INFLUENCEUR. Journaliste engagée et militante infatigable, déterminée à « éveiller les consciences » aux drames invisibles comme aux urgences qu’on ignore, « à dire et à montrer » plutôt qu’à constater et déplorer, Cyrielle Hariel ne croit ni à la fatalité ni à la résilience. Elle croit en la capacité de chacun à agir pour « prendre sa part » d’une même urgence. Rencontre avec une lanceuse d’alerte humaniste et sans frontière.

Ces derniers jours, sortait sur les écrans Le Vénérable W, le dernier documentaire de Barbet Schroeder consacré aux âmes damnées de l’époque. Dans le rôle phare cette fois-ci, après Idi Amin Dada et Jacques Vergès : Ashin Wirathu. Le nom ne vous dit rien ? C’est normal. Et pour Cyrielle Hariel qui se bat depuis des années pour faire connaître du grand public et des autorités mondiales la dangerosité de ce leader nationaliste birman, à la fois moine bouddhiste et prédicateur de haine qui, en toute impunité, appelle à l’éradication des musulmans, c’est bien le drame. Un drame silencieux, perpétré dans l’indifférence générale – celle de l’ONU, de l’Occident et même de Aung San Suu Kyi, prix Nobel de la paix et figure nationale – dont la journaliste s’est emparée il y a des années déjà. Lorsqu’elle a choisi le camp de l’action et de l’urgence, laissant le temps long de la patience et l’acceptation du compromis à ceux qui préfèrent le confort du débat au risque de l’engagement. À ceux qui comptent sur d’autres pour agir. Cyrielle Hariel, elle, ne compte sur personne.

« Dire et montrer »

« Très tôt, j’ai eu la conviction que j’étais seule, que personne n’allait pousser les portes pour moi, écrire un mail pour moi… », reconnaît celle dont la capacité d’indignation et la volonté de « dire et montrer » viennent de loin. D’une enfance à la fois « protégée et solitaire», rythmée par des week-ends devant la télé qui, très tôt, lui laissent entrevoir « une réalité autre ». Celle de la guerre et de famine, de la pauvreté extrême et de la déforestation. « Pour moi qui, tous les matins, me promenais dans Fontainebleau, se souvient-elle, voir à l’écran des enfants de mon âge avec de gros ventres et des mouches sur les yeux a été un choc immense. » L’éveil précoce d’une conscience humanitaire à laquelle, bientôt, succédera une détermination « à faire sa part pour changer le monde au lieu d’espérer qu’un jour, d’autres le feront ». La sienne porte sur l’urgence climatique, l’interdépendance de chacun dans la préservation des équilibres du monde, et d’autres réalités trop encombrantes pour ne pas être passées sous silence par certains gouvernements. À commencer par celle des exactions perpétrées depuis des années en Birmanie à l’encontre des Rohingyas, des musulmans sunnites originaires du Bengale dont Cyrielle découvre l’existence et les conditions de vie au cours d’un voyage entrepris avec Action contre la faim.

Drame silencieux

Le choc est rude. « Sur place, j’ai découvert un peuple apatride, privé de toute forme d’existence légale – sans carte d’identité et donc sans possibilité de se marier, de travailler ou même d’obtenir une carte de décès, raconte-t-elle. Des gens privés de droit et d’avenir, parqués dans des camps et ignorés de tous. Des riens. » Une forme d’existence de l’ombre, en périphérie de nos civilisations et de leurs normes, invisible aux yeux du monde et de ses puissants et qui, pourtant, concerne 1,5 million de personnes en Birmanie. Dix sur l’ensemble de la Terre. Face à ce drame de l’apatridie dans laquelle elle voit « la misère des misères », Cyrielle Hariel ressent « plus qu’un appel », une évidence. La nécessité de faire un film sur le peuple des Rohingyas. Un documentaire apte à éveiller les consciences. « Un combat ». De retour à Paris, un autre l’attend, auquel, une fois encore, elle n’est pas préparée. 

Celui-ci commence par une visite chez le cardiologue, se poursuit par un diagnostic  ̶  sans appel  ̶   qui parle de valve défectueuse, de prothèse et d’urgence. Pour la journaliste, vegan convaincue depuis des années, adepte de zumba et de pensée positive, c’est la sidération. Une peur nouvelle et incontrôlable qui, une fois l’opération passée, débouchera sur une détermination renforcée. Celle de « rendre ».

Utile

 « Je me suis dit que, si j’étais en vie, c’était  pour me rendre utile, » explique-t-elle. Pour alerter sur ces réalités qui dérangent – à commencer par celle des Rohingyas, déclarés depuis plusieurs années « peuple le plus persécuté au monde » par l’ONU. Sur ces millions d’autres apatrides que dissimulent 27 pays du monde, parmi lesquels des démocraties occidentales comme l’Italie et la Grèce, et sur les urgences qu’on tempère : le climat et ses équilibres à préserver, les interactions hommes-planète, le respect des uns et la survie des autres…

Pour cela, elle multiplie les conférences et les rencontres avec des personnalités publiques « tournées vers l’action » – parmi lesquelles le dalaï-lama et Nicolas Hulot – et des héros trop discrets, « ces faiseurs de miracles qui, comme les cardiologues, sauvent des vies et à qui on n’a pas le temps de dire " merci ʺ »... De ces inspirations croisées, elle nourrit un blog dans lequel elle évoque ses engagements et leur portée globale, prépare un documentaire et achève un livre, à paraître à la rentrée. Trois leviers d’action au service d’un même combat. D’une seule certitude. « Nous sommes tous éléments d’une planète commune, nous devons nous protéger, apprendre à nous aimer car nous sommes tous interdépendants, résume Cyrielle Hariel. Le faire comprendre, c’est cela le challenge ». C’est cela être « utile ».

Caroline Castets

 

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