en résistance

Mais derrière cette représentation à sens unique, verticale, de l’élu vers un électeur-spectateur passif, se pose plus largement la pertinence de la communication politique en 2017, et plus encore en cette année électorale parcourue d’une présidentielle et de législatives. De leur côté, les parlementaires sont particulièrement attachés à la retransmission des QAG : comme l’année précédente, la bronca avait été générale à l’Assemblée fin 2012 quand le programme n’apparaissait plus dans les plans de France Télévisions. La chaîne publique justifiait en 2011 du passage au numérique pour laisser l’exclusivité de la diffusion à LCP, plus légitime à ses yeux. Le président de la chambre législative d’alors, Bernard Accoyer, s’était personnellement assuré de son maintien auprès de Rémy Pfimlin, tout comme son successeur, Claude Bartolone, s’était fendu d’un courrier au président de France Télévisions l’année suivante. Pour le président de la commission des Affaires culturelles du Palais-Bourbon, Patrick Bloche, supprimer ce programme était « une très mauvaise idée, un très mauvais choix » et relevait même de la transgression de la mission de service public et d’information du groupe télévisuel étatique. Les députés comme Jean Lassalle (MoDem) des Pyrénées-Atlantiques ou Marie-Christine Dalloz (UMP) du Jura avaient argué de « nombreux retours », du « seul moment de visibilité » du travail des représentants auprès de leurs administrés, voire du « dernier lien ».

 

2017, année YouTube ?

Mais quel « lien » ? À l’heure d’Internet, des réseaux sociaux et de la multiplication des mouvements de « participations citoyennes », la demande se fait plus pressante pour un réel échange, une collaboration et même une coconstruction des lois entre représentants et citoyens. Une marque d’intérêt pour la politique qu’il ne faudrait pas sous-estimer ou dénigrer : on connaît dorénavant les surprises que les électeurs réservent à ceux qui les prennent de haut… Et la pression se fait à chaque échéance plus pressante : si l’élection de 2007 fut marquée par les blogs, 2012 par Twitter, 2017 pourrait bien être celle de You Tube. « Attention, avec You Tube, on ne peut pas se contenter d’être dans la Web-TV politique. Il faut oublier la verticalité, on est dans l’échange », explique ainsi Jean Massiet. Pour le fondateur d’Accropolis, chaîne de streaming citoyenne sur laquelle ce dernier commente les fameuses QAG en live, avec un entrain inédit mêlant culture geek du commentateur des meilleures phases de League of Legends et culture politique « tout court », l’heure  est donc à l’horizontalité. Interrogé par le youtubeur MisterJDay dans son émission Culture Tube à l’issu d’un classement de nos politiques sur le réseau de vidéos, deux choses ressortent : le FN, qui représente près de 50 % de l’offre (!), fait un tabac chez les jeunes dans les sondages… Ceci expliquerait-il cela ? En tout cas, entre Jean-Marie Le Pen, sa fille Marine, Gilbert Collard, le parti d’extrême droite lui-même, voire la « fachosphère », cette culture du lien direct et du numérique utilisé comme un moyen de contourner les médias classiques remonte au Minitel ! D’une redoutable efficacité. Là où le bât blesse pour les leaders du FN, c’est dans l’ouverture aux commentaires, généralement bloqués, ce qui ne témoigne pas d’une très grande souplesse ou d’une propension à l’échange et au débat.

 

Mélenchon prend la vague

Deuxième constat, à l’autre bout du spectre politique, celui qui s’installe confortablement dans les sondages à un niveau élevé explose conjointement les compteurs numériques : Jean-Luc Mélenchon peut en effet se targuer d’être devenu en peu de temps le numéro un en nombre d’abonnés (150 000) à une chaîne web politique. Ce qu'il ne manque pas de rappeler régulièrement, évoquant même « le top 50 mondial » ! Le parallèle vaut donc aussi pour le représentant de La France insoumise entre sa présence numérique et sa cote dans les intentions de vote. Pédagogie, prise en compte des commentaires avec des réponses apportées d’une émission à une autre, réelle attention portée aux conseils des internautes ou à l’ordre des sujets abordés, remerciements en meeting des youtubeurs présents en live… Jean-Luc Mélenchon a fait sien ce mode de communication. « Il y a eu un véritable changement chez Jean-Luc Mélenchon : il a bien compris que ce n’était pas un gadget. On voit même un Mélenchon ?normal?, qui a fendu l’armure, qui sourit !, s’amuse Jean Massiet. Il maîtrise les codes et se montre à l’écoute. Avec ce rapport qui a l’air sincère, il pourrait bien capter lui aussi un électorat jeune, par essence plus volatil mais aussi plus sensible à cette technologie. » Lieu d’échanges, cadre participatif dans l’air du temps, sensible désacralisation du politique tout en évitant d'étaler son intimité : et si c'était au tour de You Tube de devenir une clé - inattendue - de l’élection de 2017 en faisant œuvre civique ?

 

@QuentinLepoutre

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