Depuis près de vingt-cinq ans, Claude Bartolone, fils d’ouvrier tunisien, a bâti son fief en Seine-Saint-Denis, département qu’il préside de 2008 à 2012. Si sa principale rivale Valérie Pécresse multiplie les prestations médiatiques, Claude Bartolone revendique une campagne de terrain*. * Interview réalisée le 6 novembre dont la publication a été retardée en raison de la suspension de campagne du candidat.

Décideurs. Quelles sont les trois mesures phares de votre projet ?

 

Claude Bartolone. Si je ne devais garder qu’un mot dans mon programme, ce serait « égalité ». Tout le sens de mon projet, c’est de faire en sorte que cette région, forte des richesses qu’elle produit, profite à tous, que l’on vive à Paris, en petite couronne ou en grande couronne. Cette ambition, je pourrais presque la résumer non pas en trois mais en quatre points : métro, boulot, dodo, écolo !

 

Métro, parce que notre Région doit être accessible partout, par tous et tout le temps. C’est ce que je propose avec le service 24/24h, le remplacement des rames, la police des transports ou encore le plan bus pour la grande couronne.

 

Boulot, parce que je ne veux plus un jeune sans projet, sans formation, sans emploi. La vitalité économique sera ma priorité. À la fois par un soutien accru aux entreprises et par des politiques actives de création d’emplois.

 

Dodo, car on ne peut plus rester les bras croisés devant les difficultés de trop nombreux franciliens pour se loger. Parmi les mesures qui seront prises dans ce sens, nous allons mettre en place le bonus/malus dans les aides régionales en direction des communes. Si elles respectent les obligations de la loi SRU, elles se verront attribuer des bonus de subventions. Et à l’inverse, celles qui ne le respectent pas n’auront aucune aide de la Région. Il faut prendre le dossier du logement à bras-le-corps. C’est bon pour les habitants, mais aussi pour le carnet de commande des entreprises.

 

Enfin, écolo, parce que rien de tout cela ne sera fait sans que la transition écologique dans laquelle la Région s’engage soit prise en compte. La sortie du diesel sera engagée et l’écotaxe poids-lourds en transit mise en place.

 

Décideurs. À propos du Grand Paris : les Franciliens attendent que les promesses soient tenues. Cela sous-entend une concertation de tous les acteurs du projet. En tant que président de la Région IDF, accepterez-vous le consensus ?

 

C. B. L’enjeu institutionnel francilien, quelle que soit l’entité qui agit (municipalité, département, métropole, Région), est de mettre fin à la ségrégation sociale et territoriale qui existe en Île-de-France. Nous devons établir un nouvel équilibre entre l’est et l'ouest francilien.

 

À la tête de la Région Île-de-France, je n’entends pas me conduire en président de droit divin : je réunirai tous les acteurs régionaux, y compris ceux de la métropole, afin de construire un territoire solide et solidaire. La CTAP (conférence territoriale de l’action publique) est déjà prévue par la loi à cet effet, et nous irons au-delà. La métropole doit atteindre cet objectif. J’y concourrai mais je serai aussi garant de la « métropolisation » de la Région. Je n’accepterai pas qu’une frontière infra-régionale supplémentaire se dresse sur le territoire. Quelle que soit l’issue du scrutin, le périmètre régional va jouer un rôle extrêmement important dans l’aménagement solidaire de la Région et le projet que nous portons en est à la hauteur.

 

Décideurs. Comment répartirez-vous le budget alloué à la Région ? 

 

C. B. Ce budget s’articulera autour des compétences propres de la Région, en particulier sur les transports, les lycées, la formation professionnelle, l’apprentissage, l’emploi et le développement économique.

 

Au-delà, et c’est peut-être là le plus important, je ferai preuve de volontarisme politique en investissant massivement dans des champs qui ne sont pas de notre compétence première. Je pense à la recherche et à l’enseignement supérieur car nous sommes la première Région européenne en la matière. Je pense aussi au budget alloué au droit des femmes car aujourd’hui encore, un Francilienne sur deux est discriminée en raison de son sexe. Je pense aussi naturellement à la culture, au logement ou encore à la rénovation urbaine.

 

Nous assumerons le rôle d’investisseur pour transformer le quotidien des Franciliens et nous serons également au rendez-vous des crédits de fonctionnement car ils permettent d’améliorer considérablement la qualité de vie de chacun. 

 

Une chose est certaine, et c’est un engagement, il n’y aura sous mon mandat aucune hausse de la fiscalité, ni pour les ménages, ni pour les entreprises.

 

Décideurs. L'emploi est une problématique majeure, notamment pour la banlieue. Quelles solutions concrètes comptez-vous mettre en place sur ce point ? 

