PORTRAIT. Mandaté à l’été 2016 par la Commission européenne pour piloter les négociations avec le Royaume-Uni, le très réservé Michel Barnier a aujourd’hui entre les mains non seulement le sort des Britanniques, mais aussi la crédibilité de l’Union. Portrait d’un homme de l’ombre.

Ceux qui le connaissent le savent : Michel Barnier est un homme réservé. Il déteste le conflit. « C’est un Savoyard, note l’un de ses proches. La recherche du consensus est gravée dans sa culture. » Serait-ce pour ce trait de caractère qu’il est nommé « négociateur en chef » par la Commission européenne en juillet 2016, dans le cadre des négociations avec le Royaume-Uni en vue du Brexit ? Pas seulement. Au-delà de ses qualités personnelles, le Français de 66 ans s’inscrit aujourd’hui comme l’un des plus fins connaisseurs de l’Union et de ses rouages. Depuis plus de neuf ans, cet européen convaincu consacre la majeure partie de son temps à Bruxelles. Son dernier fait d’armes : l’accord sur le marché unique de capitaux visant à encourager les investissements – qui sera effectif fin 2019 – dont les négociations ont commencé en 2010 alors qu’il était commissaire au marché intérieur. Un succès qui, en 2014, fait de cet homme de droite engagé en politique depuis les années 1970, l’un des candidats les plus légitimes pour briguer la présidence de la Commission. Battu de peu par Jean-Claude Juncker lors de l'investiture au sein du Parti populaire européen, Michel Barnier se pose toutefois depuis cet épisode comme l’une des personnalités les plus influentes de l’Union.

 « C’est un Savoyard. La recherche du consensus est gravée dans sa culture. »

Une vision à long terme

« Les circonstances ont fait qu’il était incontestablement le plus légitime pour négocier avec le Royaume-Uni », estime l’un de ses anciens collaborateurs. Une mission délicate. Car de ces négociations dépendent, outre le sort des Britanniques, la crédibilité de l’Union dans la gestion des crises sécessionnistes. Une situation qui suppose une vision à long terme. L’une des principales qualités de Michel Barnier. « Il sait anticiper et aime regarder au loin », assure l’un de ses amis dans les rangs des Républicains. Tout au long de sa carrière, au niveau local au conseil général de Savoie, comme dans les différents ministères qu’il a dirigés, il n’a qu’un seul mot d’ordre : « Prenons de la hauteur, voyons au loin. » Au point que, sur certains sujets, l’élu, parfois moqué pour son côté « vieille France », est en réalité souvent en avance sur son temps. Il suffit d’observer son engagement en faveur de l’environnement pour s’en persuader. Dès le début des années 1980, alors que la question du développement durable n’intéresse ni la sphère médiatique ni l’univers économique, le jeune député élu sous l’étiquette RPR milite en faveur d’une écologie pragmatique et humaniste.

Tournant international 

Auteur en 1990 du rapport parlementaire Chacun pour tous et cent propositions pour la France, un texte novateur à l’époque, il se forge au fur et à mesure de ses travaux, une envergure nationale. Remarqué par Édouard Balladur, alors premier ministre, il est nommé ministre de l’Environnement en 1993. Deux ans plus tard, lorsque Jacques Chirac est élu président de la République, il confie à Michel Barnier le ministère des Affaires européennes. Un poste clé marquant un tournant international dans la carrière de l’ancien député. Sa principale mission ? Piloter la délégation française chargée de la négociation du traité d’Amsterdam.

Tout au long de sa carrière, il n’a qu’un seul mot d’ordre : « Prenons de la hauteur, voyons au loin. »

Européen de la première heure, le ministre en est convaincu : pour affronter au mieux l’avenir, les institutions de l’Union doivent être encadrées dans un texte simple, clair et lisible. Des convictions qui lui valent d’être nommé commissaire européen en 1999 en vue de l’élaboration d’une proposition de Constitution pour l’Union. Cinq ans plus tard, alors que le référendum se profile en France, il regagne l’Hexagone en tant que ministe des Affaires étrangères sous le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin.

Référendum

Ni ses idées ni son expérience ne suffisent à convaincre les Français, qui, le 29 mai 2005, s’opposent au projet de Constitution européenne. Une défaite pour Michel Barnier. « Ce qui était dans ce texte, c’était plus de social, plus de démocratie, plus de politique étrangère, et de défense et donc cela va nous manquer », confiait-il, déçu, au micro de France Télévision à l’issue du scrutin. A-t-il suffisamment défendu ce texte ? Certains, dans son entourage, semblent en douter. « Pendant les douze mois qui ont précédé le vote, plusieurs erreurs majeures ont été commises par la puissance publique, regrette un de ses collaborateurs de l’époque. Parce qu’il est un homme de consensus, Michel Barnier n’a pas pris de risques. Il ne s’est pas battu.» Un échec qui ne le détourne pas pour autant de ses convictions. Nommé ministre de l’Agriculture en 2007, il donne un sens européen à sa mission avec la mise en œuvre de la politique agricole commune. Il poursuit aussi son combat pour l’écologie. « Il a poussé le monde agricole à sortir de sa position défensive vis-à-vis de l’environnement et à passer en mode proactif », se souvient Judith Jiguet, ex-directrice adjointe de son cabinet. Des convictions qu’il n’a jamais abandonnées.

