Sécurité, flexibilité, confidentialité : le Luxembourg a toutes les cartes en mains pour attirer les épargnants français. Moins touchés par l’entrée en vigueur de la DDA que leurs confrères français, les assureurs du Grand-Duché ont également pris le virage du digital.

La France est le premier client des opérateurs d’assurance-vie luxembourgeois depuis 2010, devant leur marché domestique. En 2016, l’Hexagone totalisait ainsi un encours de 45,98 milliards d’euros, selon le rapport annuel du Commissariat aux assurances luxembourgeois (CAA), loin devant la Belgique (24,4 Md€), l’Italie (22,12 Md€) ou l’Allemagne (14,96 Md€). Parmi les atouts que vont chercher les clients français chez leurs voisins, le triangle de sécurité arrive en bonne place. Ce dispositif de protection spécifique aux souscripteurs de contrats d’assurance-vie au Luxembourg établit une séparation entre l’assureur, le dépositaire et le gestionnaire. « Ce super-privilège signifie que si un assureur fait faillite, le premier à pouvoir toquer à la porte ne sera pas l’État ou le fisc, mais le client », détaille Marc Stevens, CEO et managing director de OneLife, acteur majeur du marché de l'assurance-vie luxembourgeois. À titre de comparaison, en cas de faillite d’un assureur-vie sur le sol français, c’est un fonds de garantie qui a pour fonction de dédommager les souscripteurs, en l’absence de ségrégation totale des actifs du client vis-à-vis de la banque et de l’assureur.

Le triangle de sécurité fait partie des atouts que vont chercher les clients français au Luxembourg

De plus, ce fonds de garantie ne pourra être mis en œuvre qu’après plusieurs étapes, dont celle, périlleuse, de la recherche d’un repreneur de portefeuille. Si aucun repreneur ne se fait connaitre, la liquidation judiciaire est prononcée. C’est seulement à cet instant que l’épargnant pourra espérer récupérer sa mise, si cela est possible… En effet, ce dernier se retrouve en bas de la chaîne de classement des créanciers de l’assureur. Ainsi, s’il ne reste aucun actif au terme de la liquidation, le client perd l’intégralité de son capital. Dans le meilleur des cas, l’épargnant ne pourra récupérer qu’un maximum de 70 000 euros sur les sommes placées sur son contrat d’assurance-vie. « Cette spécificité luxembourgeoise est souvent mise en avant mais il s’agit de l’ultime garantie, nuance Benoist Lombard, président de la Chambre nationale des conseils en gestion de patrimoine (CNCGP) et gérant associé de Witam. Le client – et son courtier – doit aussi regarder d’autres éléments dont les ratios de solvabilité de la compagnie d’assurance. »

La réglementation joue en faveur du Grand-Duché

Très encadrées, les compagnies d’assurances s’apprêtent à absorber une nouvelle vague d’obligations avec la directive européenne sur la distribution d’assurance (DDA), qui entre en vigueur au mois d’octobre. Comme Mifid 2, également entérinée en 2018, la directive vise avant tout à renforcer la protection des consommateurs dans leurs relations avec tous les distributeurs d’assurances, les questions des conflits d’intérêts et de la transparence des rémunérations étant dans la ligne de mire du régulateur. « La rémunération sera due à celui qui donne le conseil. Cela parait évident mais ne l’est pas forcément en France, où la commission est acquise au premier conseil même après un changement de courtier », explique Philippe Parguey, rappelant le principe du fameux troisième usage du droit du courtage. Il sera donc plus simple pour l’épargnant de changer de conseil, mais les business models des courtiers vont devoir s’adapter. « DDA vise surtout les canaux de distribution des produits, qu’ils soient propriétaires, non propriétaires, physiques ou digitaux », analyse Benoist Lombard. Elle n’interdit pas en tant que telles les commissions, mais autorise les rétrocommissions pour peu qu’elles ne nuisent pas à l’intérêt du client.

« Les propriétés de la blockchain en font le notaire du futur »

Au Luxembourg, il est déjà possible de transférer la gestion financière d’un contrat d’assurance-vie. Les contrats prévoient également une certaine flexibilité en cas de départ du client à l’étranger. Mais si la transférabilité est désirable dans l’intérêt du client, elle pose de nombreuses questions, notamment lorsque le souscripteur et ses bénéficiaires naviguent entre plusieurs pays, un cas de plus en plus courant. « Se pose la question du droit applicable vis-à-vis du client et de son intermédiaire. Un déménagement aura un impact sur le traitement du contrat d’assurance-vie, notamment fiscal et successoral. Mais les intermédiaires ont-ils la capacité de suivre leurs clients ?, s’interroge Marc Stevens. Ils doivent, pour cela, avoir les agréments et le savoir-faire nécessaires. » De principe, l’architecture des contrats luxembourgeois est très ouverte, avec de multiples possibilités d’investissements et modèles de risques, prévoyant par exemple les nécessités de couverture décès en fonction du pays de résidence du souscripteur. La France tend également vers cet objectif avec un temps de retard : il est par exemple impossible aujourd’hui de transférer un fonds en euros d’un assureur à un autre, l’épargnant étant dans l’obligation de solder son contrat pour en souscrire un nouveau auprès d’un autre assureur.  

La digitalisation, pour plus d’efficacité et de transparence

Masquée par la nécessité de se mettre en conformité avec la nouvelle réglementation européenne, la digitalisation n’en demeure pas moins un sujet central pour les courtiers, qui ont depuis longtemps compris l’enjeu d’une bonne utilisation des outils numériques. « La digitalisation permet une interaction optimisée entre le partenaire, son client et l’assureur, témoigne Marc Stevens. Les outils digitaux nous permettent d’être plus efficaces et de faire moins d’erreurs tout en assurant au client une plus grande transparence. » Le Luxembourgeois a joint le geste à la parole en lançant en 2018 un contrat vie 100 % digital. Fin 2016, c’était une application mobile à l’usage de ses partenaires leur permettant de suivre l’évolution de leur portefeuille et des opérations en cours, mais aussi de consulter le contrat d’un client et la valeur de ses investissements. Pour Philippe Parguey, qui voit dans la blockchain une future révolution numérique, les assureurs peuvent aller encore plus loin : « Les propriétés de la blockchain en font le notaire du futur, assure-t-il. Cette technologie définit une propriété et assure l’authenticité de l’information : dans le cas de l’assurance-vie, cela permettrait de gérer les aspects transfrontaliers du contrat, en suivant les actifs et leur propriété, mais aussi d’éviter les contrats en déshérence pour lesquels les bénéficiaires sont introuvables. » En France, Axa a lancé un contrat d'assurance utilisant cette technologie. Allianz l’a quant à elle intégrée dans ses processus internes de suivis de dépenses. Des expérimentations qui sont peut-être les bourgeons d’une future révolution.

Camille Prigent et Yacine Kadri

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