Si l’arsenal judiciaire permet aux praticiens des restructurations d’aborder sereinement le retournement financier et opérationnel d’une entreprise en difficulté, le volet social reste un défi.
Le code du travail ne cesse d’évoluer, les rapports se judiciarisent, les pouvoirs publics font pression et la jurisprudence a, dans certains cas, valeur de loi.


L’apparition de mesures conservatoires dans le dossier Petroplus, la multiplication des recours invoquant la notion de co-emploi, un nouveau périmètre d’appréciation du motif économique de licenciement ou encore l’intervention du gouvernement dans les dossiers SeaFrance, Lejaby ou Photowatt : le cadre social auparavant législatif devient progressivement jurisprudentiel, au grand dam des conseils juridiques contraints d’adapter leur stratégie à chaque nouvelle évolution.

Le dossier Petroplus, à l’origine des mesures conservatoires


Peu avant le dépôt de bilan, la raffinerie de Petit Couronne en Seine-Maritime dispose de stocks évalués à 200 millions d'euros. Cette raffinerie, qui emploie 550 personnes, a arrêté son activité le 10 janvier dernier après le gel par les banques des lignes de crédit de sa maison mère Petroplus, puis a été placée en redressement judiciaire pour une période de six mois. Est alors apparu un débat sur l’appropriation de ces stocks.
Le Parlement a définitivement adopté le 29 février la proposition de loi UMP, avec le soutien de la gauche, destinée à empêcher le détournement d'actifs d'une entreprise défaillante et visant Petroplus. Elle permet au tribunal de commerce de saisir des actifs ou de vendre des stocks d'une entreprise défaillante, non seulement au stade de la liquidation judiciaire comme actuellement, mais aussi en amont, au cours d'une procédure de sauvegarde ou de redressement judiciaire. Est également prévue l'information des représentants du personnel sur les mesures conservatoires et la possibilité d'utilisation du produit des stocks saisis pour le respect des obligations sociales de l'entreprise.
Outre la rapidité avec laquelle cette proposition de loi fut adoptée, ces mesures, basées sur un cas d’espèce, peuvent devenir une source de menace à l’égard des tiers de l’entreprise dès lors que pèse sur eux un soupçon de responsabilité.

Co-emploi, coresponsabilité, co-instabilité

Les procédures collectives seraient-elles plus axées sur l’indemnitaire que sur la défense de l’emploi ? Un mouvement revendicatif très fort et nouveau est en train d’émerger, en vue de faire payer des acteurs ou des parties du dossier financièrement viables, y compris ceux qui ne sont pas juridiquement tenus de le faire. Cette perception par les salariés explique certaines actions sociales qui sont à la fois plus médiatiques, avec interpellation des pouvoirs publics, et sur un plan juridique axées sur des fondements nouveaux comme le co-emploi.
En droit du travail, le licenciement économique des salariés et l’obligation de reclassement préalable incombent en principe au seul employeur. Toutefois, un risque d’extension de la responsabilité existe lorsque l’employeur est en relations d’affaires avec d’autres sociétés. Tel est le cas par exemple en matière de sous-traitance ou si la société employeur fait partie d’un groupe. Le salarié peut donc diriger son action devant les prud’hommes contre l'un des deux employeurs ou les deux. Comme le souligne Nicolas Laurent, avocat associé en charge du restructuring chez Bredin Prat, « le co-emploi est une notion purement jurisprudentielle, elle ne fait pas partie du code du travail » et contribue, de fait, à l’instabilité juridique actuelle.
Les investisseurs étrangers peuvent alors être assez réticents à prendre des tickets par crainte de se retrouver « on the hook » (crochetés), c’est-à-dire assumer des responsabilités imprévues, comme financer des plans sociaux et être in fine obligés de payer beaucoup plus que le montant qu’ils ont investi ou pour le risque qu’ils ont évalué.

Le secteur d’activité, variable sociale d’ajustement

Dans la même veine que le co-emploi, le périmètre d’appréciation du motif économique de licenciement a, lui aussi, connu de nouvelles évolutions en décembre dernier. En effet, dans un arrêt rendu le 13 décembre, la Cour de cassation semble exclure l’appréciation du motif économique non seulement au niveau de l’entreprise mais également à celui de l’ensemble du groupe, lorsque l’entité en question appartient à un groupe. Aurélien Louvet, avocat associé au sein du cabinet Capstan, précise : « Le cadre d’appréciation du motif économique de licenciement se situe donc en retrait du périmètre des recherches de reclassement, fixé au niveau du groupe. Concrètement, si la situation économique du secteur d’activité du groupe auquel l’entreprise se rattache n’est pas affectée, les suppressions d’emploi décidées en raison d’un motif économique constaté au niveau de l’entreprise sont privées de cause réelle et sérieuse de licenciement. » Ce qui signifie qu’une entreprise même en difficulté ne bénéficie pas d’un motif réel et sérieux de licenciement si la situation économique du secteur d’activité du groupe auquel elle appartient ne le justifie pas.
Un épine de plus, s’il en fallait, pour les praticiens de la restructuration d’entreprise.

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