 

C. B. Mon parcours est celui d’un enfant qui a grandi en banlieue, qui y vit toujours, et qui a eu la chance de diriger ce département passionnant qu’est la Seine-Saint-Denis. Le chômage, et particulièrement celui des jeunes, est trop important dans nos quartiers populaires. C’est inacceptable.

 

Je veux agir sur trois fronts à la fois : soutenir et promouvoir les créateurs de richesses et d’emplois ; accompagner les entreprises confrontées à des difficultés pour leur permettre de résister au vent de face ; mener des politiques actives de création d’emplois.

 

Pour cela, nous libérerons les énergies en soutenant la création de PME dans les quartiers populaires. Cela passera par le renforcement du dispositif PM’UP qui a déjà accompagné le développement de plus de mille PME. Nous créerons aussi un fonds d’investissement public-privé de soutien aux PME ainsi qu’un fonds d’amorçage dédié aux start-up de l’économie sociale et solidaire. Nous créerons cinq mille emplois-jeunes régionaux dans les domaines de l’environnement, de la culture, du monde associatif.

 

Je veux aussi m’attaquer à une inégalité insupportable : 23 % des Français estiment avoir déjà fait l’objet de discriminations à l’embauche et cela atteint 43 % dans les quartiers populaires. Un vaste plan de lutte contre les discriminations sera mené, avec notamment la mise en place d’un délégué égalité qui orientera et accompagnera les candidats ou les salariés qui se sentent victimes de discriminations.

 

Décideurs. Votre campagne est très discrète. Misez-vous sur la stratégie du pouvoir en place ? 

 

C. B. C’est que vous n’allez pas assez sur le terrain ! Cela fait bientôt cinq mois que je sillonne l’Île-de-France pour battre campagne, écouter et convaincre les Franciliens. J’ai déjà effectué plus de deux-cent cinquante déplacements ! Si j’ai pu présenter aux Franciliens les cent-soixante propositions que compte mon projet, c’est grâce à leurs nombreuses contributions. Notre souci collectif, c’est la lutte contre l’abstention. C’est de faire que les Franciliens choisissent, par le vote, leur avenir. Qu’ils choisissent entre une Région dynamique, solidaire et adossée à des valeurs humaines, ou une Région de droite extrême, ou pire, d’extrême droite. 

 

Je mène campagne avec les Franciliens et pour les Franciliens, afin que chacun d’entre eux puisse saisir l’opportunité de garder notre Région dans le camp des progressistes et des humanistes.

 

Décideurs. Valérie Pécresse vous accuse de refuser de débattre parce que vous ne connaissez pas suffisamment les problématiques de la région. A-t-elle raison ? 

 

C. B. Elle aime tellement le débat qu’elle vient de qualifier la candidature de M. Dupont-Aignan de « faute morale et politique »… Ce n’est pas ma vision de la démocratie. Chaque candidature est respectable. Quand on est attaché au débat démocratique, on ne peut pas considérer la candidature d’un compétiteur comme une faute. La candidate de M. Sarkozy semble surtout aux abois. À cinq dimanche du premier tour, elle n’a toujours pas de projet… Les seuls éléments de son programme qu’elle a dévoilés, c’est de dire « méfiez-vous les uns des autres », et les colistiers que nous lui connaissons sont les dignes fers de lance de la droite ultra-conservatrice et de la Manif pour tous… Le débat viendra. Il sera l’occasion de mettre en lumière le monde qui nous sépare.

 

Questionnaire de Proust :

 

Si vous étiez un événement marquant en Île-de-France ? La prise de la Bastille, le 14 juillet 1789. Un territoire, c'est d'abord la souveraineté d'un peuple.

Si vous étiez un lieu en Île-de-France ? L'avenue Jean-Jaurès, au Pré-Saint-Gervais. Je n'oublierai jamais la vision de cette rue, quand j'y suis arrivé à 9 ans, de Tunisie. Le ciel était bas, j'avais un peu peur. Et, au final, cette ville, ce département et cette Région m’ont tout donné. À mon tour de leur rendre. 

Si vous étiez un moyen de transport ? Un métro aérien. Une synthèse de liberté.

Si vous aviez un mentor ? Madame Toullieux, ma professeure de français au collège. C’est elle qui a permis au fils d’ouvrier que je suis d’accéder au lycée. Je souhaite profondément que tous les enfants d’Île-de-France puissent rencontrer leur Madame Toullieux.

Si vous étiez un livre de chevet ? L'Odyssée d'Homère. Il y a tout : des sirènes, la Méditerranée et, à la fin, l'heureuse conquête d'une île.

 

 

Propos recueillis par Capucine Coquand 

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