Nommé ministre de l’Agriculture en 2007, il donne un sens européen à sa mission.

Albertville

Fidèle à ses idées, l’ancien élu au caractère entier est également attaché à sa région. Savoyard d’origine, de culture et de cœur, Michel Barnier est un « enfant du pays ». Pour Vincent Rolland, actuel député de la Savoie, même s’il embrasse une carrière internationale, l’ancien ministre est toujours « une personnalité connue et reconnue ». C’est à lui que le département doit notamment l’organisation des Jeux olympiques d’hiver en 1992. « Nous n’oublions pas que la Savoie a fait un bon dans le XXIe siècle grâce à cet événement d’envergure mondiale que l’on attribue encore aujourd’hui à Michel Barnier », poursuit l’élu. Un épisode dont l’ancien ministre est particulièrement fier. « Il a adoré mobiliser toute une collectivité autour de cette aventure, affirme Judith Jiguet. Les JO l’ont passionné aussi bien sur le plan sportif qu’en matière économique. » Un événement qui forge chez lui une conviction profonde : ce n’est qu’en s’investissant dans des actions concrètes que chacun s’épanouit pleinement. Une idée qu’il gardera en tête tout au long de sa carrière de ministre ou de commissaire européen.

Savoyard d’origine, de culture et de cœur, Michel Barnier est un « enfant du pays »

Capacité à s’entourer

« L’épisode des Jeux olympiques incarne parfaitement son goût pour les projets d’envergure, note un ancien collaborateur au ministère des Affaire étrangères se souvenant s’être investi pleinement dans la préparation de certaines réformes. Il nous fixait des points d’étapes très concrets. » « Intellectuellement nous étions très stimulés, confirme Judith Jiguet. Michel Barnier, c’est une belle intelligence. » Il sait également s’entourer de collaborateurs ultra-compétents et dotés d’une forte personnalité. Une qualité indispensable pour celui qui déteste le conflit. « Il a toujours eu autour de lui des guerriers, témoigne une autre source. Cela lui permet de ne pas aller lui-même au combat. Il n’aime pas l’énergie que cela représente. » Discret, réservé, voire taiseux, l’ancien ministre aime la politique de l’ombre. Pas question de faire le buzz pour attirer l’attention des médias. « Il n’est pas dans la provocation », assure Judith Jiguet. Un recul qui lui vaut d’être vu par certains comme une personne hautaine. « Il est en réalité un peu perché, cela va d’ailleurs avec sa grande taille », estime un ancien collaborateur.

Aux antipodes de la politique de Laurent Wauquiez, il serait aujourd’hui plus proche de celle d’Emmanuel Macron.

Des rapports tendus

Mais le plus gros défaut de l’ancien ministre est ailleurs. Selon ses anciens collaborateurs, Michel Barnier se montrerait parfois austère. « Ce n’est pas quelqu’un de drôle », admettent-ils à l’unisson. Un trait de sa personnalité qui lui aurait porté préjudice au niveau national. Et pour cause : alors que personne ne semble douter de ses capacités, l’ancien ministre, pourtant fort d’une étiquette centre-droite proche de celle de Jacques Barrot ou d’Alain Juppé, n’a jamais été considéré comme un leader de la droite républicaine. « Il aurait pu occuper une place différente dans le paysage politique français », estime un proche. Seulement voilà, le Savoyard au caractère parfois froid et distant n’aurait pas que des amis dans sa propre famille et entretiendrait des rapports tendus avec certains ténors, comme Nicolas Sarkozy. Aux antipodes de la politique de Laurent Wauquiez, il serait aujourd’hui plus proche de celle d’Emmanuel Macron. Pourrait-il envisager de rejoindre les rangs du gouvernement d’Édouard Philippe et ainsi rompre avec les Républicains ? Pas sûr. « Je ne le vois pas quitter son parti, estime une ancienne collaboratrice. Il ne prendrait pas le risque de provoquer un esclandre. » Le « négociateur en chef » a quoi qu’il en soit fort à faire à Bruxelles jusqu’en mars 2019. Date théorique du Brexit.

@CapucineCoquand 

Bio express

  • 1972 : sort diplômé de l’ESCP, la même année que Jean-Pierre Raffarin avec qui il restera ami
  • 1978 : élu député de la 2e circonscription de la Savoie
  • 1982 : élu président du conseil général de la Savoie
  • 1992 : orchestre l’organisation des Jeux olympiques d’Albertville
  • 1993 : nommé ministre de l’Environnement
  • 1995 : nommé ministre délégué aux Affaires européennes
  • 1995 : élu sénateur de la Savoie
  • 1999 : nommé commissaire européen à la Politique régionale
  • 2004 : nommé ministre des Affaires étrangères
  • 2007 : nommé ministre de l’Agriculture et de la pêche
  • 2009 : élu député européen
  • 2010 : nommé commissaire européen au marché intérieur et aux services
  • 2016 : nommé négociateur en chef chargé de la préparation et la conduite des négociations avec le Royaume-Uni.

 

 

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